Fyctia
CHAPITRE 23 - Louise (Partie 1)
Sa barbe rappe mes paumes quand je les fais glisser sur ses joues. Ses deux billes transparentes me fixent et j'y plonge volontiers le regard. Nous restons ainsi quelques minutes, à nous sonder, chacun analysant ce que l'autre tente de lui dire silencieusement.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, c'est ce moment qui me chamboule le plus. Ses caresses et notre baiser m'ont enivré de plaisir. Un plaisir primaire, qui m'est apparu comme un exutoire. J'y ai déversé ma rage et ma tristesse de ne pas pouvoir affronter mon passé comme je le voudrais.
Et j'ai plus qu'apprécié ce tête-à-tête, même si je sais pertinemment que c'est une grossière erreur.
Pour autant, notre conversation silencieuse m'apparaît bien plus intime. J'ai l'impression qu'il lit en moi comme personne. Et le plus hallucinant, c'est que ça ne me gêne pas.
Avec Joram, j'ai envie de me révéler et de donner un peu de moi. De mon cœur. De mon âme, même blessée.
Tandis que je quitte son visage des yeux pour reprendre ma besace toujours posée au sol, il se lève et me chope la main.
Il est bien plus grand que moi, et quand il s'approche je dois lever les yeux pour accrocher son regard une nouvelle fois. Quand je sens sa chaleur me réchauffer l'épiderme, mon cœur accélère sa cadence dans ma poitrine. Il me toise et rapproche son visage. Je crois qu'il va encore m'embrasser, et même si nous ne sommes plus seuls dans cette cour sombre, je mentirais si je disais que j'aurais la force de le repousser.
Mais au lieu de m’étreindre un seconde fois, son murmure me parvient, tandis que son souffle chaud caresse mes pommettes :
-Pourquoi me remercies-tu ?
Sa question me surprend. Je hausse les épaules comme une gamine gênée qui ne sait pas quoi répondre à la connerie qu'elle vient de débiter.
Comment m'exprimer sur tout ce qui se joue en moi à cet instant même ? Après tout ce qu'il vient de traverser, je n'ai pas le droit de lui balancer égoïstement que mon âme est aussi abîmée que la sienne.
Que je ne vois plus que des murs quand on me parle de futur.
Que je marche tel un funambule, happée par ce vide immense qu'est mon passé.
Il m'est impossible de lui avouer que je le remercie pour cet instant pendant lequel je n'ai pensé qu'à lui. Ça serait m'ouvrir encore un peu plus et j'ai la trouille.
Tout ça serait bien trop douloureux, et je ne veux pas qu'il puisse y voir un quelconque espoir.
Alors, je conserve ce silence que j'aime tant entre nous et étire mes lèvres en un fin sourire. Il ne réagit pas et serre ma main dans la sienne. C'est moi qui brise ce moment étourdissant d'émotions.
-Bonne nuit Joram.
A ces mots, je dépose un léger baiser au coin de ses lèvres et tourne les talons. Il ne bouge pas, et je sens son regard sur moi tandis que je presse le pas vers l'accueil, où mes collègues doivent m'attendre.
La fuite. Encore et toujours.
J'ai envie de pleurer tant mon cœur se serre. Parce que là, tout de suite, je me déteste d'être aussi sensible.
Je me hais de ressentir autant d'attirance.
Bordel, je deviens une abrutie de romantique et je dois à tout prix me ressaisir.
Quand j'entre dans le hall d'accueil, Caroline et Héléna sont toutes les deux derrière le comptoir et s'affairent à ranger des papiers accumulés par piles entières autour d'elles. Je les salue brièvement et m'en vais me dessaper dans la remise. C'est aussi un vilain subterfuge pour reprendre un peu de contenance après toutes les émotions passées qui m'ont littéralement mise sans dessus dessous.
Quand je sors les rejoindre, Héléna m'interpelle :
-Ah, Louise, ce soir, pas de maraude.
Je la regarde un instant en arquant les sourcils. Elle reprend :
-L'équipe d’Emmaüs s'en charge. Ils sont dans le quartier.
Je souffle. Les nuits de maraude sont ce que je préfère ici. Arpenter les rues, les camps clandestins et apporter du réconfort, des conseils et de l'écoute à ceux qui en ont besoin fait ressortir un tas de sensations en moi. Des sensations que je laisse exploser au contact de ces personnes en détresse, et que je tente de museler dans ma vie quotidienne.
Est-ce aussi pour ça que je me sens différente avec Joram ? Est-ce sa détresse qui m'humanise à son contact ?
-Louise ?
Héléna continue de me parler et agite nerveusement sa main devant mes yeux :
-Du coup, tu vas pouvoir rentrer chez toi. On continue de trier les différentes listes avec Caro, et ensuite on fera l’accueil de nuit.
Je fronce les sourcils.
-Mais, je n'ai pas travaillé depuis deux jours. Il n'y a pas besoin d'aide ailleurs ?
Ma binôme soupire et jette une œillade à Caro, qui dirige l'équipe. Celle-ci prend appui sur ses coudes et enchaîne :
-Va voir du côté des chambres. Il me semble que Laurent et Chris ont besoin d'un coup de main.
J'acquiesce de la tête. Mon rôle ici n'étant pas prédéfini puisque temporaire, je sais que je peux à tout moment être amenée à effectuer des tâches aussi différentes les unes que les autres. Ce qui en soit, ne me contrarie pas.
Mis à part ce soir.
J'aurais préféré sortir d'ici et partir à la rencontre des plus démunis. J'ai une furieuse envie de me changer les idées et trier des couettes et ranger des tentes ne m'apparaît pas forcément suffisant pour me faire oublier celui qui hante mes pensées.
C'est sans un mot de plus que je pars en direction du bâtiment principal pour rejoindre mes collègues. Quand je passe devant la chambrée de Joram, une pulsion soudaine m'arrête.
Dort-il ?
Comment va Aya ?
Que doit-il penser de moi ?
J'ai encore pris mes jambes à mon cou en tentant vainement de dissimuler mes émotions. Mais ce que j'ai lu dans ses yeux me fait dire que j'ai tout foiré.
Il comprend.
Et je m'en veux. J'interviens dans sa vie, chamboule ses émotions comme un éléphant dans un jeu de quilles et je prends la fuite. C'est dégueulasse mais je n'arrive pas à contrer ce feu qui m'embrase quand il est près de moi.
Je ne peux rien lui donner de plus que ces baisers enflammés. Mon cœur est cadenassé.
Alors pourquoi tout ce cirque ?
Toutes mes interrogations ricochent dans mon esprit et me font tourner la tête. Ma cage thoracique se comprime, tandis que j'hésite à frapper à sa porte. Il est juste là, certainement blotti dans son lit.
Je ferme les yeux et repense à ses mains sur ma peau. Ses lèvres tendres, cette légèreté qui s'empare de moi quand je suis dans ses bras.
Je frissonne. Bordel, je perds la tête.
-Hey Louise ! On a besoin d'aide dans la remise, tu nous rejoins ?
Je sursaute, comme prise en flagrant délit.
Deux fois dans la même soirée, je vais finir par me faire griller. Je secoue la tête mécaniquement pour me remettre les idées en place et arbore un sourire en direction de Laurent qui m'interpelle depuis l'autre bout du couloir.
-Ouais. J'arrive !
Je reprends ma marche, non sans un pincement au cœur. Est-ce une belle connerie de penser à quoi ressemblerait une nuit auprès de Joram ?
La réponse est oui, sans aucun doute.
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alexia340
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Myjanyy
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CaroMélu
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