Fyctia

Après quelques secondes, je me redresse, déterminée.

Audrey a raison. C’est l’occasion d’un nouveau départ, une nouvelle Angie ! Me morfondre ne me fera pas avancer. Je dois trouver le moyen de tirer un trait sur cet épisode foireux de ma vie…

J’avoue qu’il ne serait pas pour me déplaire d’en dénicher un qui me permette de remettre à sa place cet imbécile de Stan ! Je suis peut-être une gentille fille, mais pas une sainte !

Dire que j’ai été à deux doigts de laisser de côté mes aspirations pour lui. Si j’ai accepté ce temps plein de vendeuse au Macy’s à la fin de mes études, c’est parce qu’il affirmait que trouver un emploi dans mon domaine ne se ferait pas en un jour… et qu’il avait besoin de moi. J’avoue, ça m’a plu. Tout comme l'idée de ne plus dépendre totalement de mes parents dans le quotidien. Je ne payais déjà pas de loyer...

Mais ce qui ne devait qu’être momentané, s’est éternisé.

Par chance, Audrey m’a secouée : non seulement je regretterais de renoncer à mes rêves, mais en plus, Stan me rabaissait plus qu’il ne me soutenait. C’est l’annonce d’un poste à la NYPL qui a tout changé. J’ai postulé en douce, ai passé deux entretiens… et, contre toute attente, ai été choisie.

Je me redresse au rappel de ce constat. Oui, j’ai été choisie. J’ai défendu mes intérêts et convaincu de mes compétences. Je sais maintenant comment tourner la page. Je vais lui faire goûter à sa propre médecine. Dès demain, Stan verra de quel bois je me chauffe !

Cette pensée me ragaillardit et me ramène à une période où mes idées n’avaient d’égales que mon imagination. Et je retourne à mon activité interrompue par l’arrivée d’Audrey. Assise en tailleur sur mon lit, je récupère mon stylo et recommence à noircir les pages de mon cahier.

[ C’est tout de même fou les souvenirs. Tant de choses m’échappent, les années passant, pourtant d’autres me semblent indélébiles.

Te rappelles-tu notre rencontre ?

Moi, je m’en souviens comme si c’était hier.

J’avais dix ans, toi, douze.

Maman avait décrété que Charlie devait jouer avec moi, ou plutôt, elle l’avait forcée. Évidemment, elle avait accepté à contrecœur, traînant des pieds, soupirant à chaque pas. C’était parfait : je savais qu’elle prendrait tout son temps et que j’aurais le champ libre pour filer loin d’elle.

Alors, j’ai couru jusqu’aux bois derrière la maison, prétextant une partie de cache-cache dont ma sœur n’avait que faire. Je me suis enfoncée entre les troncs, slalomant comme un renard en cavale, jusqu’à ce qu’un son me fige net. Une voix.

Mon cœur s’est emballé. Et si c’était un esprit de la forêt ? ai-je pensé. Une fée dissimulée dans les feuillages ? L’espace d’un instant, j’y ai cru, persuadée que la magie existait bel et bien. La voix était fluette, presque irréelle.

Mais en m’approchant, j’ai fini par comprendre. Ce n’était pas un être surnaturel, ni une créature enchantée. C’était un enfant… enfin, plus tout à fait. Un garçon. Toi.

Par la même occasion, j’ai découvert que nos voisins ne vivaient pas aussi loin que je l’imaginais !

Quand je t’ai rejoint, je t’ai demandé ce que tu fabriquais là, tout seul. Tu m’as répondu, le plus sérieusement du monde, que tu avais entendu du bruit du côté de la forêt maudite et que tu étais en train de lancer un sort pour en éloigner les mauvais esprits.

À cet instant précis, j’ai su. J’ai su que nous serions amis. Pas juste des amis. Les meilleurs amis du monde.

Tu te rappelles, Jake ?

Moi, je n’ai rien oublié.]

Je referme le journal, le sourire aux lèvres. Le serrant contre moi, je descends les marches d’un pas léger, des souvenirs plein la tête. Je m’attendais à ressentir tant d’émotions en couchant mes pensées. Je m’attendais à tout, sauf à cette joie libératrice. Comme si écrire me les faisait revivre.

Il me faudrait recommencer sans trop de délais. Pour confirmer.

Pour l’instant, je n’aspire qu’à retrouver mon appartement et la romance qui patiente sur ma table de chevet.