Béthanie.Fala L'enfant perdu 5

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Nouvelle de Wendy Moira Darling à James, mai 2015


" Troisième semaine…


La chose savait qu’il n’était pas un enfant désiré. Sa mère n’était pas prête. Il vivait dans un globe, une sorte de nid chaud qui l’isolait des dangers du monde. Dans cet intérieur, il le savait et avait toujours su qu’il était un « accident. » Avant même sa naissance, il ignorait ce que pouvait être l’amour. Il percevait la voix lointaine de sa mère. Elle parvenait jusqu’à lui sous la forme d’une douce mélodie qui faisait le lien entre eux. Pourtant, il ressentait la résistance de sa mère à lui donner plus. Si seulement la peau transmettais autre chose : des caresses, des mots, des histoires pour l’aider à s’endormir.

S’il pouvait, il lui demanderait un mouton. Ainsi, il se serait cru comme un petit prince.


Cinquième semaine…


Il serait un bébé calme, qui ferait très rapidement ses nuits. La peau fine transmettait des pleurs et des cris venus de l’extérieur. Dans sa solitude, il les encaissait et les buvait comme une éponge émotionnelle. S’il se faisait tout petit, afin de ne déranger personne ? Il oubliait de bouger aussi discret qu’une ombre. Sa mère se nourrissait peu. Il en pâtissait lentement.

Il entrevoyait une autre voix. Sans doute celle de sa grand-mère. Elle semblait aimante et douce à travers la paroi. Il y aurait peut-être une issue de secours pour lui. Serait-il possible que quelqu’un d’autre puisse l’aimer ? Un autre proche ? Un père ?

*


Septième semaine…


Malgré tout, il profitait de l’espace intérieur. Joyeux et insouciant, il s’ébrouait dans la « piscine ». Une échographie aurait pu montrer que parfois, il souriait. En plein développement déjà, il ressentait qu’il aurait un imaginaire sans limites.

Plus tard, il serait dans une famille idéale : six garçons perdus comme lui, six garçons abandonnés vivant ensemble. Ce songe était une promesse de merveilles offertes par une multitude de jeux dont il se voyait le chef. L’eau de chagrin dans laquelle il nageait donnait au rêve la forme d’une île.


Les autres n’y seraient que des faire-valoir. C’était SON pays imaginaire., il se voyait voler au-dessus des nuages : cirrus, cumulus, nimbostratus. Il les avait caressés du bout des doigts, comme on caresse la toison d’une brebis.

La chose apprenait par cœur le nom des vents. L’alizé dans ses cheveux le menait jusqu’au simoun. Il observait le sirocco décoiffer les dunes. Le zéphyr transportait la douceur jusqu’à lui.

Son corps tournoierait au-dessus du monde. Il courrait tel le Hussard sur les toits. En chantant, il escaladerait un chêne pour y fabriquer une cabane.

Ainsi, il s’enfuirait avec les garçons perdus dans un endroit où le temps suspendrait son vol. Là-bas, il ne serait pas obligé d’affronter la dureté de la vie. Il serait dans un lieu où tous les enfants trouveraient leur compte. Dans cet endroit, le manque d’amour parental se ferait moins douloureux. Il eut alors une idée.

Et s’il interdisait les mots « maman », « adulte » et « maison » dans le règlement de sa future île ?

S’il interdisait même à tous les enfants perdus de grandir ?

Tout ne serait que plaisanterie et éclats de rire, surtout quand il partirait à la recherche des Indiens.

*


Neuvième semaine…


À travers la paroi, il perçut une nouvelle présence. C’était la voix d’une fillette. Quel âge pouvait-elle avoir ?

À quoi pouvait-elle ressembler ? La chose fut surpris par cette voix. Étrangement semblable à celle de sa mère. S’intéressait-elle enfin à lui ? Il avait l’impression qu’elle collait sa main contre l’entrée de sa cabane, dans l’attente d’un signe de vie. Elle savait lire et contait fabuleusement bien les histoires. Il se passionnait surtout pour les pirates, comme Barbe Noire. Son cœur palpitait quand les flibustiers volaient des navires, le sabre au poing. Il partirait à l’attaque. Mais partagerait-il ses butins ? Il se voyait sur le pont d’une frégate. Il préparerait en douce une mutinerie. Le capitaine passerait par-dessus bord. Il pourrait prendre sa place et voguer sur les océans. Il comprit que le plus redoutable s’appelait James.

La chose aimait tant ces moments qu’il en oubliait de dormir. Son imaginaire partait au galop, le conduisant à croire qu’il était le héros des contes. Plus tard, il se servirait de ces histoires pour alimenter ses jeux avec les enfants perdus. Il s’inventait déjà une fabuleuse chasse au trésor.

*

Onzième semaine…


Il rêvait sans cesse de son île. Mais pourquoi demeurait-elle un rêve ? Pourquoi était-il si seul bloqué à l’intérieur ?

Il supposait que les enfants perdus le réclamaient, pleurant à chaudes larmes. N’était-il pas leur chef ?

Il s’habituait à entendre sa mère. Wendy. Mais ce soir-là, sa voix était empreinte de tristesse. Il comprit qu’elle hésitait à vivre sans lui. Elle lui offrit alors une dernière histoire :


« Il était une fois un petit fœtus. Sa mère était âgée de dix-sept ans à peine. Elle ne concevait pas d’élever un enfant seule.

Le petit fœtus était peut-être destiné à accomplir de belle choses, bonnes ou mauvaises, selon la loterie génétique. Une autre écriture aurait pu faire de lui un écrivain, car il pouvait hériter de l’imagination débordante de sa mère. Malheureusement, la page restera blanche. Le tic-tac de l’horloge, celui qui rythme la vie changea le destin. Petit fœtus, dois-je te laisser grandir ? »

Pour la première fois de sa vie, il eut peur du Capitaine Crochet. L’instrument glacé, pointu et sans pitié, menaçait de l’arracher définitivement de son île. S’il allait au ciel, ce ne serait pas pour voler comme une plume légère. Sans doute rejoindrait-il le paradis sur la deuxième étoile. Son seul espoir demeurait dans ce coup vigoureux qu’il donna de toute ses forces. Un dernier SOS qu’il lança telle une bouteille à la mer.

Comment l’histoire se terminerait-elle dans le corps d’une adolescente blessée par la vie ?


Fin "


James arrive, le souffle court, à l’angle de la rue derrière les jardins de Kensington. Il manque de bousculer un client qui sort en titubant du Rogers. Derrière le comptoir, Lilly, sa collègue, lui indique l’horloge furieuse.


« Tic-tac, capitaine ! Remerciez votre équipage de ne pas abandonner le navire pendant que vous procrastinez ! » Se moque-t-elle.

Dans tous ses états, James n’a pas le cœur à rire. Il pose sa main sur son front brûlant.


« Lilly, où est Neal ? »

La jeune femme n’a pas besoin de répondre. Le garçon et là, devant lui. Ses yeux bleu outre-mer ont l’effet d’un tir en plein cœur. Le garçon sourit. Et l’odeur du parfum fruité de Wendy lui revient à nouveau. Il le serre dans ses bras. Pose sa tête en haut de son crâne. Juste au milieu.


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10 commentaires

Birdie

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Il y a 5 ans

Très émouvant. Tu as une jolie plume😏

Madame Split

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Il y a 5 ans

Elle était bien enceinte donc... Ceci mis à part, j'adore tes phrases, elles sont mélodieuses.

Dr.Rd

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Il y a 5 ans

Alors j'ai laissé un commentaire globale à la fin ! D'ailleurs je t'encourage pour l'idée de moderniser le conte de Peter Pan(il y a la touche de notre présent 😁) alors cela est sûrement intégré dans le thriller (tu es absolument dans le thème !) il y a quelques répétitions et fautes d'orthographes mais ce n'est pas un critère mise en compte pour moi☺️) tu as respecté un sel ordre typologique ce qui rende la lecture fluide.. Je te salie vraiment parce que tu as utilisé des figures de style (métaphore, parallélisme,..) -ça sera bien si tu as ajouté un peu d'humour car péter pan est connu par ce caractéristique ! En tout cas merci, et j'attends ton retour 😉

Dr.Rd

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Il y a 5 ans

Je te salue pardon ne pas je te Salie

Myriam Alexya

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Il y a 5 ans

En fait, il l'a toujours su, non, pour son petit stagiaire ?

Béthanie.Fala

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Il y a 5 ans

Il doutait..mais n'était pas sûr ! comme c'est un nouveau stagiaire :)

Alec Krynn

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Il y a 5 ans

Mon dieu en fait c'est génial, faire du capitaine crochet l'instrument qui risque de retirer le fœtus du ventre de sa mère (bon c' est aussi terrifiant mais chut !). Puis lilly qui fait penser à la fois à monsieur mouche et au crocodile...pzr contre je ne comprend pas, c'est lui qui a l'enfant ?? Comment ça se fait ?

Béthanie.Fala

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Il y a 5 ans

Merci pour ce beau commentaire Alec : ) ! Pour tout te dire, James avait un doute sur le fait que son nouveau stagiaire soit son fils ... ils ont fini par se retrouver .

Helen Mary Sands

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Il y a 5 ans

j'ai bien aimé l'atmosphère des quatre premiers chapitres, l'histoire de Wendy et Peter Pan modernisée c'est particulièrement troublant - mais ce cinquième chapitre est carrément époustouflant !

Béthanie.Fala

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Il y a 5 ans

Merci énormément, ça me touche beaucoup ! je suis très heureuse d'avoir partagé cette réécriture ravie que tu es aimé la lire :D merci pour tes retours ! et ton soutien :)
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