Fyctia

Elhena.

Je me surprends à détailler Rosco. Je le connais si bien, il a été mon protecteur dès ma naissance, mais cet homme m'impressionne toujours autant. Je semble bien ridicule à ses côtés. Malgré mon mètre soixante-quinze, je suis insignifiante et menue, comparée à lui. Il mesure presque deux mètres et son entraînement physique régulier lui a permis de se forger une carrure incroyable. Il est certain que nous ne passons pas inaperçus lors de nos balades. Rosco n'est pas réellement du genre à se fondre dans la foule. Sa massive silhouette n'est pas discrète pourtant, il réussit à me suivre et très souvent, je ne le remarque même pas. J'ignore quelles sont ses origines, mais il est facile de se rendre compte du statut de métèque de mon ami. Avec sa peau tannée et ses tenues particulières, les habitants d'Athènes n'ont aucun mal à imaginer les contrées lointaines l'ayant vu naître. Je réalise alors ne pas avoir beaucoup d'informations à propos de la vie de Rosco avant qu'il n'entre au service de ma famille. Je sais qu'il a été désigné pour me protéger et mes parents possèdent une totale confiance en lui et en ses capacités. C'est un combattant hors pair. Il manie le sabre, une sorte d'épée courte et courbée venant de chez lui, depuis qu'il est enfant. Je ne souhaite en aucun cas avoir à l'affronter ! Vif, rapide, efficace, il met à terre ses ennemis en un claquement de doigts.

J'aurai quinze ans dans douze jours, je pense donc que Rosco est lié à ma famille depuis toutes ces années. Je n'ose pas lui demander comment et pourquoi il est arrivé ici. Être un métèque n'est pas ce qu'il y a de plus facile à Athènes. Ce sont des hommes libres, certes, mais ils ne peuvent exercer d'activité sans avoir un citoyen qui soit leur référant. C'est mon père qui assume ce rôle pour Rosco. C'est aussi lui qui règle le métoikion auprès du Roi. J'estime cela aberrant d'avoir institué un impôt spécifique pour les métèques ! Ils sont loin de chez eux, ils n'ont aucun droit politiques et l'impossibilité de posséder des terres. N'est-ce pas déjà suffisant !?

Mon regard s'attarde sur la cicatrice de Rosco, au niveau du sourcil droit. Il a eu de la chance, un peu plus et il perdait son œil ! Cela lui donne un charme incontestable. D'ailleurs, je ne suis pas aveugle, je remarque nettement les yeux de velours et les sous-entendus de certaines jeunes femmes. C'est véridique, mon protecteur est beau, grand, fort et musclé. Ses longs cheveux d'ébène, attachés au niveau de la nuque, ses yeux sombres en amande et son sourire espiègle le rendent attirant. Les gloussements des demoiselles n'aboutissent pourtant pas à l'effet escompté, jamais je n'ai vu Rosco avec une femme. Peut-être préfère-t-il la compagnie de jeunes et beaux hommes ? Il parait qu'au palais, plusieurs proches de la famille royale n'hésitent pas à afficher leur préférence pour les personnes du même sexe. Je ne sais pas, mais je n'ai en aucun cas vu Rosco accompagné. Seul, c'est ainsi qu'il est immanquablement. J'espère qu'il n'est pas malheureux.

– Rosco, tu te sens bien à Athènes ?

– Oui, j'apprécie cette cité. Contemple, admire la ville blanche à nos pieds. Qui peut dire qu'il n'est pas bien ici ?

Athènes, la cité immaculée... Je la regarde, s'offrant à nous. Ces bâtisses blanches, ses rues étroites, son Agora grouillant de monde, son rocher sacré de l'Acropole où trône le Parthénon, dédié à la Déesse Athéna ou encore l'Erechthéion et ses colonnes en hommage aux Caryatides. Un mot unique me vient spontanément, sublime. Cette ville est à la fois majestueuse par son immensité et étonnante par sa simplicité. Le palais du Roi, proche du Parthénon est d'une taille plus que raisonnable. La couleur blanche, symbole de la cité, est présente dans le moindre recoin. Les bâtiments, les tissus des commerces, les tentures officielles et les tenues des habitants, tous arborent la teinte immaculée.

– C'est vrai, c'est une ville splendide, avoué-je, mais tu n'es pas d'ici, tu n'as pas envie de rentrer...chez toi ?

– Chez moi, c'est là où tu te trouves Elhena. Je ne te quitterai pas, telle est ma mission.

– Donc, où je pars, tu m'accompagnes ?

– En effet, tu vas devoir me supporter encore longtemps ! allez, rentrons, Milo doit être réveillé et affamé.

De retour dans la maison ravissante dans laquelle je vis avec ma famille, j'entends Milo râler. Assis, la mine boudeuse, les yeux encore embués de sommeil, mon petit frère n'aime pas être réveillé de si bonne heure. Son visage s'adoucit dès qu'il me voit. Du haut de ses presque sept ans, Milo ressemble déjà énormément à notre père. Les mêmes cheveux très bruns et ce regard ne trompent personne, mon jeune frère ne peut nier ses origines. Tout comme moi d'ailleurs. Non, je n'ai pas hérité des traits paternels. Je dois mes longs cheveux blonds foncés et mes grands yeux bleus à ma mère et à nos ancêtres gaulois. Je dois dire que mon père a frappé un grand coup en épousant une ancienne esclave venue de Gaule. Héritier d'une famille noble de la ville, il a réussi à faire respecter son choix et à faire accepter son épouse, Malysa. Un homme de caractère, mon exemple à suivre.

Après avoir installé Milo face à son repas, je prépare le nécessaire pour les leçons du matin. Techniquement, seuls les petits garçons reçoivent une éducation intellectuelle. Les filles apprennent à tenir un foyer et à gérer les domestiques. Ici, les choses diffèrent un peu. Je ne suis pas une jeune femme me contentant de suivre les directives. J'ai envie d'apprendre, je veux apporter quelque chose à la société. Rester à la maison, me trouver un mari, faire des enfants et former ma fille, très peu pour moi ! Je trouve ridicule de ne pas laisser la même opportunité à chaque individu. Par conséquent, moi aussi, je suis des cours. J'ai la chance d'avoir des parents aimants et compréhensifs. Je suis une privilégiée. C'est loin d'être le cas de tous...

Mes pensées me font analyser les injustices et inégalités de mon peuple. Les métèques, les esclaves, les femmes... Je suis consciente de ne rien pouvoir faire pour améliorer les conditions de vie de toutes ces personnes. Je veux juste réussir à poser ma petite et humble pierre à l'édifice. Je veux montrer que les choses peuvent changer. Je vais devenir négociatrice pour le Roi. Je sais qu'aucune femme n'a jamais exercé ce rôle, mais je suis tenace et déterminée. Notamment, je n'accepterai pas un mariage avantageux. Je choisirai celui qui deviendra mon époux et surtout, je montrerai l'exemple à toutes les jeunes femmes de la ville. En attendant, j'étudie avec assiduité. J'espère le moment où mon père aura l'occasion de me faire entrer dans son monde professionnel.

Mon père, Andonios, est un des conseillers privilégiés d'Ogygès, le Roi d'Athènes. Mes yeux se chargent d'étoiles à chacun de ses récits de rencontres diplomatiques. Je désire tellement accomplir un parcours similaire. Négocier, rencontrer des peuples et arpenter le monde, voilà de quoi sera fait mon avenir !