Gaïane MILLER L'ALCHEMILLE Séphora infirmière ?

Séphora infirmière ?

En scrutant l’assiette, David se demande si les légumes sont aussi bons que la soupe et décide de gouter au moins un morceau, puis un deuxième. En fait, quelques minutes plus tard, il se passe la main sur l’estomac avec un air satisfait et contemple les récipients vides.

— Ce repas était vraiment délicieux. Une cuisse de poulet aurait été la bienvenue mais… pourquoi je dis ça ? Je ne sais pas si j'aime la viande mais il ne faut pas que je me creuse les méninges sinon ma mémoire ne reviendra pas !

Il repousse le plateau jusqu’à ses pieds et ne peut retenir un bâillement alors que la porte s’ouvre en émettant un léger grincement.

— Attention, vous allez vous décrocher la mâchoire. Vous ressemblez aux carpes de l’étang quand elles gobent les limaces que je leur donne ! dit-elle en riant franchement.


David se sent soulagé en voyant cette bonne humeur sur le visage de Séphora. Elle ne lui en veut plus pour ce qu’il a dit tout à l’heure et poursuit sur un ton plus sérieux :

— Je reprends le plateau et vous laisse faire votre sieste !

— Attendez ! Vous pouvez me dire pourquoi je me souviens de certaines choses anodines et pour d’autres, plus importantes, c’est le trou noir. Je ne sais pas où j’habite, le métier que j’exerce ou si j’ai des parents, une famille. C’est le vide total !


Séphora s’arrête au milieu de la pièce et semble réfléchir en fixant un point sur le mur face à elle. Elle se demande si elle doit lui donner des détails au risque de se dévoiler plus ou si elle doit le laisser dans l’ignorance. Sa grand-mère répétait sans cesse « Il faut toujours dire la vérité mais omettre certains détails qui risquent de faire mal n’est pas mentir ». Elle se retourne et les mots sortent de sa bouche sans qu’elle puisse les retenir.

— Vous souffrez sans doute d’une amnésie lacunaire et je peux aussi vous dire que vous n’êtes pas marié. Ne forcez pas votre mémoire, ça ne fait que rajouter du stress au stress et ce n’est pas bon du tout. Vous retrouverez bientôt tous vos souvenirs ! Reposez-vous.

— Amnésie lacunaire ?

— Pour faire simple, ce genre d’amnésie est surtout due au stress et non au choc à la tête. Je dirais que votre mémoire serait une meule de gruyère et les trous…

— J’ai compris : ce sont mes trous de mémoire. Merci de me comparer à un fromage ! ironise David en regardant sa main gauche. Comment vous savez que je ne suis pas marié ?

— Pas de marque d’une alliance mais vous pourriez être pacsé je sais. Donc, je vais vous laisser le bénéfice du doute.

— Je n’ai pas l’impression d’être marié ou d’être amoureux. Vous pensez que les sentiments peuvent disparaître à cause de l’amnésie ?

— C’est possible. Dès que j’ai un peu de temps, j’irai fouiller votre voiture et je vous rapporterai tout ce qui pourrait vous aider à vous souvenir. En attendant dormez et arrêtez de cogiter.

Séphora a raison, s’il dorme un peu peut être qu’à son réveil il saura qui il est. Rassuré, il baille à nouveau et ferme les yeux. Séphora a beaucoup de connaissances médicales. Peut-être travaille-t-elle dans un hôpital ?

— Oui, elle est infirmière. Mon infirmière à moi ! murmure-t-il avant de sombrer.

°°°

Lorsqu’il se réveille, il fait nuit et seule la lumière du soleil, filtrée par la lune, éclaire la pièce. Le réveil indique qu’il est plus de minuit. Il a raté le diner. David se met assis, tend le bras et tâtonne à la recherche de l’interrupteur de la lampe de chevet. La clarté vive et soudaine agresse ses pupilles. Il ferme les yeux puis les ouvre lentement. Sur la table de nuit se trouve son repas : un bol de soupe, une omelette et une pomme. Tout est froid mais son estomac commence à gargouiller alors il saisit le plateau et le pose sur ses jambes.

— Même froid, ça doit être délicieux ! chuchote-t-il sur un ton gourmand en passant sa langue sur ses lèvres.


Quelques instants plus tard, il ne reste même pas le plus petit résidu de nourriture qui le pourrait faire le festin d’une souris ou d’une mouche. Tout à coup, sa vessie lui rappelle qu’elle est là et qu’elle a envie de se vider. Comment faire avec sa patte folle ? Hors de question de demander l’aide de Séphora, elle a droit à un repos bien mérité. Il va donc se débrouiller seul.

— Tiens, ce grand parapluie pourrait me servir de béquille !

David tente de saisir l’objet mais il est trop loin. Il se positionne sur le bord du lit, se penche, tend son corps et son bras au maximum. Le bout de ses doigts n’est qu’à un petit centimètre de la toile lorsqu’il perd l’équilibre et s’écroule sur le plancher en entraînant le drap avec lui. Le tapis a étouffé le bruit de sa chute mais il reste immobile, guettant le moindre bruit de pas. Il n’entend rien et pousse un soupir de soulagement avant de marmonner :

— Je t’ai attrapé et je ne te lâche plus. Tu vas m’aider à…


Une ombre claire apparaît à la fenêtre. David écarquille les yeux et pousse un cri bref lorsqu’il comprend qui le regarde. La fillette de la forêt, toujours vêtue de sa robe d’été blanche, le dévisage sans bouger. Un hurlement de loup se fait entendre et provoque un frisson dans tout le corps de David qui se recroqueville sous le tissu.


La porte de la chambre grince et Séphora apparaît. David reste pétrifié et sans voix devant la vision féérique de la jeune femme en chemise de nuit. La lueur de la lune traverse le tissu fin et dévoile les formes d’un corps sublime. David a oublié la fillette et déglutit avec difficulté car il se trouve dans une posture peu reluisante, étalé comme une carpette sur le sol. Séphora vient s’agenouiller près de lui et veut l’aider à se relever.

— Non, je suis encore à poil !

— Je vais fermer les yeux si vous voulez ! ironise-telle en prenant son bras pour l’aider. Je vous rappelle que je vous ai déshabillé, lavé et massé alors je connais votre corps dans ses moindres détails !

— Dans… dans les moindres… détails ? bégaie-t-il en s'asseyant sur le bord du lit.

— Oui, le petit grain de beauté en forme de cœur dans le creux de l’aine, côté droit est tout à fait…

— C’est bon, je vous crois.

Séphora esquisse un petit sourire mais ne réplique pas. Elle ne veut pas le mettre plus dans l'embarras. Elle se contente de lui indiquer où sont ses vêtements.

— Je les ai posés sur la chaise tout à l’heure, lorsque vous dormiez.

— Je ne les avais pas vus ! Vous me passez mon boxer s’il vous plaît ?


Tandis que David s'habille, Séphora se dirige vers la fenêtre et regarde dehors sans un mot. Il remarque le léger mouvement de tête qu'elle fait et sa main qui se lève avant de se poser contre la vitre, paume ouverte. Il se rappelle.

— La fillette ! Vous voyez la fillette ?

La jeune femme fait volte-face, les traits de son visage expriment une immense surprise puis, quelques secondes plus tard, elle se compose un visage plus serein pour demander avec un air innocent :

— Quelle fillette ?



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4 commentaires

Lou.R.Delmond

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Il y a 5 ans

J'adore cette ambiance, parce qu'on est plongé, grâce à ton écriture, dans le même flou que David l'est avec son amnésie. Ce mystère qui plane est fascinant !

Camille Jobert

-

Il y a 5 ans

Tres mystèrieux ! 🤔
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