Fyctia
Chapitre 71
Je l’entends prendre une grande inspiration, puis il se lance dans une explication déroutante :
— Quand on s’est rencontrés, en 2001, tu m’as annoncé de nombreuses choses qui se produiraient dans le futur et tu m’as parlé de cette pandémie de Covid-19, ainsi que de la pénurie de masques en France.
C’est plus fort que moi, je l’interromps.
— Euh… quelle pénurie ?
— Justement. Grâce à mon entreprise, il n’y en a pas eu…
Je laisse s’égrener quelques secondes de silence, le temps d’intégrer ce qu’il vient de m’avouer. Sa démarche lui a permis de pallier un problème de santé publique. Je trouve ça admirable.
— Et si tu veux tout savoir, pendant deux ans, j’ai réduit les marges de façon drastique. Mon but n’était pas de m’enrichir, insiste-t-il. De toute façon, cette entreprise me pèse plus qu’autre chose, à présent. J’envisage de céder la direction pour pouvoir revenir à ma passion première et me consacrer à l’architecture.
Après quoi, nous changeons de sujet. Il me parle de son chalet, du lac, que j’ai beaucoup aimé, paraît-il, et de son projet d’acheter un nouveau chien. Je trouve l’idée intéressante. Pendant quelques instants, nous nous amusons à lui chercher un nom. 2025 est l’année des A. Ajax, Apéritif, Apéricube, Aristote, Attila… nous rions de bon cœur.
Quand nous raccrochons, bien plus tard dans la soirée, mon cœur déborde d’amour. Je n’ai plus aucun doute quant aux sentiments que j’éprouve pour cet homme formidable, même s’il a plus du double de mon âge. J’ai l’impression de le connaître depuis toujours. Et puis, j’aime sa personnalité, sa manière d’appréhender l’avenir, ou encore de plaisanter.
Néanmoins, avant d’éventuellement m’engager avec lui, je dois mener à bien une mission de la plus haute importance.
J’envoie un SMS à Jules pour lui demander de me rendre visite demain à 14 heures. Il doit déjà dormir, mais j’espère qu’il me répondra par l’affirmative.
***
En ce début d’après-midi, mon stress est à son comble. Jules et Xavier doivent arriver d’ici quelques minutes et j’appréhende leurs réactions quand ils se rendront compte qu’ils sont tombés dans un traquenard.
Le fils est le premier à pénétrer dans ma chambre, tout sourire. Il m’embrasse sur le front, une nouvelle habitude, visiblement. Il s’installe ensuite sur le fauteuil.
— Je suis heureux que tu m’aies contacté. Je n’aimais pas l’idée que tu sois fâchée contre moi.
— Ce n’est pas le cas.
— Pourtant, il y aurait de quoi…
— Dis, pourquoi tu m’as affirmé que si tu ne m’avais pas frappé, on n’aurait jamais su que l’anévrisme s’était rompu ? Ce n’est pas le choc qui a induit l’hémorragie ?
— Non. Tu l’as reçu de l’autre côté. En réalité, le médecin nous a expliqué que ton anévrisme fuyait sans doute depuis quelques jours. Après coup, je me suis souvenu que tu te plaignais d’un mal de tête diffus depuis notre arrivée au chalet. Tu as fait de nombreuses siestes, mais on a mis cette fatigue inhabituelle sur le compte des semaines compliquées que tu venais de vivre.
— Donc, si je comprends bien, tu m’as sauvé la vie. Merci, Jules.
Il rougit, embarrassé.
— Y a pas de quoi.
C’est à ce moment que des coups sont frappés à la porte, qui s’ouvre sur Xavier. Aussitôt, son fils change de comportement. Il se tend, en alerte.
— Qu’est-ce que tu viens faire ici ? s’exclame-t-il.
Le nouveau venu se tourne vers moi, comme pour quémander une explication.
— C’est moi qui lui ai demandé de passer.
À présent, ils me regardent tous les deux avec le même air contrarié. Leurs sourcils froncés accentuent leur ressemblance. Je réprime le sourire qui aimerait s’épanouir sur mes lèvres.
Je comprends que je dois agir sans tarder avant que l’un des deux ne quitte la pièce, alors je désigne l’album que j’ai déposé sur ma table de nuit.
— Jules, tu veux bien l’ouvrir, s’il te plaît ?
Mon ami hésite, mais il finit par s’exécuter. Il ignore désormais son père à merveille. Je m’adresse à ce dernier.
— Tu peux t’asseoir, Xavier.
Comme il connaît le contenu de cet album, celui-ci devine sans doute mon projet et m’obéit sans objecter. Il tire une chaise de l’autre côté de mon lit et s’installe sans prononcer un mot.
Je reporte donc mon attention sur Jules, qui feuillette le recueil. Il a dû saisir de quoi il s’agissait. Je le laisse parcourir les pages à son rythme. Quand il parvient à celles concernant ces derniers mois, il sourit. Puis il découvre mon récit et m’adresse un coup d’œil interrogateur. Je l’encourage d’un signe de tête.
— Vas-y, lis.
Le silence qui nous entoure est si profond qu’il en est presque palpable. J’ose quelques œillades timides en direction de mon second visiteur de temps à autre. Mon cœur s’emballe à chaque fois que nos regards se croisent. Ses iris vert d’eau débordent d’amour quand ils se posent sur moi. Mais très vite, ils retournent se fixer sur Jules, qui est plongé dans sa lecture.
Une fois qu’il a terminé, il relève la tête vers nous et nous dévisage tour à tour. Son teint pâle nous révèle à quel point il est perturbé.
— Qu’est-ce que tu en penses ? lui demandé-je, non sans une certaine appréhension.
— C’est intéressant. Je dois reconnaître que tu as beaucoup d’imagination, Talia. Ça pourrait faire une bonne comédie romantique.
— C’est la vérité, intervient alors Xavier d’une voix posée.
Son fils s’esclaffe.
— Mais bien sûr ! Comme si les voyages dans le temps existaient.
Son père me prend à parti.
— Talia, explique-lui. Peut-être que toi, il te croira.
— J’ai bien mieux que ça, leur révélé-je. J’ai des preuves physiques.
Je demande à Jules de me donner ma boîte à souvenirs. Je l’ouvre et en sors la carte d’identité périmée, ainsi que les clichés du Photomaton.
7 commentaires
Madeleine67
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Il y a un an
Cheb
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Ninon Amey
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gwenelena
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Ninon Amey
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Paméla F
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Ninon Amey
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Il y a un an