Fyctia
chapitre 29
Ses constructions gracieuses aux façades de couleur ocre rose, n'avaient rien de comparable aux affreux immeubles moscovites, affichant en plus de leur austère tristesse, une misère narguant les fastes du Kremlin. Timisoara était loin de lui avoir livré ses secrets . Il la découvrit en simple touriste. Il devait apprendre par la suite, ce qui se cachait derrière ces merveilles architecturales, alors laissées à l’abandon et ressentir la menace planant sur un environnement au demeurant serein.
La ville pliait sous le joug d’un gouvernement totalitaire. Sous ses entrailles, couvait une véritable poudrière prête à exploser à tout moment. La révolte mûrissait, en ces groupes de gens, à l’allure de comploteurs croisés au détour des rues, qui se taisaient lorsqu’on les frôlait de trop près.
Ce ne fut qu’en prenant conscience de l’utilité d'une intervention des services secrets français en territoire roumain, qu’Andréas cessa de considérer les lieux, de l’œil complaisant du visiteur.
Le commandant lui avait expliqué en grande partie ce quel serait le rôle à jouer dans le bouleversement qui se préparait. IL lui avait paru facile, comparativement aux autres, missions qui avaient souvent mis sa vie en péril. Du fait qu’il n’était pas contraint d’exécuter quelque basse besogne, il aurait l'avantage de lui restituer son honneur.
Bien que sa tâche d’agent de renseignements lui semblât peu risquée, Guérand ne l’avait pas dépêché en Roumanie aux seules fins de le mettre à l’abri des répressions dont il était l’objet. Il avait à jouer un rôle dans les événements graves qui se préparaient. Sa mission consistait en premier lieu à entretenir des rapports étroits avec la populace de la ville et à observer ce qui s'y passait.
Entrer en empathie avec les occupants de Timisoara était compatible à son tempérament altruiste.
IL avait beaucoup appris lors des randonnée, en compagnie de Lorena. il s'était rendu compte des souffrances endurées par une population soumise aux privations imposées par un tyrannique gouvernement. Elle lui avait désigné, à l'approche des fêtes de fin d'année, les longues files d’attente devant des commerces vendant sous remise de coupons, quelques denrées rationnées, alors que le pays n'était pas en guerre. Il avait constaté qu’il existait dans Timisoara des citoyens engagés prêts à se battre pour leur liberté.
Sa logeuse faisait partie de ces fanatiques. Pianiste virtuose convertie de par les événements, en professeur de musique à l’usage des jeunes filles. Lorena veuve prématurément, dissimulait sous couvert d'une profession légale la virulente activité d'une militante anti-bolchevique. Farouchement opposée au régime Ceausescu; elle haïssait le couple présidentiel, qu’elle avait surnommé l’ogre et l’ogresse. Elle disait avoir assisté à des meetings sportifs parrainés par le dictateur, qui se complaisait à faire évoluer de belles adolescentes fort légèrement vêtues. Elle lui confia que la championne Nadia Comaneci, victime de pressions de la part du despote, avait quitté un poste important à l’échelon gouvernemental, pour fuir au Canada où résidait son fiancé. Ces instants passés aux côtés de sa collaboratrice avait permit à Andréas de se faire une opinion sur ce territoire en état de crise. Il devait en apprendre davantage au terme de d'une journée,qui s'avéra mémorable.
Lorena l'avait convié à prolonger la soirée en sa compagnie. Dans la pièce chaude et intime qu'elle appelait son boudoir, L'ambiance était à la détente. En honneur de son invité, Lorena s'était mise au piano pour jouer la sonate au clair de lune, la musique les enveloppait, aérienne, leur faisant oublier la gravité de l'heure. Andréas sans le vouloir, allait rompre l'alchimie du moment. En jetant un œil sur le quotidien du jour qui traînait sur un guéridon, il était tombé sur une photo du couple présidentiel les représentant entouré d'enfants; le journal affichait en caractères gras: Les protégés du Président:«Il semble les aimer.» avait-il commenté. Maladroite réflexion! Lorena avait fait claquer le couvercle du Pleyel, extirpée de son tabouret, elle affrontait son invité, furibonde. La musicienne inspirée avait laissé choir Beethoven. Devenue une virago déchaînée, elle arracha le journal des mains de l’impudent et alla le jeter sur les quelques bûches qui se consumaient dans la cheminée:«Voilà ce que mérite ce torchon.» vociférait-elle, fulminant de rage. Andréas, stupéfié, pensa: «Et l'on dit que la la musique adoucit les mœurs!
Je ne pensais pas que vous les détestiez à ce point.
dit-il à Lorena cherchant à rattraper sa bévue .
-Ne vous excusez pas, rétorqua elle je n'aurais pas dû m’emporter, cet article mensonger m'a révoltée. Un protecteur, ce suppôt de Satan! ne savez vous pas ce qu'il fait subir à ces petits êtres innocents? Le gouvernement prône les familles nombreuses, pour le moins cinq enfants par foyer. Ceausescu le sanguinaire arrache les nourrissons de santé défaillante des bras de leur mère, pour les parquer dans un de ces orphelinats mouroirs qu'il a fait ouvrir dans le pays. Hitler, cet autre dictateur prétendait en son utopie à une race de purs aryens. Ceausescu, sous prétexte de préserver les enfants bien portants, condamne les êtres décadents, issus du surpeuplement qu'il a institué dans le pays, à une mort lente;séquestrés, sous alimentés et privés de soins.
Lorena ne raisonnait point à la légère. L'horreur a survécu à la chute du régime: à l'époque actuelle, les abandons d'enfants subsistent encore en territoire roumain.
Suite aux édifiantes révélations de Loréna. Andréas comprit dans
les semaines qui suivirent, qu’à l’exemple de Paris, en attente de sa libération, Timisoara était entrée en résistance. Les services secrets français n’étaient pas intervenus en vain, la situation était critique, les comploteurs de l’ombre armaient déjà leurs fusils, n’attendant qu’un prétexte pour les faire parler. L’opportunité d’engager la lutte n’allait pas tarder à se présenter.
Le 16 décembre, au petit matin il fut réveillé par le tintinnabulement des cloches de la cathédrale. Il maudissait ce son lancinant perturbant son sommeil, qui se renouvelait à chaque quart d’heure. Il ignorait que ce jour là, il servirait de prélude à une journée qui s’avérerait cruciale pour les citoyens de Timisoara.
La veille il avait accompagné La roumaine, en dehors des faubourgs de la ville, dans les profondeurs d’une cave, réservée d'ordinaire, à la dégustation des cépages locaux. Il comprit de suite que Lorena ne l’y avait pas conduit pour goûter à des vins, dont il connaissait la réputation. Ce ne semblait non plus, être la motivation des personnes qui se trouvaient dans la salle.
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