Fyctia
CHAPITRE 24 - Joram (Partie 1)
Un gémissement me sort de mon sommeil. Un souffle saccadé, puis une plainte, d'abord comme un murmure, puis de plus en plus aiguë, qui me vrille les tripes instantanément. Quand je descelle enfin mes paupières, mes yeux se posent sur Yousfi, notre compagnon de chambrée, qui dort paisiblement à mes côtés. Ses pieds dépassent de la minuscule couverture qui le recouvre et son souffle paraît calme.
Puis, je tourne le regard vers Aya et mon cœur explose. Il éclate, se brise et ça fait mal.
Trop mal.
Ses petits bras s'agitent dans tout les sens et son corps se cabre sous ses pleurs silencieux. Son visage est déformé par une douleur qui fait écho à la mienne.
D'un geste brusque, je me retire des couvertures et atterris à genoux près du petit lit de l'étoile de ma vie. Des larmes inondent son doux visage et la sueur perle sur son front en fines gouttelettes d'eau. Dans son sommeil agité par de sombres pensées, ses joues rebondies paraissent creusées. Je passe une main sur son visage et l'autre vient recouvrir sa poitrine à l'endroit du cœur.
Il pulse si fort sous mes doigts que j'ai l'impression de le tenir dans ma main et de sentir toute la terreur qui l'habite.
-Chuut....
Je tente d'apaiser ce feu qui la consume de l'intérieur en approchant ma bouche de son oreille et en caressant ses cheveux du bout des doigts. Dans ma langue maternelle, je lui murmure des mots rassurants et tente de contenir la panique qui s'empare de moi.
Parce qu'Aya n'a jamais fait de cauchemar. Pas comme celui-là.
Des cris dans la nuit, des larmes silencieuses qui tracent leur sillon pendant son sommeil ou des réveils impromptus.
Mais pas ça.
Cette agitation brutale, comme un trop plein d'émotions qui déborde et l'emporte.
-Aya, c'est Joram, calme toi...chut.
Mes mains tremblent et ma voix trahit mon trouble, mais plus que tout je veux qu'elle se réveille pour éviter à son âme de se perdre. Je connais ces cauchemars. Toutes les nuits des visions de l'enfer traversent mon esprit.
La guerre. Mes parents. Les décombres. Les hurlements, la fumée et les flammes.
Et surtout, ce jour là. Celui où j'ai pris la décision de fuir. Où des corps meurtris sont tombés juste devant mes yeux, où un bombardement a dévasté mon quartier, quelques semaines seulement après l'assassinat de mes parents.
Avais-je le choix ? Aujourd'hui je sais que non.
Mais ai-je fait le bon ? Seul l'avenir pourra nous apporter cette réponse. Faut-il encore y croire.
Je ferme les yeux tout en cajolant ma petite sœur.
Je revois tout. A la perfection. Des images qui balayent en une fraction de seconde tout l'espoir qui sommeille en moi. Et ma poitrine se comprime de savoir qu'Aya vit la même chose à cet instant.
C'est trop dur pour son esprit fragile, et je ne sais pas comment réagir.
Dois-je la laisser exorciser ses peurs ? Laisser ses souvenirs submerger son subconscient pour ensuite s'en libérer ?
Je ne sais plus...
Alors je continue de lui chuchoter des paroles réconfortantes. La seule chose dont je sois capable tant son chagrin me fait mal.
C'est au bout de quelques minutes que mon acharnement porte ses fruits. Son corps se relâche et Aya semble reprendre son calme. Je dégage quelques mèches de cheveux qui lui barrent le visage et l'embrasse tendrement sur la joue quand elle ouvre enfin les yeux.
Son regard se perd au loin. Elle fixe longuement le plafond tandis que je lui prends la main.
Elle tourne son visage tourmenté vers moi. Ses sourcils se froncent et ses lèvres se pincent. Soudain, comme si elle remettait en place les pièces d'un puzzle, elle se met à pleurer à chaudes larmes. Ses bras frêles entourent ma nuque et elle s'accroche à moi comme à une bouée de sauvetage. J'ai l'envie de pleurer aussi mais je retiens toute ma peine.
Juste pour elle.
Parce qu'on est deux à se battre, et dans les moments où j'ai cru ne jamais y arriver, c'est Aya, qui en silence et du haut de son jeune âge ma tenu la main et m'a donné la force de continuer à avancer.
Alors, cette nuit c'est à mon tour d'être son pilier.
On a le même combat.
Celui de l'absence, de la fuite et d'un destin brisé.
-Je suis là ma puce. Ça va aller.
Je sens ses larmes dans mon cou. Son corps secoué de sanglots. Et cette sensation me ronge de l'intérieur.
Je ne veux plus qu'elle ai peur. Je ne veux pas qu'elle doute.
Je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour qu'elle puisse sentir ce sentiment de sûreté qui m'a moi-même enveloppé quand j'ai foulé le sol Français.
Cette sensation de me sentir enfin hors de danger. Parce que c'est seulement quand nous en sommes privés, qu'on se rend compte à quel point notre sécurité est fragile.
Précieuse. Et qu'il faut à tout prix la préserver.
Aya se rendort enfin, et lentement je me cale dans son lit, tout contre elle. Mon nez dans ses cheveux, sa main dans la mienne.
Nous sommes comme deux naufragés que l'enfer rattrape à grands pas une fois la nuit tombée.
Je sers Aya contre moi et c'est après de longues minutes silencieuses, à tenter de calquer ma respiration sur la sienne, que le sommeil m'emporte enfin.
********
-Joram ?
-Joram ?
Une main puissante vient secouer mon épaule et j'ouvre les yeux si vite que la lumière du soleil qui passe par la minuscule fenêtre, m'éblouit d'un coup. Pour faire barrage, je place mon bras devant mon visage. La voix de Yousfi me sort de ma torpeur.
-Hé ! Désolé frère, mais il y a quelqu'un pour toi.
Je jette d'abord un œil vers Aya qui dort à mes côtés, le nez enfoui sous la couette. Je dégage lentement mon bras glissé sous elle et tente de ne pas la réveiller. Son souffle est paisible et je veux qu'elle profite enfin d'un vrai sommeil réparateur.
Une fois libre de mes mouvements, je me redresse et pose mes yeux sur mon compagnon Malien qui m'observe toujours. Il effectue un mouvement de tête vers la porte et tourne les talons en direction de son propre lit.
Je n'ai aucune idée de l'heure qu'il est, et mon esprit met du temps à sortir de sa léthargie. J'ai comme l'impression de ne pas avoir dormi tant les souvenirs de cette nuit sont encore frais. Sans attendre, je me lève et me dirige vers la porte de la chambre restée entrouverte.
Soudain, une tête passe par l'embrasure. Un joli visage, frais et souriant. C'est à ce moment que je me rends compte que je ne porte rien d'autre que mon jogging en coton gris. Je n'ai pas le temps d'attraper un tee-shirt, qu'une voix douce m'interpelle :
-Joram., je suis désolée de te réveiller. Peut-on se voir rapidement ?
18 commentaires
CaroMélu
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Il y a 7 ans
Morganou
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Il y a 7 ans
alexia340
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Il y a 7 ans
Maloria
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Il y a 7 ans
Sylvie De Laforêt
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marianne07
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Char Lène
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Il y a 7 ans
SFANS
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Il y a 7 ans