Fyctia

Les heures s’écoulèrent. Le chat avait quitté les genoux de Rhéa pour ceux de sa maîtresse. Tarquin ne participait plus à la conversation depuis un moment. Lorsque la jeune fille se tourna vers lui, elle se rendit compte que le petit garçon s’était endormi. 

— Je vais préparer vos chambres, annonça Sarah. Vous serez les bienvenus dans ma maison aussi longtemps que vous le souhaiterez. 

Rhéa lui sourit avec reconnaissance. 

— Je vais prendre l’air un instant, marmonna Lucilius en s’étirant. 

Le jeune homme ouvrit une porte fenêtre et disparut à l’extérieur. Rhéa hésita. Elle observa Tarquin avec inquiétude, mais l’empereur ne semblait pas courir un danger immédiat. Elle se leva donc à son tour pour suivre le même chemin que Lucilius. 

La porte donnait sur une cour intérieure éclairée par quelques lampes. L’air hivernal était frais mais les murs épais protégeaient du vent. La prêtresse trouva le jeune homme assis sur une balancelle, le regard perdu dans le vide. Il observait à nouveau les étoiles, mais les lumières de la cité étaient trop éblouissantes pour que les astres soient autre chose que de petits points lointains à peine visibles. 

— Quelque chose ne va pas ? s'inquiéta Rhéa en s’asseyant sur une chaise pliante. 

Lucilius eut un petit sourire. 

— N’as-tu pas l’impression que, depuis quelques temps, le monde ne tourne plus rond ? demanda-t-il. 

— Si, répondit la jeune fille qui partageait ce sentiment. L’Empire s’écroule de toute part. Et ce qui semblait naguère sacré et inviolable est à présent interdit et pourchassé. 

Elle songea à la déesse Vesta, adorée depuis des millénaires, dont les temples et autels étaient à présent brisés et réduits en cendre. 

— Je sais que ce n’est pas ton cas, mais ces changements sont bénéfiques pour moi, observa Lucilius. Il y a peu, j’étais esclave et sans famille et je me retrouve à présent libre, à l’abri chez ma tante. J’ai néanmoins le sentiment que quelque chose n’est pas normal. Je veux dire… je n’avais jamais été témoin de phénomènes inexplicables et, soudain, je fais la connaissance d’un petit garçon aux ordres magiques et d’une jeune fille capable de lancer des boules de feu. 

— Je ne lance pas des boules de feu, protesta Rhéa en rougissant. Je ne maîtrise nullement mon don. 

Lucilius se mordit la lèvre. Encore une fois, la prêtresse eut l’impression que le jeune homme hésitait à révéler quelque chose. Mais il conserva à nouveau le silence. 

Il soupira. 

— Tu sais que jamais je ne vous trahirai, Tarquin et toi, pourtant, je ne peux m’empêcher de me sentir en partie du côté d’Octave. 

Rhéa sursauta et fixa sur le jeune homme des yeux remplis d’indignation. 

— Que veux-tu dire ? Comment pourrais-tu être en accord avec ce monstre ?

Le jeune homme resta silencieux un moment, cherchant ses mots. 

— Octave affirme que notre société est attardée et doit se moderniser. Et il n’a pas tort. 

— L’Empire romain est la première puissance mondiale depuis des millénaires ! s’offusqua Rhéa. 

— Au point d’en avoir oublié d’évoluer. Te rends-tu compte du peu de droits politiques de ne citoyens à côté de ceux des républiques asiatiques ? Et dans ces pays-là, l’esclavage a été aboli depuis longtemps ! 

— Est-ce que tu espères ? Qu’Octave aboliera l’esclavage ? 

Lucilius hocha la tête. 

— Oui. Et je suis loin d’être le seul à nourrir cet espoir. Notre société était sur le point d’exploser lorsque le général a pris le pouvoir. L’empire s’écroule, dis-tu. Mais est-ce réellement une mauvaise chose ? 

Rhéa se mit à réfléchir à son tour. Elle n’avait jamais été très à l’aise avec la notion d’esclavage. Qu’un homme puisse en posséder un autre comme s’il s’agissait d’un chien ou d’un cheval la dérangeait profondément. Ses parents disposaient de plusieurs serviteurs non libres pour entretenir leur domaine. Ils les traitaient avec bonté mais tous les maîtres n’usaient pas d’une telle humanité. La maigreur de Lucilius et les traces anciennes de coups qu’il portait sur sa peau étaient là pour en témoigner. 

— Mon oncle se moque bien des esclaves, déclara soudain une petite voix. Il ne veut que le pouvoir. Oh, bien sûr, il est doué pour faire entendre aux gens ce qu’ils veulent entendre. 

Rhéa et Lucilius sursautèrent en comprenant que Tarquin s’était réveillé et suivait leur conversation depuis un moment. L’empereur ne paraissait cependant pas en prendre ombrage. Il s’avança à son tour dans la cour, le visage sérieux. 

— Mais dis-moi une chose, Lucilius, reprit le petit garçon. Mon oncle a assassiné son propre frère et sa femme. Il a fait massacrer les camarades de Rhéa et quantité d’autres personnes qui n’avaient de tort que de pouvoir lui faire opposition. Crois-tu qu’un tel homme mérite d’être suivi ou de faire l’objet d’une quelconque admiration ? 

Ni Rhéa ni Lucilius ne trouvèrent quelque chose à répliquer.