Myjanyy L'horizon libre CHAPITRE 7 - Joram

CHAPITRE 7 - Joram

Des lumières. A l'infini. Aussi étendues et majestueuses que la voûte céleste qui n'a cessé de nous guider jusqu'ici. La vie, fraîche et pétillante, grouille. Partout. J'entends un concert de klaxons, j'admire les trottoirs bondés, même à cette heure de la soirée. Les frissons qui parcours mon échine ne me font plus trembler mais m'indiquent que le soulagement est proche.


Après notre traversée en mer jusqu'à Lesbos, nous avons marché des heures, réuni par petits groupes. Accompagné de mes partenaires d'infortune, nous avons parcouru notre chemin, parfois quinze heures d'affilées. Les pentes escarpées, la pluie et les ravins n'ont pas eu raison de mon courage.


De notre courage à tous. Et surtout celui d'Aya qui n'a pas failli une seule seconde. Plusieurs fois, j'ai senti ses larmes dans mon cou, sa respiration saccadée et les battements, anormalement rapides de son petit cœur. Mais elle n'a rien lâché. Nous avons progressé, main dans la main.


Accompagné de son ours brun.


Nous avons rejoins avec beaucoup de mal et d'efforts, Thessalonique dans le Nord de la Grèce. Déjà à ce moment, mon corps a sonné la tirette d'alarme. Les muscles endoloris, la fatigue et les maux de tête incessants m'ont souvent rappelé à l'ordre. Je n'ai pas pu les ignorer, mais j'ai continué d'avancer en priant tous les Dieux du Ciel de me laisser avancer.


Tenter cette chance qui me tend les bras.


Comme ce soir, j'ai souvent contemplé les étoiles. Les mêmes dans le monde entier. Les mêmes qu'à Alep, d'où mon père peut nous protéger. Je crois y déceler des signes de LUI. Comme pour me dire de continuer ce combat. Je m'accroche comme un fou à ces étoiles scintillantes comme d'autres se raccrochent à leurs croyances.


Nous avons tous besoin de croire en quelque chose de meilleur. D'utopique. C'est ce qui nous aide à ne pas sombrer dans les moments qui paraissent les plus atroces de notre vie.


Jusqu'aux prochains.


La peur ne me quitte plus. Je sens encore cette terreur, inconnue, m'emplir les veines et jouer avec mon cœur. Je la connais bien maintenant. Elle fait partie de moi et y est logée à jamais, c'est certain. Les nuits dans les refuges pour migrants où la crasse et le manque totale d'hygiène m'ont appris à ne plus jamais sous estimer aucun être humain.


Ou au contraire à ne plus en surestimer certains. L'Humanité n'est pas faite pour vivre dans ces conditions. Parqués, enfermés, contraints... Mon estime a été piétinée, ma vision du monde a été au plus bas dans ces moments là, où je me suis le plus inquiété du sort d'Aya.


Sa vie de petite fille est brisée à jamais. Par les bombes, par la mort de ses proches, par ce périple qu'elle endure pour une vie meilleure. Je suis responsable de son bonheur et dans ces instants de souffrance je n'ai jamais cessé de me dire que je me ferais pardonner.


Le camion qui nous a fait illégalement traverser la Serbie, entassés comme des moins que rien dans le fond de sa remorque nous a empêché de nous trouver aux mains des forces armées qui protègent le territoire. Nous avons suffoqué à la fumée noire qui envahissait notre maigre espace et nous n'avons pas vu une seule fois la lumière du jour pendant nos soixante douze heures de voyage.


Pas une seule fois durant ce trajet, je n'ai pu voir le guide imaginaire qui me faisait tenir jusque là. Je me suis senti vide, seul et éploré. J'ai pleuré en silence pendant le sommeil d'Aya. Mes faiblesses ont été décuplées quand je l'ai vu, cette nuit là, me regarder de ces grands yeux verts. Silencieusement, elle me criait de tenir le cap, de ne pas abandonner.


Je l'ai serré si fort que j'ai cru la briser.


Comment une enfant de sept ans peut-elle vous dicter la vie ? Vous donner une leçon de courage et de force extrême ?


Elle sera mon exemple à jamais.


Sur tous les passagers présents lors de la traversée, nous n'étions plus que sept. Un chiffre dérisoire, triste et pathétique, qui, pour sûr sera noyé dans les statistiques mondiaux de notre exode. Mais les autres ? La réalité est bien plus cruelle


Certains ont préféré rester en Grèce, aux mains bienveillantes des associations dirigées par l'ONU. D'autres n'ont pas eu notre chance et se sont retrouvés emprisonnés. Parfois même battus par ces hommes déshumanisés, qui sont censés faire régner l'ordre.


Mon cœur et mon âme saignera toujours pour eux.


Notre voyage clandestin en semi remorque s'est terminé en Croatie, où nous nous sommes faits arrêtés. C'est là que j'ai perdu mon compagnon du départ. Ahmed. Cet homme qui m'a serré la main comme si j'étais son propre fils pendant notre panne en pleine mer, et qui n'a cessé de prier pour que notre parcours soit le meilleur possible. Je lui dois énormément. Sa présence, sa bienveillance et l'amour inconditionnel à sa religion nous a permis d'y croire. De croire qu'à chacune des mauvaises passes, nous pouvions nous en sortir. C'est avec déchirement que je l'ai laissé à Zagreb, épuisé.


Je sens encore dans mes paumes ses mains chaudes et ridées qui ne cesseront à jamais de me guider.


Nous avons passé la frontière Italienne, éreintés. Tels des zombis notre groupe n'a pas survécu. Je me suis retrouvé seul, sans filet. Aya m'a suivi et m'a fait confiance. Ours brun aussi. Notre arrestation près de Milan nous aura conduit a un bien presque aussi exquis qu'un soleil brûlant en plein hiver. Un lit. Nous avons passé deux jours au poste. Et nous avons pu humer le linge propre, et prendre du repos. Même précaire.


A Modane, un Kurde en fuite lui aussi, rencontré à la gare routière, m'a permis d'établir un choix que je ne pensais pas devoir faire un jour malgré toute la confiance que j'avais en ce périple.


La France, la Suède ou le Royaume-Uni. Grand dilemme de tout réfugié.


Comme un gamin, les yeux plein d'étoiles et en toute confiance, j'ai choisi Paris. Cette ville aux multitudes de lumières.


Celle que mon père chérissait tant.


Une civilisation et un sentiment de sécurité que j'aurais presque oublié.


Aujourd'hui, je me trouve sur l'un des trottoirs de cette capitale rêvée, près d'un centre pour migrants qu'un autre réfugié m'a indiqué. Ce soir, j'ai besoin d'aide. Les mains sur les épaules d'Aya, je regarde une fois de plus les astres éclatants dans ce ciel noir du début de soirée.


Je presse mes doigts sur la peau fragile de ma petite sœur et je lui murmure :


- Aya, nous y sommes.


Elle recule d'un pas et frotte sa petite tête contre mon torse. De drôle de sentiments m'envahissent.


Soulagement. Frayeur. Fierté. Peur. Je ne sais pas vraiment.


Alors que j'avance en direction de la lumière qui indique que le refuge est ouvert, je ne sais qu'une seule chose.


IL est fier de nous.


J'en suis certain.

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18

18 commentaires

Alicia Monteiro

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Il y a 7 ans

Tes chapitres sur joram me foutent la chair de poule a chaque fois que je lis. Tant d'émotions. Tant de vérité je suis bluffée ♡

Myjanyy

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Il y a 7 ans

merci...

Sylvie De Laforêt

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Il y a 7 ans

Magnifique...

Myjanyy

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Il y a 7 ans

merci... en effet bien arrivé mais le chemin est encore long. Louise va prendre soin d'eux mais va vite prendre peur....

GlassKiller

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Il y a 7 ans

Toujours si beau ! Je suis tellement rassurée qu'il soit arrivé... Maintenant j'espère que Louise prendra bien soin de lui et d'Aya

Myjanyy

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Il y a 7 ans

tout compris !! merci ;)

x-zanita

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Il y a 7 ans

Raaaah, je l'aime beaucoup lui ! Son amour pour sa nièce, sa force pour continuer, ses pensées, son envie de vivre...! Et j'aime ton histoire, j'aime qu'il y ai une moral, que cela parle de migrants, un public qui est trop souvent discriminé à tord... Ce qu'ils vivent est horrible, il faut comprendre qu'ils partent et fuient leurs pays! Ils sont jugés à tord et à travers... Ok, certains sont mauvais, mais il ne faut pas les mettre dans le même panier...

Myjanyy

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Il y a 7 ans

merci :)

SFANS

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Il y a 7 ans

Bcp d'émotions encore...

Samantha Beltrami

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Il y a 7 ans

Que d'émotions, mélange de sentiments qui intensifie la scene. Je suis toujours aussi touchée par cette petite fille pleine de courage et qui ne dit jamais rien. Elle accepte la situation et ils s'accrochent l'un à l'autre.
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