leaspreux L'ombre de tes peines 9.1 — Juliann

9.1 — Juliann

Comme si nous étions de retour au lycée, je suis allé aux toilettes et Sacha a prétexté la même envie pressente. Il n'a prononcé aucun mot, il a attendu que je fasse mon affaire, et c'est seulement lorsque nos regards se croisent dans le miroir, pendant que je me lave les mains, qu'il ouvre enfin la bouche.


— Je pense qu'on peut dire que je suis le gars de l'équipe avec lequel tu es le plus proche ?


Sans le quitter des yeux, je frotte minutieusement mes doigts. Oui, on peut le dire. Sacha et moi avons été coéquipiers le temps de plusieurs saisons avant le décès de mon père. Déjà à l'époque je peinais à me faire des amis, aimant trop ma solitude, mais Sacha était le seul à tenter quand même. J'acquiesce d'un mouvement de tête quand je remarque qu'il attend une réponse de ma part.


— Je ne compte pas m'immiscer dans ta vie personnelle, je ne suis pas de ce genre-là. Je ne connais pas les tenants et aboutissants mais si je peux me permettre, Axel a l'air cool. Il discute avec tout le monde, il n'a fait aucune différence entre son équipe et la nôtre. Il ne pense pas qu'il nous écrasera facilement lorsque notre match viendra, il nous respecte et tu sais à quel point c'est rare ces derniers temps.


Je me mets à fixer l'eau qui rince ma peau, silencieux.


— Evidemment, personne ne te demande de faire d'Axel ton meilleur ami puisque de toute façon, tu ne le reverras sans doute pas après ce tournoi. Mais peut-être que laisser des gens t'approcher, ne pas chercher à tout analyser, simplement profiter d'une opportunité de découvrir d'autres têtes, ça pourrait être sympa ? Les raisons pour lesquelles tu ne souhaites pas approche Axel, elles ne concernent que le joueur. Si tu laissais l'humain discuter avec toi ? Te montrer ce qu'il y a d'autre à voir ?

— Pourquoi tu me dis tout ça ?

— Parce que je t'apprécie. Enfin, j'apprécie surtout le Juliann d'avant, pas celui toujours en plein deuil, qui envoie chier tout le monde. J'apprécie celui que tu es au fond de toi, mais que tu as caché depuis longtemps.


Ma gorge se serre, je ne fais pas un mouvement lorsqu'il me tourne le dos et me laisse seul avec moi-même. Je prends une profonde inspiration et attrape du papier pour essuyer mes mains. C'est... Je viens de prendre un coup. Je sais que je ne suis plus comme avant, que voir mon père mourir sous mes yeux m'a changé à tout jamais, mais je sais aussi qu'une petite partie de moi, qui date de cette époque, est toujours quelque part. Simplement, je l'ai perdu. Je ne m'adresse pas un regard dans le miroir, je refuse de voir mon reflet, et rejoins la table. Les cafés qu'avaient commandés Charles et Mathias ont été bus.


D'un commun d'accord, nous allons chacun payer notre part et rejoignons la route. Pendant le repas, Charles nous a confié que si nous montions encore, la vue serait lupus dingue et surtout, ce serait plus calme. Beaucoup moins de monde. Alors nous lui faisons confiance, même si je grimace un peu en découvrant à quel point la côte se révèle pentue. Je suis en bonne condition physique mais grimper, j'ai horreur de ça.


Sacha, Charles, Clément et Mathias mènent la marche et ne semble pas effrayés par ce qui nous attend. Axel est comme moi, il traîne un peu la patte alors je saisis ma chance. Une légère distance nous sépare déjà du premier groupe, nous laissant toute l'intimité nécessaire pour ce que je m'apprête à lui dire. Je n'admets jamais mes tords, ça me rend dingue mais sur ce coup-ci, je suis bien obligé.


— Je suis désolé pour mes mots, tout à l'heure. C'était... super violent, je m'en rends compte.


Je marche à ses côtés et pourtant, il ne daigne pas m'accorder le moindre regard. Je suppose que je l'ai mérité.


— Je suis vraiment nul en relations et... plus particulièrement avec toi. Je t'ai détesté de loin pendant de si longues années, découvrir qu'en réalité, tu es loin de te résumer à tes performances sur le terrain et à ce que je m'étais imaginé de toi, c'est étrange.


— Et ça te donne le droit d'être désagréable en permanence, même quand j'essaie de faire un pas vers toi ?


Axel s'arrête de marcher, je me retrouve contraint de faire la même chose, de subir son agacement sans broncher parce qu'après tout, je l'ai mérité. J'ai agis comme le dernier des idiots, comme je le fais toujours.


— Je ne suis pas maso au point de tendre le bâton pour me faire battre, d'accord ? Je suis revenu vers toi plus d'une fois, va savoir pourquoi, j'ai eu le syndrome du super-héros qui voit un mec perdu et a envie de le secourir. Mais tu m'a fait comprendre que tu ne voulais pas que je sois ton ami, alors ne te force pas. Le message est passé.


Le sourire forcé qu'il m'accorde avant de rejoindre les autres me cloue sur place. Je réalise d'autant plus à quel point j'ai été idiot, même si ce n'est pas ce que je retiens de son petit discours... Un mec perdu ? C'est cette image que je renvoie ?


— T'es déjà fatigué Juliann ?

— Ça la fout mal pour un sportif !


Les mecs ont pris plusieurs mètres d'avance, je reprends mes esprits pour continuer la route qui nous emmène à la piste de parapente censée être vide aujourd'hui. Je prends sur moi pour répondre à leur pique le plus naturellement possible, sans pouvoir m'empêcher de jeter un œil à Axel. Je ne peux pas laisser la situation ainsi, et ça pourrait presque me faire rire de le réaliser. Un coup il vient vers moi, un coup je viens sur lui. Est-ce qu'avant la fin du séjour, nous serons sur la même longueur d'onde ? Peut-être que cette amitié pourrait m'apporter quelque chose de magnifique.


Nous rejoignons la zone panoramique et c'est vrai que la vue est encore plus dingue qu'au restaurant. Cette fois, nous sommes un peu plus haut que les montagnes voisines, le soleil est toujours présent et se reflète sur l'eau bleue. C'est à couper le souffle, je me rends compte de la chance que j'ai d'être ici et de voir ça.


— Merci de nous avoir emmené Charles, je lâche alors que tout le monde est silencieux.

— Avec plaisir. On peut s'approcher encore plus !


Nous le suivons jusqu'à un énorme carré de fausse herbe, servant pour les parapentes et sans même nous concentrer, nous nous asseyons pour simplement profiter de ce qui nous est offert. Il fait bon, mon manteau est ouvert, le vent plus présent qu'au restaurant s'infiltre en dessous, je frissonne un peu.


Sacha se retrouve à côté de moi, je lui donne un léger coup d'épaule.


— Merci pour ce que tu m'as dit tout à l'heure.

— Ça avait besoin de sortir.

— Je t'apprécie vraiment, Sacha. Et je suis désolé de ne pas être vraiment à la hauteur.

— Ne t'excuse pas d'avoir dû dire adieu à une partie de ta vie du jour au lendemain, en plus d'avoir perdu ton père.


Mes lèvres se pincent, je fixe le lac.


— J'espère sincèrement passer au dessus de tout ça, un jour, je murmure, plus pour moi-même que pour Sacha.

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10 commentaires

signofbee

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Il y a 2 ans

Très bon chapitre 🥰

Dianebrm

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Il y a 2 ans

Juliann se rend compte au moins c’est déjà un bon pas en avant..

Hōseki

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Il y a 2 ans

Très bon chapitre !

Mélanie Chloé Sevilda

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Il y a 2 ans

J'aime la réaction d'Axel ! Hâte de lire la suite :)

Sandrine L

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Il y a 2 ans

J'adore 😍 Hâte de lire la suite ❤️

MarionBtk

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Il y a 2 ans

Cool ce chapitre !

Sonnydiary

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Il y a 2 ans

♥♥
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