Fyctia
Chapitre 4 : Lise, 13 ans
- Lizzie, je te parle !
Je remonte la couette sur ma tête pour bloquer le timbre aigu de Chrissie qui me perce les oreilles de bon matin. Sur la couchette d’en haut, Arnaud gigote et fait un passer un message plus clair à notre sœur.
- Ah !
Son cri est étouffé par un bruit sourd. Je me redresse et pouffe de rire en voyant Christine entourée d’un nuage de plumes qui s’échappe du coussin que lui a lancé mon frère. En me décalant sur le côté, je trouve celui-ci penché par-dessus la rambarde tout aussi hilare que moi.
- Vous êtes impossible tous les deux !, tape-t-elle du pied. Qui va ranger ce foutoir ?!
Arnaud et moi nous regardons avant de hausser les épaules dans sa direction. Son visage prend une teinte de rouge encore jamais atteinte et s’en va d’un pas rageur vers l’avant du camping-car.
- PAPA !
Je me lève en soupirant et aide Arnaud à descendre. Il n’a que 4 ans et se prend pour un vrai cascadeur. Papa nous tuerait s’il arrivait quelque chose à son fils unique. Le pied à peine posé à terre, il gambade dans tous les sens. À croire qu’il ne remarque pas la boîte en sardines dans laquelle nous passons nos vacances. Les premières depuis la séparation…
- Les enfants, un peu de silence !, baragouine mon père depuis le siège conducteur sans grande conviction.
Christine continue de marmonner dans sa barbe en nous préparant le petit-déjeuner. Seules deux petites années nous séparent mais ça ne l’empêche pas de se prendre pour la chef. Elle n’était pas comme ça avant le divorce.
Arnaud et moi mangeons notre bol de céréales en la regardant ranger et jouer à la parfaite petite ménagère comme s’il s’agissait d’un étrange insecte. Elle s’épuise bien inutilement pour des vacances d’été. Je suis à peine levée et déjà en nage.
J’ai bien fait de dormir en maillot de bain…
Je baisse les yeux sur Arnaud et constate qu’il en a fait de même. Il m’offre un sourire troué et nous nous faisons un check de connivence. J’ai presque 10 ans de plus que lui mais, dernièrement, il est de bien meilleure compagnie que Christine. Ça me rend un peu triste quand j’y pense. J’ai la sensation d’avoir perdu ma meilleure amie en plus de mes parents dans cette histoire.
- Tu veux pas manger avec nous, Chrissie ?
- Nan.
- Quelqu’un s’est levé du pied gauche…
- Quelqu’un devait bien faire la vaisselle et la lessive, Lizzie !
- Arrête ! Papa s’en fout !
J’écarte les bras pour désigner le chaos qui règne. Notre père pense que vivre dans un espace aussi étroit nous rapprochera. Je penche plutôt pour le meurtre.
- Langage !, rouspète notre géniteur.
- Y’a vraiment que ça qui t’a alerté !
Son oreille est très sélective quand il le veut.
Un bruit de journal froissé nous parvient, annonçant son arrivée. Son regard perçant fige ma sœur sur place.
- Christine, arrête de te surmener. C’est les vacances et tu as 15 ans, va te faire des amis !
Son grand sourire se veut encourageant mais ma sœur a plutôt l’air horrifié.
- Quels amis ?! T’as vu où on est ?!
Il ne prend pas la peine de lui répondre, jetant l’éponge face à sa crise d’adolescence.
- Quant à vous deux…
Il pointe deux doigts dans notre direction avant de les retourner vers ses yeux. Je suppose que ça veut dire qu’il nous observe.
Tu parles d’une remontrance…
Papa n’est pas très doué pour tout ce qui est "éducation". Il est même plutôt à côté de ses pompes. Son travail lui prend beaucoup de temps. Du moment que nous avons de bonnes notes, il nous laisse tranquilles.
Ou plutôt, tant que mon frère en a… Vu qu'il est en maternelle, ce n'est pas très compliqué.
Pour Chrissie et moi, c'est une autre histoire. Son obsession est que nous soyons à l’abri du besoin. Et cela passe par trouver un mari qui y subviendra. J’entends déjà la crise cardiaque de ma mère face à ce genre de raisonnement. Elle est trop indépendante pour mon père. Je le revois l'observer comme une bête de foire quand il la trouvait à danser sans raison dans la cuisine au lieu de repriser ses chaussettes. Son esprit est resté bloqué dans les années 60 et ces changements l’inquiètent.
- Bon !
Papa frappe dans ses mains, faisant sursauter Arnaud qui s’étrangle avec son lait et en asperge toute la table.
- Qui veut apprendre à jouer au tarot ?
Je sautille presque sur mon siège quand mon frère le fait carrément. Notre sœur lève les yeux au ciel, excédée, et débarrasse la table pour nous faire de la place sans nous rejoindre. Je lui lance des regards insistants mais elle se contente de retrousser son petit nez fin de dégoût.
Quelle rabat-joie !
- Lise, concentres-toi.
Mon père tape l’articulation de son majeur sur la table pour attirer mon attention. Je me concentre sur les cartes et mémorise ses instructions mais il n’est pas des plus pédagogues. C’est dur de le suivre. De nouveau, des coups retentissent.
- Je suis concentrée, Papa !
Je le fusille du regard mais le sien est rivé vers la porte du camping-car. De nouveaux toquements se font entendre. Il se lève pour ouvrir et des agents en uniforme se révèlent dans l’encadrement.
- Bien le bonjour, Monsieur !
J’ouvre grand les yeux de stupeur alors que mon petit frère est surexcité de voir ses Playmobil préférés grandeurs nature. Christine, de son côté, à l’air de vouloir s’enterrer sous terre pour ne plus jamais en ressortir.
- Messieurs les agents, les salue Papa en prenant sa voix suave de commercial. En quoi puis-je vous aider ?
- Vous n’êtes pas autorisé à rester ici. Nous allons devoir vous demander de partir.
Dernière lui, j’aperçois de nombreuses voitures et clients qui nous jettent des regards censés être discrets.
- Tout de suite, Messieurs !
Mon père renferme la porte et nous fait signe de nous attacher. D’habitude, c’est un fin négociateur mais il sait qu’il est en tort. Même s’il ne le reconnaîtra jamais. Ça ne m’empêche pas de le taquiner.
- Je t’avais dit que c’était une mauvaise idée.
- Y’a pas de panneaux !, contre-t-il de mauvaise foi.
- Je ne suis pas sûr que ce soit nécessaire de spécifier qu’un camping-car ne peut pas stationner sur un parking de supermarché…
- Nan mais la honte !, se morfond Christine.
- Y’a pas de panneaux !
Je ris dans ma barbe face à l’entêtement de mon père et l’exaspération de ma sœur. Mon frère, lui, se contente de lever les bras comme dans une attraction à sensation forte, ce dont la conduite frustrée de mon père se rapproche.
7 commentaires
FleurDelatour
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Il y a 4 ans
Thylia Andwell
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Il y a 4 ans
Sabrina A. Jia
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Il y a 4 ans