Thylia Andwell L'autopsie d'un clafoutis Chapitre 19 : Paula Orlov

Chapitre 19 : Paula Orlov

Toujours tentée par l'ouverture du tiroir aux emmerdes, je dois mon salut à la sonnette de ma porte d'entrée. J'ai tout juste le temps de tourner la tête dans sa direction que ma voisine d'à côté entre comme si elle était chez elle.


- C'est gentil d'avoir sonné, je la salue sarcastiquement.


- Seulement par politesse !


Un nuage de soie envahit mon champ de vision alors que Paula m'enveloppe dans ses bras recouverts d'un châle et me soulève de quelques centimètres. Ce qui est une prouesse compte tenu de sa décennie en plus.


- Qu'est-ce que tu m'as manqué !


Elle s'écarte pour m'examiner avec minutie avant de me secouer en élevant la voix :


- Ça va pas la tête ?!


Paula est une femme imposante. Dans tous les sens du terme. Le genre de personne agaçante qui parle trop fort, attirant l'attention par son exubérance. Il suffit cependant d'un seul coup d'œil pour percevoir sa gentillesse et sa joie de vivre débordante. Elle n'est pas bruyante pour le plaisir de l'être. Seulement, quand elle rit, elle le fait à gorge déployée pour entraîner les autres dans son sillage. Car rien ne la rend plus heureuse que de voir le bonheur autour d'elle. S'il n'y est pas, elle se fera un devoir de l'y apporter.


- Excuse-moi. La prochaine fois que je suis terrassée par la grippe, je te préviendrais avant les pompiers.


- Ha ha ha. Très drôle.


Mon amie m'ébouriffe les cheveux et s'installe à la table de la cuisine en allumant ma cafetière au passage. Je sors deux tasses en la rejoignant. Nos tasses.


Sur la mienne, une simple inscription sous un dessin de café renversé : Qui c'est café ça ?


Sur la sienne, un chat qui se lèche nonchalamment la patte et qui répond : Cha, cha.


C'est bête, immature et un peu ridicule.


Comme nous.


- C'était horrible sans toi, se lamente Paula.


- Je ne suis partie qu'une semaine...


- Exactement ! La vieille chouette du 4e se positionnait déjà pour ta place de parking !


- Elle est plus jeune que nous...


- Ça reste une pute.


- Paula !


Ma réprimande n'est pas très efficace alors même que je me pince les lèvres pour ne pas rire.


- C'est la vérité ! D'un autre côté, le jeune veuf du 1er était inconsolable de te savoir entre la vie et la mort...


Elle hausse suggestivement des sourcils tandis que je fronce les miens.


- Je n'ai jamais été en danger de mort.


- Oui mais, ça, il n'a pas besoin de le savoir ! La vie est trop courte pour la passer seule, Jo !


- Dixit celle qui l'est depuis 30 ans parce qu'elle ne peut pas oublier un homme...


- Mon Dimitri n'était pas qu'un homme !, s'offusque-t-elle. C'était l'amour de ma vie ! Et je ne suis pas une ermite, moi ! Je vois des gens !


Je m'apprête à me défendre quand elle me coupe en levant son doigt rouge manucuré :


- Tes enfants ne comptent pas !


- Si tu modifies les règles aussi...


Je nous sers le café sous l'expression changeante de ma voisine. L'ironie déserte son visage pour être remplacé par une gravité que je ne lui connais que rarement.


- Je me plais à penser que je suis ta meilleure amie, Jo, commence-t-elle. En plus d'être ta voisine, ta confidente, ta compagne devant Les Feux de l'Amour et ta rivale pour les beaux yeux de George Clooney.


Nous gémissons de concert en y pensant avant qu'elle ne reprenne son sérieux :


- Je pensais que tu allais bien.


- Je vais bien...


- Non. Ce n'est pas le cas.


Son regard me transperce et la fatigue tombe sur mes épaules. Je n'ai plus la force de me cacher derrière un masque. Je baisse la tête, honteuse que mon entourage connaisse la faiblesse qui parcourt mon organisme.


- Paula...


- Qu'est-ce qui t'a fait croire que tu ne pouvais pas me parler ?


Je sursaute en percevant la fragilité dans sa voix. Tout sarcasme a définitivement disparu pour ne laisser que des larmes retenues et une peine immense. Je penche pour lui prendre la main et la serrer.


- Ça n'a rien à voir avec toi. J'ai commencé à prendre ces cachets peu après la naissance d'Arnaud. Quand on s'est rencontrées, je les avalais comme des bonbons à la menthe depuis déjà 12 ans. Je ne m'en rendais pas compte.


- Tu as complètement arrêté maintenant ?


Je serre ma tasse pour m'empêcher de me retourner vers le tiroir dont la simple présence de son contenu me brûle le dos.


- Avec autant de prises, stopper complètement le traitement pourrait avoir des conséquences neurologiques. La réduction doit être progressive. Heureusement.


- Ça te manque ?


- C'était une habitude. Ce qui me manque, c'est la torpeur. Aussi horrible que ça paraisse. Je n'ai plus l'habitude de ressentir mes émotions avec autant de force. Prendre des antidépresseurs me permettait de les mettre en sourdine. Le temps de les digérer. Du moins, c'est ce que je croyais. Je me rends compte qu'à part les cacher sous le lit, je ne les ai jamais vraiment affrontées. Maintenant, tout revient.


- Ta séparation remonte à si longtemps...


- Et pourtant, je la ressens comme si elle datait de la vieille.


Mes yeux s'embuent. Je passe rapidement la main pour en essuyer les larmes, me flagellant d'être tellement pathétique.


- Tu ne peux pas laisser ce connard avoir autant de contrôles sur toi !, s'emporte Paula.


- Jean n'est pas...


- Ne le défend pas ! Je comprends, tu sais. Passer à autre chose est difficile. Ce n'est pas une raison pour ne pas le faire !


- Facile à dire.


- Ça l'est toujours, ma chérie. Tu sais ce qui l'est encore plus ? Se réfugier dans ce genre de réflexion pour ne rien entreprendre et broyer du noir. Où est ma Jo ? Celle qui se fout des autres et montre les dents dès qu'on essaye de l'enfermer quelque part ?


- Elle était complètement shootée pour se donner de la force.


- Tes médicaments peuvent faire beaucoup de choses, je te le concède. Mais t'inventer une personnalité me semble au-dessus de leurs moyens. Tu leur accordes trop de pouvoir. Cette femme est là. Il te faut simplement comprendre que tu n'as pas besoin d'une quelconque molécule chimique pour l'incarner.


- J'ai besoin de temps.


- Chérie, sans vouloir être rude...


- Toi ? Quelle idée !


- Tu as 77 ans, reprend-elle en ignorant ma boutade qui servait à détourner son attention. Ce temps, tu ne l'as pas. Tu dois te remettre en selle. Maintenant !


Elle vide sa tasse cul sec et se lève en tapant du poing sur la table :


- Et je vais être ton guide !


- Que Dieu me protège.


- Il ne pourra rien pour toi ! Alors que ta copine Paula...


- Arrête de parler de toi à la troisième personne.


- Tu peux rêver ! Je dois aller passer des examens à l'hôpital mais, dès que je reviens, les choses sérieuses commencent !


Je pivote sur ma chaise pour la suivre du regard.


- Rien de grave ?


Je me donnerais des baffes pour n'avoir fait que parler de moi sans m'être enquis une seule fois de comment elle allait, elle.


- Nan ! J'approche des 90 ans à si grands pas que ma mutuelle ne m'a jamais autant détesté d'avoir un métabolisme de guerrière !


- Pau...


- Tiens-toi prête !


- Pourquoi ?!


- Pour moi !, lâche-t-elle en claquant la porte.

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3 commentaires

FleurDelatour

-

Il y a 4 ans

J'aime bcp leur dynamique !

Thylia Andwell

-

Il y a 4 ans

Merci ! Je suis contente d'avoir "réussi" à l'insuffler comme je l'imaginais !
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