Thylia Andwell L'autopsie d'un clafoutis Chapitre 1 : Un simple appel

Chapitre 1 : Un simple appel

Première partie : Lise


Je termine d’envoyer un mail sur mon portable lorsqu’une odeur de brûlé monte à mes narines.

- Merde !


Je m’empresse de retirer la poêle du feu et de sauver le peu de haricots qui ont survécu à ce carnage.


- T’as encore fait cramer quelque chose ?, me hurle ma fille depuis sa chambre.


- Non !


Je cache les preuves de mon manque de talent culinaire alors qu’Annie laisse sa tête sortir de son antre en plissant les yeux. Ce ne serait pas la première fois qu’une poêle est victime de ma gaucherie. Je peux presque entendre la voix de mon père s’exaspérer que c’est à cause de ça que je suis encore célibataire à presque 50 ans. Et celle de ma mère me signaler que l’on reconnaît à vrai homme à celui qui fera lui-même la cuisine si ça ne lui plaît pas.


Ça doit être pour ça que leur mariage a été aussi chaotique…


- Comment t’as trouvé Mamie ?


Je détourne son attention sur ses vacances avec ma mère. Que leur relation soit aussi étroite que la nôtre est une bénédiction. Ou un alignement astral. Trente ans me séparent de ma mère. Et trente ans me séparent de ma fille.


C’est un combo gagnant ou je ne m’y connais pas !


- En forme, répond Annie en faisant des allers-retours entre sa chambre et la salle de bains pour ranger ces affaires.


Je frissonne en songeant au bordel qu’elle est sûrement en train de me mettre à peine arrivée. D’un autre côté, je dois avouer qu’il m’a manqué.


Notre nouvel appartement n’est pas très grand. J’ai cédé au charme biscornu de l’ancien au détriment de la praticité du neuf. Le craquement du parquet est une douce mélodie qui n’a pas d’équivalent à mes oreilles. Mais, passer d’une maison de plus de cent mètres à un petit deux-pièces, a demandé des sacrifices. Les souvenirs ne se jettent pas alors les placards ont vite été remplis.


Si Thibault vivait encore avec nous, ce serait dix fois pire…


À peine cette pensée traverse mon esprit que je la regrette. Je ne pourrai jamais me réjouir du départ de mon fils. Cela dit, à 24 ans, il est normal de vouloir prendre son envol. C’est simplement arrivé si brusquement… En l’espace d’un an, j’ai perdu mon fils, ma maison et mon compagnon.

Le dernier point n’est pas vraiment un regret. Plutôt une décision à laquelle je dois me familiariser. Partager plus d’un quart de siècle de la vie d’une personne pour n’en laisser que des cendres est étrange. Ça n’a pas été un choix facile.


Il ne l’est toujours pas d’ailleurs.


Me plonger dans le travail a été une distraction bienvenue. Actuellement, c’est la seule chose de stable dans ma vie. Pas de surprises, de prise de tête… Tout est d’une routine agréable. Quelque peu morne mais ça permet de mettre du beurre dans les épinards. Ou les haricots dans le cas présent. Des haricots carbonisés.


- Vous avez fait quoi ?


Annie a été d’un soutien immense pendant cette période. Quand elle est d’humeur causante tout du moins. Ce qui, ce soir, n’est pas le cas. Elle hausse simplement des épaules à ma question. À croire que toute une semaine peut se résumer par ce simple geste.


Typique des adolescents !


- Et si tu développes ça donne quoi ?


Elle soupire en se posant sur un des tabourets du buffet central.


- Rien de spécial ! On a fait du vélo, du shopping…


Encore un haussement d’épaules.


Je me pince les lèvres, me retenant de passer pour une rabat-joie.


- Okay.


Ma fille retourne à son rangement et je me fais la réflexion que ces 17 dernières années sont passées bien trop vite.


La terminale…


Ma fille entre en terminale demain.


Son frère n’est parti que depuis un an et c’est déjà assez difficile de s’en remettre. Je n’ose imaginer ce qui se passera dans seulement quelques mois.


Tu as encore le temps, Lise ! Elle ne choisira pas une fac loin d’ici.


Je feins un sourire en m’accrochant à cet espoir égoïste. C’est un fantasme que je garderai pour moi. Toute mère souhaite rester proche de ces enfants tout en sachant qu’elle ne peut pas les retenir. C’est à eux de vivre leur vie. Je ne peux rien faire d’autre à part les encourager.

Annie s’agite pour préparer sa rentrée toute la soirée. J’arrive à la convaincre de me rejoindre dans le salon pour regarder un film, sous un plaid, en mangeant des cochonneries. Les bonnes habitudes et la mauvaise conscience attendront demain pour nous rattraper au galop.


Vers 21 heures, mon portable se met à sonner. Un numéro inconnu.


- Ne réponds pas, tranche Annie.


- Qu’est-ce que tu peux être rustre ! Allô ?


- Madame Peronnet ?


- C’est moi.


Je me redresse, alerter par le ton lisse de la voix au bout du fil. Mes muscles se tétanisent, comme plonger dans de l’azote liquide, en réalisant seulement maintenant ce qu’un appelle à cette heure-ci peut signifier.


- Bonsoir. Je vous contacte car nous avons admis votre mère aux urgences. Pourriez-vous venir rapidement…


Ces mots, d’abord clairs, se noient dans le tambourinement des battements de mon cœur. Une torpeur terrifiante m’envahit.


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23 commentaires

Angèle G. Melko (ColibriJaune)

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Il y a 4 ans

J'aime beaucoup tes toutnures de phrases ! C'est fluide, agréable à lire, bordé d'humour et de tendresse...

Thylia Andwell

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Il y a 4 ans

Oh merci beaucoup ! Ça me touche énormément ! ☺️

Angelilau

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Il y a 4 ans

Decouverte de ce 2 ème personnage interessante. Je trouve ton idée sympathique ! Représenter trois generations ne doit pas être facile. Je ne sais pas si tu connais la psychogénéalogie mais l'histoire de maman à est en lien avec cette science.

Thylia Andwell

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Il y a 4 ans

Merci beaucoup ! Je ne connais pas la psychogénéalogie mais je vais m'y pencher maintenant !

Dianedem

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Il y a 4 ans

Franchement bravo une histoire très bien écrite, décrite félicitations

Thylia Andwell

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Il y a 4 ans

Waouh ! Ça met chaud au cœur, merci !
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