Fyctia
Prologue
Avez-vous déjà eu la sensation de marcher à contresens de la vie, d’avancer à contrecourant des autres ? Avez-vous déjà éprouvé ce sentiment obsessionnel et oppressant de ne pas être à votre place ?
C’est étrange, j’ai tout pour être heureuse. À 40 ans, je peux dire que j’ai réalisé le rêve de beaucoup de jeunes filles. Un mari parfait, un appartement de quatre pièces en plein cœur de Paris, un job de rêve. En tant que responsable marketing dans une entreprise de mode, je fréquente des gens importants, j’assiste à des galas, je dors dans des hôtels de luxe dans toute l’Europe. Mon physique ne passe pas inaperçu. Au-delà des petites injections de botox qui me donnent ce visage de trentenaire, j’entretiens mon corps de jeune fille avec trois séances hebdomadaires de course à pied et trente minutes de yoga chaque matin. Ce qui ne m’empêche pas de me faire une plancha avec une bonne bouteille de vin de temps en temps. Dans ces écarts, je suis accompagnée, souvent.
Pour me détendre, dans cette vie à cent à l'heure, j’ai un amant dans chaque capitale. Bruxelles, Prague, Londres, Madrid, Amsterdam. Presque tous plus jeunes que moi. Des louveteaux fougueux qui m’offrent, l'espace de quelques minutes, l'illusion de l’amour. Le sexe, je n’en ai jamais assez. Mon psychologue dit que mon hyperactivité sexuelle est une conséquence des trucs que j’ai subis dans mon passé. Je ne me définirais pas pour autant comme une nymphomane, même si j’ai souvent fantasmé sur lui. Il a des yeux à tomber, si vous saviez ! Bleus comme le ciel et la mer mélangés. Pour moi, la baise, c’est plutôt un moyen de me redonner confiance. Parce que, sous ma carapace de guerrière, je suis dévorée par le doute. Je ne suis, pour ainsi dire, jamais seule. Et pourtant, je me sens profondément vide. Quel paradoxe, vous ne trouvez pas ?
Quand on a vécu des traumatismes, on ne voit plus le monde de la même façon. On a, dans la bouche, un arrière-goût amer. On a, devant les yeux, un voile qui nous donne l’impression d’être absents du décor, un peu comme si l’on regardait une carte postale. On a, dans la tête, des fantômes endormis qui reviennent nous hanter, le jour comme la nuit. Je les appelle mes allants. Ils vont et ils viennent sans prévenir pour me rappeler que je ne suis pas à ma place.
Ce soir, ils sont là et je me suis mise à boire. Du vin rouge. Boire du rouge, c'est mon activité préférée quand je broie du noir. Luc s’est endormi. Une façon de rattraper sa sortie de la veille "Pour le travail tu comprends." Luc, c’est mon mari. Contrairement à mes amants, il est plus âgé que moi. Cinquante ans, soit dix ans de plus. Là encore, mon psy dit que c'est pour compenser la figure du père. Les psys ont toujours réponse à tout. Comme si tout avait forcément une explication. Luc bosse dans la banque d’affaires. Son rôle, c’est de faire fructifier l’argent de ses clients. Asset manager, ça rapporte, même quand ses clients perdent un peu d'argent. Alors, son entreprise ne lésine pas sur les dépenses. Il est souvent en déplacement. Ce qui est bien, parce que j’ai deux amants à Paris. C’est une capitale.
Ça va vous paraitre étrange, mais Luc n'a aucune idée de ma vie passée. Enfin, il connait mon histoire, mais pas la vraie. Si je me suis mariée, c’est parce que je voulais une vie stable, équilibrée, à l’opposé de ma vie d'avant. S’il savait. Mais il dort paisiblement, dans l'ignorance. Sans doute rêve-t-il à nos futurs enfants, à moins qu'il se repasse l'image d'une stripteaseuse de Pigalle. Je ne suis pas dupe. J’ai déjà trouvé des traces de rouge à lèvres sur son col de chemise et des tâches douteuses sur son pantalon. Je ne lui ai jamais dit. Dans son métier, il faut séduire les investisseurs. On attrape pas les mouches avec du vinaigre. Et puis, admettez, vu mon comportement, ce serait quand même un peu culotté.
À l’heure où j’écris ces quelques lignes, je suis sur le point de commettre l'irréparable. Je suis dans une impasse. La maison de Belle-Île, dont on parle depuis le jour de alliance (sept ans déjà), nos deux enfants imaginaires, une fille et un garçon parfaits, ces images d’un bonheur truqué, me donnent la nausée plus qu’elles ne me font rêver. Dix ans que nous sommes mariés et Luc croît que mes parents sont morts dans un accident de voiture et que c'est ma tante, une dame aisée, généreuse et cultivée, qui m'a élevée. La pauvre serait décédée juste avant notre rencontre. Bien sûr, rien de tout cela n’est vrai. Je me demande encore où je suis allée chercher tout ça.
Oh ! Mais où avais-je la tête ? Je ne me suis pas présentée. Je m’appelle Mégane. Mégane Beaulieu. C’est le nom de famille de mon mari. Parce que mon nom de jeune fille, c’est André. Mes vrais parents, je ne les ai pas revus depuis mon adolescence, depuis ce jour où je me suis barrée, comme je m’apprête à le faire demain. Une nouvelle fugue. Mais cette fois, je fuis le bonheur et non le malheur.
Je ne sais pas si mon acte est lâche ou si c’est ma vie d’aujourd’hui. Dans une voie sans issue, la seule solution, c'est de faire demi-tour. Quelle idée folle ! Je viens de l'enfer et, après avoir touché le paradis, je veux retourner en enfer. Tout abandonner, tout incendier, tout perdre. J'ai encore du mal à réaliser ce que je m'apprête à faire. Il ne me reste que cette nuit pour pleurer. Une nuit et quelques bouteilles pour faire le deuil de ce présent qui bientôt, sera mon passé. Je vais vous raconter mon histoire. Peut-être que vous comprendrez.
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Lyse236
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Il y a un an
Chloézoccola
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clara_belle
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blondie.64
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