Fyctia
Manteau Blanc - Partie 3
De toute évidence, cette matière n’était pas dangereuse, sans quoi les guerriers ne seraient pas si détendus. Tôt ou tard, elle devrait se relever et affronter le monde extérieur. Finalement, elle repoussa la cape d’un geste de la main rageur avant de s'asseoir. Elle s’était préparée à voir les chevaux et ses gardiens, mais elle ne faisait visiblement pas face à la bonne direction.
Le paysage qui s’étalait à la place lui coupa le souffle. La plaine était recouverte d’un manteau blanc scintillant sous les rayons de la Lune. Elle voyait au loin une forêt d’arbres pointus, dont le feuillage vert foncé semblait avalé par cette couverture étrange, qui grimpait le long des montagnes aux sommets perdus dans les nuages. Elle reporta son attention sur le sol et tendit sa main vers la matière étincelante qui recouvrait le monde. Froide au toucher, elle s’effrita sous ses doigts et les laissa humides. Le barbare s’accroupit à ses côtés et en a pris une pleine poignée, la comprima d’une pression pour en faire une boule, avant de la donner à Ishta.
« Dame, ça, neige. Froid. Si très froid, pluie devient neige. Tu jamais vu neige ? »
Elle attrapa cette neige que le guerrier lui présentait.
« Non Messire, jamais. Le froid n’est pas très répandu par chez moi. »
Elle fut surprise de découvrir que la neige était devenue dure entre les doigts du guerrier. Comment pouvait-il faire si froid à moins d’une journée en voiture de chez elle ? L’homme se redressa et lui tendit une main qu’elle utilisa pour se remettre sur pied.
« Je s’appelle Einar. Je parle comme toi, un peu. Si tu question, dis à moi. »
Des questions, elle en avait plein. Mais était-elle réellement autorisée à les poser ? Après tout, c’était le jeu préféré de ses frères. Pousser leur sœur à transgresser les règles pour les punir. Il était presque impossible d’y échapper. Si les jeunes filles ne tombaient pas dans le piège, les princes frustrés trouvaient toujours un moyen pour se venger. Il était souvent plus sage de se laisser avoir volontairement. Mais elle ne connaissait pas encore assez ses hommes pour savoir ce qu’ils avaient derrière la tête. Alors elle se tut et suivit Einar jusqu’au feu de camp.
Les huit guerriers y étaient réunis, l’un cuisinait dans une marmite suspendue au-dessus des flammes, l’autre aiguisait un couteau ou réparait une sangle en cuire. La neige autour du feu avait été dégagée et des rondins de bois servaient de siège de fortune. Einar s’installa sur l’un d’entre eux et commença à discuter avec ses collègues. Ishta resta trois pas en arrière, sur sa droite, et se mit en position d’attente, le regard fixé devant ses pieds. Du coin de l’œil, elle pouvait voir la chevelure rousse du guerrier attachée en une longue tresse qui lui tombait jusqu’au milieu du dos. Elle ne put s’empêcher de laisser remonter ses yeux et fut surprise du soin mis dans cette coiffure. Ce n’était pas une seule natte comme elle l’avait d’abord cru, mais un laçage savant d’une multitude de tresses plus fines, agrémentées de perles en argent gravées de motifs complexes.
Elle eut tout juste le temps de détourner le regard alors qu’Einar se tournait vers elle. Il eut un grognement rageur qu’elle ne comprit pas, puis il se tut. Visiblement, il attendait quelque chose d’elle, mais quoi ? Qu’avait-elle fait ? Ou, plus sûrement, que n’avait-elle pas fait ? Devait-elle s’occuper du repas ou du feu ? Les barbares s’en occupaient déjà. Le repas et le feu étaient des taches d’esclaves. Bien sûr, elles faisaient partie de ses apprentissages de future femme, car on ne peut diriger une maison et ses esclaves si on ne comprend pas en quoi consistent leurs devoirs. Mais jamais il ne lui aurait été demandé d’y participer elle-même. Eût-elle été parmi les siens, elle aurait attendu que les hommes aient fini de se nourrir pour se servir à son tour, manger à l’abri des regards et c’était tout. Mais elle n’était plus parmi les siens. Devait-elle prendre le relais ? Comment s’y prendre ? Elle ne pouvait décemment arracher la cuillère des mains du cuisinier pour touiller elle-même le ragoût. Fallait-il alors demander la permission ? Mais cela voudrait dire leur adresser la parole sans autorisation. Ishta, perdue et au bord des larmes, priait pour un miracle.
Un barbare se mit à ricaner :
« Vede come noui sedi nüo ast buono assetti par la sia preciuosa »
La phrase déclencha des éclats de rire autour du feu de camp. Ishta n’avait pas besoin de comprendre la langue pour savoir que le commentaire n’était pas aimable. Einar tapota sur le tronc à côté de lui.
« Dame, mieux c’est manger assis. Toi besoin repos, demain c’est cheval, pas voiture. »
C’était tout ? Il attendait seulement qu’elle s’asseye ? Ce ne pouvait être aussi simple. En même temps, elle n’avait guère le choix. Aussi, alla-t-elle s’asseoir à côté d’Einar, qui reprit sa conversation comme si de rien n’était. La chaleur du feu lui fit du bien et les muscles de son dos se délièrent peu à peu. Les barbares vaquaient à leurs occupations en bavardant tranquillement et l’odeur de la nourriture en train de chauffer emplissait l’air. Bien installée dans l’épaisse cape de fourrure, le sommeil l’emportait quand une main la secoua avec douceur et lui tendit un bol de ragoût.
Elle prit sa portion et vit que tous mangeaient encore. Elle voulut attendre patiemment son tour, mais son ventre protesta violemment. S’attirant une nouvelle fois l’hilarité générale, le rouge lui monta aux joues. Elle ne chercha pas à comprendre plus que ça et avala sa ration à grosses cuillerées. Si elle devait être punie, autant que ce soit pour avoir mangé à sa faim. Mais personne ne prêta attention à elle et l’homme qui l’avait servi lui remplit à nouveau son bol à peine l’eut-elle fini.
Le ventre plein, son regard se porta sur les flammes qui dansaient et elle prêta l’oreille aux conversations. Elle n’avait pas l’habitude d’être aussi près d’un foyer ouvert, dans l’Empire, le feu n’était que rarement utilisé en dehors des cuisines. La douce lumière qu’il dégageait était rassurante. Les hommes parlaient entre eux, plusieurs discussions dans une langue qu’elle ne comprenait pas, se mêlant pour former une mélodie suave, agréable à l’ouïe.
La sérénité qu’elle ressentait la surprit. Son avenir au sein des peuples barbares l’avait tellement tourmentée, qu’elle s’était vue vivre dans l’angoisse et la peur constante. Mais, elle se devait d’être honnête, ces instants étaient parmi les plus paisibles qu’elle n’avait jamais passés. Le contraste avec ces derniers mois de terreur et de douleurs la frappa de plein fouet et elle se sentit submergée. Ses joues se couvrirent de larmes et elle se recroquevilla sur elle-même, attendant des coups qui ne vinrent jamais. Aussi, elle se laissa aller à pleurer, la tête posée sur ses genoux ramenés sous son menton. Les barbares ne pouvaient ignorer ses sanglots, mais aucun d’entre eux ne fit mine de le remarquer.
Quelque part au milieu de son océan de tristesse, le sommeil finit par l’emporter.
6 commentaires
Vassilia Grimanis
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Il y a un an
Ordalie
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Il y a un an
Hiurda
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Il y a un an