Caro Handon Au cœur des âmes Au cœur des âmes - Chapitre 28

Au cœur des âmes - Chapitre 28

La réponse de Nahele semble résonner dans la forêt comme une incantation venue d’un autre monde.


— Les exilés, répète Waban, stupéfait.

— Parfaitement. Nous ne sommes pas qu’une légende, ajoute le frère de Nashoba.

— Tu mens !

— Traite encore une fois…, commence Nashoba.


Au même moment, un ancien s’avance vers nous. Bien que son physique ne soit pas impressionnant, il dégage une aura magnétique. Elle impose le silence.


— Vous êtes ignorants de nombreux rites ancestraux parce que votre société vous les cache.

— Vous allez sûrement nous éclairer ? le nargue mon meilleur ami.

— Tout dépendra de ta témérité à nous suivre.


La pointe de sarcasme lancée par le vieillard n’échappe à personne. Quant à Nashoba, il avance vers le groupe d’inconnus.


— Moi, je viens, annonce-t-il sans trembler.

— Si tu t’en vas avec eux, tu ne pourras jamais revenir à Solis, intervient Waban.

— Qu’est-ce que ça peut te faire ? Toi non plus tu n’y retourneras pas.


Le tranchant de son affirmation me rappelle avec véhémence la décision prise par mon meilleur ami. Mais elle me fait aussi réaliser que peut-être Nashoba ne rentrera pas non plus à la cité du soleil.


— Qui d’autre nous suit ? demande Nahele.


Un silence se fait. Aponi et Machk semblent hésiter. Moi, je ne peux m’empêcher de fixer le plus téméraire d’entre nous avec un regard déçu. Lui, qui disait ne jamais m’abandonner, me prouve le contraire en prenant cette décision sans se préoccuper de la mienne. Je serre les dents pour ne pas défaillir.


— Je veux revoir mes parents, déclaré-je.

— Ils sont assez grands pour se passer de toi, me contre Nashoba.

— Je n’ai pas le même rapport avec eux que toi avec les tiens, répliqué-je sur un ton incisif.


Mon cœur bat la chamade, déchiré de lui faire du mal.


— Alors tu comprends pourquoi je dois aller avec mon frère ?


La réponse soufflée par ma conscience me tue. Oui, je connais les raisons derrière sa volonté à ne pas rentrer chez nous.


Sentant une boule de tristesse remonter depuis ma poitrine vers ma gorge, je baisse les yeux vers le sol.


— Waban, combien de temps devions-nous passer dans la forêt avant de repartir ? demande Nashoba.

— Qu’est-ce que…, commence mon meilleur ami.

— Tu ne peux pas lui répondre normalement au lieu de chercher à l’astiquer ? gronde Aponi.

— Nous avions trois jours. Voilà, satisfaite ?


Leur querelle n’allège pas le poids dans mon cœur. Pourquoi faut-il que chaque personne à qui je tiens ne soit pas capable de s’entendre ? Car après autant de chemin parcouru ensemble, j’apprécie chacun des membres de notre troupe.


Une main sur mon épaule me ramène à l’instant présent. Par sa taille et sa chaleur, je la reconnais aussitôt.


— Viens avec moi, Leï. Juste pendant ces trois jours.


Malgré la voix calme de Nashoba, je perçois tout le tumulte qui sévit à l’intérieur de ma cage thoracique. Savoir que nous avons encore un peu de temps ne signifie pas que la finalité ne sera pas la même. Pour le moment, ce dilemme me semble inextricable.


— Parce que tu penses qu’on parviendra à trouver un accord ?


En m’entendant parler, je réalise alors le poids de mes mots, mots au travers desquels je laisse entrevoir une partie de ce que j’éprouve pour celui qui était autrefois mon ennemi. Je n’ai pas envie que nos routes soient séparées. Il semblerait néanmoins que je sois la seule à ressentir ça.


— Avec ta tête de mule, j’en doute. Mais je me disais qu’en apprendre plus sur les exilés serait plus tentant que de recroiser ce loup.


La proposition de Nashoba dévoile une intention différente que celle à laquelle j’aspire. Il cherche simplement à combler ma curiosité, pas à me garder près de lui.


— Je prends cette option, s’exclame Machk. J’ai encore mal aux bras rien qu’en pensant à ce que nous venons de vivre.


Il échange un sourire avec Aponi, qui paraît elle aussi décidée à suivre la troupe. Mon amie me fixe dans l’attente d’une réponse de ma part. J’opine du chef en silence.


— Ce sera sans moi, annonce Waban.


J’ai l’impression d’être au bord d’un précipice. Pourquoi tout semble devoir se dérouler avec heurt ?


— Tu préfères te battre seul et à mains nues contre ce loup immense ? raille Aponi.


Avant qu’il puisse lui répondre quoi que ce soit, Nahele s’avance vers lui.


— Il faudrait être fou pour rester dans cette forêt sans protection. Quelles que soient nos querelles de l’année passée, accompagne-nous jusqu’à notre village. Tu pourras au moins y reprendre des forces, et nous te confectionnerons des armes dignes de ce nom.

— Nous te donnerons des vêtements, et de quoi monter un camp, ajoute le vieil homme.


J’aimerais lui demander de ne pas m’abandonner, mais j’ai tristement conscience que cet argument ne fera pas le poids. Après tout, n’a-t-il pas pris sa décision concernant son animai sans tenir compte de la blessure que notre séparation allait m’infliger ?


À croire que chaque garçon qui foule ces terres est voué à me faire du mal.


— Très bien, je viens.


Sa réponse me surprend autant qu’elle me soulage. Mais je m’interroge sur son changement d’avis soudain.


— Parfait. Dans ce cas, mettons-nous en route avant que la nuit tombe pour de bon.


Avec toutes ces péripéties, je n’avais pas prêté attention au fait que les morceaux de ciel visibles à travers la canopée s’étaient teintés d’une lueur orangée.


Les hommes accompagnants Nahele et le vieillard s’empressent de nous entourer. L’inquiétude me gagne. Elle se lit également sur le visage de mes amis.


— Simple mesure de précaution, au cas où le loup referait surface, indique le frère de Nashoba.

— Vous le croisez souvent ? demande ce dernier.

— Ce loup est gardien de la forêt depuis le départ de l’arachnée, explique l’ancien à mes côtés.


Mon esprit fait aussitôt le lien avec l’animal totem d’Iktómi.


— Tu es perspicace, ajoute-t-il.

— Comment savez-vous…

— Tu as encore tant à apprendre ! me coupe-t-il sans agressivité. Si les auspices semblent en accord sur ta puissance, ils dépeignent aussi un manque de temps considérable concernant ta préparation.

— Les auspices ?

— Ce sont des présages. Nous les tenons grâce à l’observation du vol des oiseaux.


Mes sourcils se froncent d’eux-mêmes. Jamais je n’avais entendu parler d’une telle pratique.


Ne t’en fais pas. Tu vas assister à l’union de ton amie avec son animai. À ce moment-là, tu ressentiras ce qu’il se passe au cœur des âmes, et tu réaliseras pourquoi il est essentiel de renverser l’ordre établi.


Ces paroles filent dans mon esprit au même rythme qu’une discussion, sans que je comprenne comment. Le vieil homme me sourit sans dire ni introduire dans ma tête un mot de plus.


Je ne sais pas quoi penser de la nouvelle tournure de mon aventure. Il semblerait que j’ai un rôle plus grand que celui de trouver mon animai et rentrer à Solis pour donner de mon temps aux villageois nécessiteux.


Mais lequel ?

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11 commentaires

Isaure DV

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Il y a 3 ans

Coup de pouce ;)

Lety29

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Il y a 3 ans

Gottesmann Pascal

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Il y a 3 ans

Waban fait très bien de rejoindre le groupe. L'union fait la force, surtout dans un tel contexte. Quand au destin de Leïka, j'ai hâte de le découvrir.

Mira Perry

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Il y a 3 ans

Un pouce avant de dodo ☺️

Zoe Noa

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Il y a 3 ans

Tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin. Voilà à quoi me fait penser ce chapitre 😘

Janicelesmaux

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Il y a 3 ans

👍💪🥰

Darcash

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Il y a 3 ans

Coup de pouce!

Kentin Perrichot

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Il y a 3 ans

P'tit coup de poupouce :)

bulledebooks

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Il y a 3 ans

👍🐾
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