Fyctia

Stella

Trois jours plus tôt

Dimanche 15 janvier 2023

La fille du livre est comme ça. Elle ne répond pas à un texto par un texto. C'est une utopiste qui croit aux histoires d'amour comme celles qu'on lit dans les livres. Alors elle écrit des lettres. Elle aurait pu l'envoyer avec un timbre, comme les gens normaux. Mais il aurait fallu attendre jusqu'à lundi que La Poste soit ouverte. Puis de nouveau patienter un, deux, peut-être trois jours pour qu'elle finisse par arriver. Et probablement encore quatre ou cinq jours pour que Julien aille relever son courrier. Elle avait fait les calculs : avec un peu de chance, il la lirait le lundi suivant. C'était beaucoup trop long.

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La fille du livre habite aussi dans le 18e. À 800 mètres de chez Julien. Alors elle n'avait pas attendu. Et dimanche matin, elle avait fait ce chemin qu'elle connaissait bien jusqu'à la rue Véron. Le 21 de la rue Véron. Elle avait forcément eu un pincement au cœur quand elle était arrivée devant la porte de l'immeuble. La dernière fois qu'elle était venue ici, Julien et elle s'étaient embrassés juste là, devant la grande porte bleue. Ils étaient allés à un match de foot la veille, puis avaient passé la nuit ensemble avant de prendre des chemins différents. Si seulement elle avait su que ce baiser serait le dernier, elle l'aurait fait durer un peu longtemps. Elle se serait concentrée en fermant les yeux pour ne jamais oublier le goût des lèvres de Julien sur les siennes. Elle se serait mise sur la pointe des pieds pour qu'il la serre dans ses bras une dernière fois. Mais on ne peut jamais savoir quand arrive la dernière fois. Surtout quand l'autre a décidé de partir alors que nous, on ne le sait pas.

Stella avait ouvert un tiroir de sa mémoire dans lequel était rangé le code de l'entrée. 97853. Cool. Il n'avait pas changé depuis septembre. Elle avait poussé la porte. Tout doucement pour ne pas faire de bruit. Ses yeux avaient rapidement balayé toutes les boîtes aux lettres pour trouver le nom de Julien griffonné sur l'une d'entre elles. Stella gardait un œil sur les marches du grenier de Cendrillon qui menaient tout droit à son appartement. On voyait la porte d'entrée. Elle était juste là. À quelques mètres. 5 ou 6 à tout casser. Julien était-il chez lui ? Est-ce qu'il était encore en train de dormir ? Peu importe. Le champ était libre, il était de toute façon bien trop tôt pour qu'il soit déjà debout un dimanche, et puis, il n'y avait rationnellement aucune chance pour que le scénario dans lequel ils tombent l'un sur l'autre puisse arriver.

Tout en haut. À gauche. Il était là, le nom de Julien. Était-ce son écriture ? Pas sûr. Stella avait gardé son enveloppe à la main pendant tout le trajet pour ne pas risquer de la froisser et l'avait glissée dans la fente. En l'entendant s'échouer dans le fond de la boîte aux lettres, elle s'était éclipsée, vite, très vite. Quel stress ! Elle était vraiment grave de se fabriquer toute seule des coups d'adrénaline pareils. Elle s'était retournée une dernière fois pour vérifier que personne ne l'avait vue et avait embrayé sur la rue Lepic. Stella s'était mise à imaginer le moment où Julien ouvrirait sa boîte aux lettres. Et elle savait, d'une certitude que personne ne pourrait questionner, que lui aussi, en voyant l'enveloppe, il sourirait.

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Julien

Mardi 17 janvier 2023

La fille du livre ne s'est pas trompée. Julien a souri en voyant l'enveloppe. En l'ouvrant. En la lisant aussi. Elle ne faisait qu'une page. Étonnant. D'habitude, Stella écrit des lettres qui avoisinent plutôt les quatre ou cinq feuilles.

Julien s'est laissé tomber sur son canapé. Ses jambes commençait déjà à être mordues par des courbatures. Ses yeux ont reconnu son écriture. Sa toute petite écriture qu'il a apprise à déchiffrer. Au fil du temps. Au fil des lettres. Elle fait ses « m » à l'envers. Elle ne boucle pas ses « l ». Elle fait toujours descendre très bas le bout de ses « s ». Et elle oublie parfois de mettre une barre à ses « t ». Stella écrit toujours avec le même stylo noir. On dirait presque de l'encre de chine.

Dimanche 15 janvier 2023

J'ai reçu ton message hier soir. Ce serait un euphémisme de dire que je ne m'y attendais pas. J'ai mis du temps avant d'ouvrir la notification. Et j'ai mis encore plus de temps à lire le message quand j'ai réalisé qu'il était bien plus long qu'un simple texto. J'avais peur de ce que tu pouvais m'avoir écrit. J'avais peur que tes mots me mettent à distance ou me blessent encore plus que ton silence.

Depuis le vent interstellaire de la précédente lettre, je m'étais promis de ne plus jamais en écrire à personne, mais après avoir dormi sur le sujet, je me suis réveillée ce matin en me disant que c'était finalement comme ça, avec une lettre, que j'avais envie de te répondre.

Je crois que j'aurais envie de commencer par te dire que tu n'as rien à te faire pardonner. Je ne te dis pas ça pour te déculpabiliser, mais simplement parce que j'ai compris, et aujourd'hui je sais, que tu as toujours fait comme tu as pu. J'ai passé des mois à être intérieurement déchirée entre ma colère et mes sentiments pour toi. Je t'en voulais tellement de m'avoir ignorée et d'être revenu pour disparaître à nouveau. Mais quelles qu'aient pu être tes raisons, je ne t'en veux pas. Je me suis un jour fait la promesse d'être un petit rayon de soleil pour toi, et malgré les turbulences de ces derniers mois, on sait tous les deux que rien ne suffira à altérer l'affection que j'ai pour toi.

Une fois que je t'ai dit tout ça, il faut aussi que j'admette avoir du mal à traduire avec des mots le sourire que j'avais sur les lèvres en te lisant hier soir. J'ai été réellement touchée par ton texte parce que je sais que ta prudence et ton cœur de pierre ne te permettent habituellement pas de t'ouvrir comme tu l'as fait. Je ne pensais pas que tu avais continué à lire mon livre, et je m'attendais encore moins à ce que tu me dises l'avoir terminé.

Je pense qu'une partie de moi se demandait si tu te reconnaîtrais en Simon. J'ai fabriqué ce personnage à une époque où j'espérais rencontrer quelqu'un qui m'aiderait autant qu'il a aidé Ellie. Tu n'es pas l'incarnation exacte de Simon, c'est vrai. Mais peut-être qu'en le voyant à travers cette histoire, tu as compris l'impact que tu as eu sur ma vie. Je l'espère.

Je ferai de mon mieux pour répondre à tes questions, et je ne me souviens plus très bien où j'en étais dans ma dédicace, mais je la terminerai.

J'ai pas mal d'échéances au travail ces deux prochaines semaines, si ça te va on se fait signe début février ?

À bientôt,

Stella