Fyctia
CHAPITRE 5 - Joram
L'air salin s'infiltre sous mes vêtements et me pique la peau. Je sens le froid envahir la moindre de mes veines. Je serre le petit corps d'Aya contre le mien. La pauvre tremble de tous ses membres et je me raccroche aux battements de son cœur qui me disent qu'elle est toujours avec moi.
Cette simple idée me rassure.
Un jeune homme à peine plus âgé que moi, dans la vingtaine, se dirige vers le moteur du bateau. Ses pas, lourds, font tanguer l'embarcation et je me fige pour ne pas tomber à l'eau. Mes muscles se raidissent instinctivement et me brûlent de douleur. Malgré l'obscurité, la nuit est claire et des milliers de petites étoiles scintillantes illuminent le ciel. Je lève mes yeux vers ce plafond noir qui nous tient compagnie depuis bien trop longtemps. Les points lumineux forment comme un rideau de paillettes qui se reflètent sur l'eau en mouvement.
Comme un rappel à la vie.
Aya se presse contre ma poitrine, son ours brun toujours à la main. Elle a peur mais ne dit rien. Je suis tellement fière d'elle. Son courage, pour son si jeune âge est une véritable adrénaline qui me pousse à continuer.
A nous sauver.
Les deux hommes à l'avant du bateau parlent en chuchotant, comme si briser le silence qui règne à ce moment pouvait porter malheur. J'entends qu'ils enlèvent le cache moteur du zodiac et qu'ils bricolent quelque chose. Je me sens si coupable de ne pas pouvoir les aider que ma respiration se fige à chacun des bruits de métal que je perçois.
Je ne veux juste pas lâcher Aya. Alors, je patiente. Comme les autres.
J'attends le sort que me réserve la vie. Ai-je véritablement le choix ?
Soudain, j'entends de légers frottements. Des chuchotements, des soupirs. Je sens l'ambiance s'alourdir encore un peu plus. Dans cette nuit noire parsemée d'étoiles, nous n'y voyons pas grand chose. Tous mes sens semblent sur-développés. Et c'est la panique qui gagne notre groupe qui me met le plus mal à l'aise.
Tout à coup, j'ai l'envie de crier. De faire éclater cette bulle de silence pesante, pour prodiguer à mes compatriotes de voyage des paroles rassurantes. Des mots forts, pour ne rien lâcher. Pour motiver les troupes.
Mais je n'en fais rien, puisque je suis coupé dans mon élan par le ronronnement du moteur qui reprend vie. Comme une ultime victoire nos mains se joignent et nous applaudissons. Le bruit résonne dans la nuit et forme un écho surprenant. Et même si j'espère ne plus jamais devoir revivre cette traversée, je sais que ce moment restera à jamais gravé.
Le mouvement du bateau reprend brutalement et beaucoup d'entre nous manquent de chavirer par dessus bord. Je me cramponne au plastique à m'en faire mal aux doigts. Mes phalanges ne semblent plus irriguées et des fourmillements apparaissent dans mes mains. Je ferme les yeux et écrase ma bouche sur le haut du crâne de ma petite sœur qui tremble toujours autant. Quand je me baisse à sa hauteur, je me persuade que ce sont les rayons de la lune qui donnent à ses lèvres cette teinte violacée. Mais au fond je sais pertinemment que le froid la tétanise autant que moi. Une boule prend forme au creux de mon estomac.
Je lui demande tout bas :
- Ça va ma puce ?
Elle acquiesce lentement et ses cheveux me chatouillent les narines. Je ne dis plus rien mais la presse si fort contre moi qu'elle comprend que mon amour pour elle ira toujours bien au delà de cette terrible traversée.
Je n'ai plus aucune notion de temps. Depuis combien d'heures sommes-nous sur ce bateau ?
Quatre ? Cinq peut-être...
Depuis notre fuite, ma propre horloge biologique déraille complètement. Comme si elle s'était mise sur veille pour s'économiser. Alors quand un cri déchire la nuit à mes côtés, je sursaute. Je plisse les yeux, qui, habitués à la pénombre, ne mettent pas longtemps à discerner une bande claire à l'horizon.
Je sens mon cœur battre si fort dans ma poitrine que mon souffle se coupe.
Les côtes.
Nous y sommes.
Les applaudissements reprennent mais se tarissent aussitôt. Nous nous devons d'être aussi discrets que possible. Mon adrénaline reflue rapidement. Celle de la fuite, de la cavale et du stress. Celle qui ne m'a pas quitté depuis ces trois dernières semaines.
Celle qui me pousse à me dépasser. Pour ELLE.
Aya comprend elle aussi et je sens sa respiration devenir plus normale et régulière.
Quand le bateau se stoppe enfin, j'ai l'impression d'être assis depuis des jours entiers. Les passagers à l'avant, descendent, et le bruit de leur premiers pas sur les galets me fait frissonner. Le réalisme de cette nuit est tellement précaire que je suis certain de ne jamais pouvoir expliquer toutes les émotions qui me traversent le corps et l'esprit à ce moment là.
Plusieurs hommes sautent par dessus bord pour rejoindre la terre ferme. De mon côté je patiente que mon tour arrive. Je ne veux prendre aucun risque pour Aya que mes bras portent toujours.
Il faut dire aussi que je ne sais pas nager et la peur de l'eau me broie les tripes.
Je hisse ma petite sœur sur mes épaules et entreprends de marcher le plus lentement possible pour ne pas tomber. Mais je sens l'empressement se joindre à la peur et il me faut avancer plus vite.
L'homme assis à mes côtés nous aide à descendre et quand mes pieds foulent le sol, une sensation de liberté prend possession de tout mon être.
- Vite...Vite, on va se faire repérer !
Et même si j'entends les murmures de mes compères de voyage à mes côtés, qui semblent bien loin des mêmes pensées que moi, je prends quelques secondes et lève le nez en direction des étoiles.
Parmi la multitude qui scintillent, je sais que celle de mon père nous a guidé sur le chemin du renouveau.
Je ne doute pas que la route est encore longue. Que le danger n'est jamais loin, mais dorénavant, je sais qu'il veille sur nous, quelque soit l'endroit. Il sera toujours là. Les souvenirs sont ineffaçables.
Alors, je sers la main d'Aya très fort dans la mienne et m'engouffre dans la pénombre, rejoignant le petit groupe qui patiente et murmure une dernière fois en direction de la mer, comme un message à cette frontière imaginaire, et comme un message à Papa :
- Merci.
25 commentaires
Alicia Monteiro
-
Il y a 7 ans
Myjanyy
-
Il y a 7 ans
Mogadarr (Mo Gadarr)
-
Il y a 7 ans
Myjanyy
-
Il y a 7 ans
GlassKiller
-
Il y a 7 ans
Myjanyy
-
Il y a 7 ans
x-zanita
-
Il y a 7 ans
Myjanyy
-
Il y a 7 ans
SFANS
-
Il y a 7 ans
Myjanyy
-
Il y a 7 ans