Fyctia
Chapitre 6.1 : Détenu 69A36-89
Je n'avais encore jamais vu un endroit aussi crade de toute ma vie. Je n'étais pourtant pas maniaque, mais ce que je voyais était si sale que j’en eus la nausée. Le sol en carrelage blanc était devenu beige à cause de la couche de crasse qui le recouvrait. La simple idée de devoir marcher pieds nus dessus me serra l'estomac et fit remonter une bile acide dans ma bouche. Même en comparaison les vestiaires du lycée paraissaient beaucoup plus propres. En tout cas je ne redoutais pas de prendre des champignons si une partie de ma peau effleurait le sol.
J'avais été réveillé par un gardien qui se prenait pour un cowboy. Il avait tapé comme un fou sur ma porte avant de me demander de le suivre. Je ne comprenais pas l'intérêt de prendre une douche pour être exécuté au milieu des bois par une bande de chasseurs assoiffée de sang. Une partie de moi avait envie de tenter de fuir ou au moins refuser de se plier aux ordres, mais je n'en trouvais pas la force. À vrai dire ce fut le gardien qui était en train de me surveiller – mater – qui m'en dissuada. Je n'avais aucune envie qu'on me force comme un gamin et que ce soit ce vieux barbu qui me savonne le corps.
Probablement dans l'unique but de nous paraître – faussement – humaine, la prison nous avait fait parvenir une trousse de toilette avec toutes nos affaires. Ma mère y avait seulement glissé un gel douche et un peigne. J'étais persuadé que cette simple action lui avait demandé beaucoup plus de force et de courage qu'il n'y paraissait. Je me déshabillai et me glissai d'un pas rapide sous la douche. Je serrai les dents et fis attention de ne plus regarder le sol.
Alors que j'étais en train de remplir ma main de savon je décidai finalement de ne pas l'utiliser. Parfumer ma peau n’était pas une bonne idée pour la proie que j’allais devenir. En effet, l'odeur prononcée du gel douche permettrait aux chiens de me flairer beaucoup plus facilement, et je n'avais aucune intention de leur faciliter la tâche. Je compris alors que la trousse de toilette n'était pas un cadeau, mais un piège. Les autres condamnés allaient-ils le voir également ou allaient-ils tomber naïvement dedans ? Je décidai de juste faire couler un peu d'eau claire sur ma peau tatouée.
Après une douche rapide et incomplète je m'essuyai énergiquement avec la serviette sentant le moisi que l'on m'avait donné. Décidément rien n'allait dans cette prison. J'attrapai ensuite la tenue de proie que le gardien avait déposée sur un petit banc en face de la douche.
Les vêtements n'étaient pas du tout optimisés pour ce que nous allions devoir affronter. Mon instinct me dit que cela n'avait rien d'involontaire bien au contraire. Le haut de la tenue était composé d'un tee-shirt gris clair et d'un sweat-shirt de la même couleur sur lesquels mon numéro de détenu était floqué. Le tissu – de mauvaise qualité – était extrêmement fin comme celui des vêtements que les filles achetaient à bas prix sur des sites chinois. Le bas n'était qu'un jogging assorti coupé – à la hache – dans la même toile. Ce costume ridicule n'allait ni me protéger du froid ni me permettre de me camoufler dans la nature. Le pire était les chaussures. C’étaient des petites baskets de ville en toile blanche. Il n'y avait aucun doute à avoir. Ils faisaient tout pour ne nous laisser aucune chance. Pas de gants, pas de veste, pas d’imperméable. Nous étions privés de tout ce qui nous était vraiment nécessaire.
Le réchauffement climatique avait déréglé la nature. Les quatre saisons n'existaient plus. Il ne régnait plus qu'un enchaînement rapide et imprévisible d'épisodes de froid glacial et de chaleur extrême. Aucun météorologue n'avait pu établir une logique dans leurs apparitions. L'Homme était dépassé par ce qu'il avait lui-même déclenché. Par malchance, nous étions plutôt dans une période froide. Si je n'étais pas abattu par un chasseur, je mourrais – obligatoirement – de froid, de faim ou pire encore. Si je voulais vivre, il allait falloir que je me montre encore plus malin et agile qu'à mon habitude. La justice allait regretter de m'avoir condamné à la chasse. J’étais prêt à réduire à néant tout son système. Les chasseurs ne me rattraperaient pas. La liberté m’attendait. Je devais en être persuadé.
— Dépêche-toi, m'ordonna le gardien en me menottant à nouveau les poignets. On nous attend à l’étape suivante.
Connard, me dis-je intérieurement. Il me poussa dans le couloir où une odeur de viande grillée apparut. Chaque pas nous rapprochait de ce parfum. Mon estomac se mit à gargouiller car il n'avait encore rien avalé depuis que l'on avait été transférés ici. J'eus l'eau à la bouche en pensant au repas qui m'attendait. Nous avions eu le droit à une dernière douche alors il était logique que nous ayons également le droit à un dernier repas. Aux États-Unis les condamnés à mort avaient même le droit de demander tout ce qu'ils voulaient pour leur ultime festin. Peut-être aurais-je le droit au même privilège ? Alors que je suivais le gardien je réfléchis à la commande que j'allais passer. Un kebab me tentait bien.
— Avance, déclara mon geôlier tout en me poussant dans la pièce qu'il venait d'ouvrir.
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