Pjustine Jude Le contrat

Le contrat

07 mars 2015


- C'est bon Jerry, je l'ai signé ton putain de contrat alors arrête de faire les cent pas. Tu me donnes le tournis là.


Je décèle quelques marmonnements enfouis dans son épaisse barbe grisonnante. Sourcils froncés et bras agités, il ne fait que se répéter.


- Non mais est ce que tu comprends l'enjeu, au moins?


- Oui, c'est bon, soufflé-je à bout de nerfs.


- J'espère gamin car tu n'as pas le choix, tu dois gérer.


- Tu m'emmerdes Jerry, je me casse.


Je quitte son luxueux bureau californien agacé par toutes ces leçons de morales. J'ai 28 ans, pas 5, merde! À contrario de ce qu'il peut penser, je suis loin d'être un idiot. Croit-il vraiment que je foutrai tout en l'air? La promesse d'une visibilité internationale avec en prime un contrat à 35 millions d'euros, je ne vois pas qui pourrait gâcher une telle opportunité.


“Come back” deviendra le prochain chef d'œuvre cinématographique à travers le monde et moi et bien...une figure emblématique, en tête d'affiche.


Si tout se passe comme convenu, le tournage devrait durer six mois - et cela sans compter les longs mois de promotion, parcourant nation après nation.


L'equivalent de six putain de mois de prison avec sursis.

Non pas que mon métier ne soit des plus pénibles, je dirais même qu'il est passionnant mais lors de ces longues périodes, la vie semble s'arrêter. Hormis quelques sorties une fois le clap de fin journalier retentit, je n'ai pas beaucoup de possibilités d'évasion. Garder une proximité environnementale avec les différents plateaux est primordiale, si ce n'est obligatoire. Éviter les excès en tout genre l'est tout autant. Sur ce dernier critère, je suis plus souple. Les excès sont l'effervescence même de mon existence. Whisky et filles à l'infini, plus d'une fois je n'ai pu être opérationnel. Dans ces cas là, les journées sont interminables. Les scènes s'enchaînent tandis que mon ventre et ma tête se vouent une bataille sans nom. Lequel des deux sera le plus douloureux?

À maintes et maintes reprises Jerry à assurer mes arrières face à ces réalisateurs tyranniques. Je me souviens de Jamie Anderson. Étoile montante d'Hollywood, il était considéré comme le prochain Clint Eastwood (je sais, difficile à croire). Lors du tournage de son dernier long-métrage - j’y incarnais un personnage secondaire -, il m'est arrivé, plus d'une fois, de me présenter un peu ballonné et cela avait le don de le mettre en rogne. Tant que je faisais mon travail je ne voyais pas où était le problème. Je l'ai donc envoyé balader à plusieurs reprises et j'ai failli me faire virer. In extremis, Jerry avait géré et tout c'était arrangé. Aujourd'hui, il a une peur bleue que je recommence et surveille tout ce que fais. Même pour une frite je me fais engueuler.


Est ce que manger une frite peut être considéré comme une faute grave, motif à se faire dégager? Franchement, j'en doute. Dès l'instant où je m'engage à garder la même silhouette durant les mois à venir, je ne vois pas pourquoi je devrais me priver de certaines choses.


Sacré Jerry.


Malgré nos querelles régulières, mon manager depuis six ans maintenant, est comme le père que je n'ai jamais eu. Un pilier sur lequel je peux compter en toutes circonstances et qui ne se gêne pas pour me dire mes quatre vérités, contrairement au lot de personnes qui m'entoure au quotidien. J'ai conscience de très souvent me reposer sur lui et de lui en demander énormément mais il est tellement passionné par son travail que cela ne semble absolument pas le déranger, bien au contraire. Évidemment, le salaire que je lui verse chaque mois y est sûrement pour beaucoup...



Arrivé à mon domicile, je m'allonge telle une épave sur ce canapé aussi beau qu'il en est inconfortable. J'entends une porte claquer, Gladys fait son entrée et tombe à point nommé. Éreinté par cette matinée à signer ces fichus papiers je n’ai pas vu le temps passer si bien que mon ventre, affamé, commence à chanter.


- Monsieur Backer, me salue solennellement Gladys, tout en se dirigeant vers le coin cuisine d'un pas légé.


Gladys, ses 57 ans et ses cheveux blancs répondent à chacun de mes caprices sans jamais exprimer la moindre réticence ni même émotion et cela depuis de nombreuses années. À l'instar d’une voyante, j'ai cette incroyable impression qu’elle peut lire en moi. Une perle dans ce métier. Humainement, on ne peut pas en dire autant. Aussi froide qu'un glacier, elle ne dit rarement plus de dix mot dans une même journée. Pour le loup solitaire que je suis, c'est exactement ce qui m'a plu à ses débuts.


Pourtant, je mentirai si j'affirmais que tout ceci me suffisait. Cette baraque est bien trop grande pour un seul homme.



En aparté, le système de sécurité a influencé mon choix pour cette acquisition immobilière mais c'est bien l'entrée isolée, camouflant les cris excités des fanatiques, qui a fini par me décider...

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7 commentaires

Cindy.C_Auteure

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Il y a 8 ans

Pas mal je continue ( dydy )

Pjustine

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Il y a 8 ans

Bien vu !!! C'est complètement passé à la trappe, merci

Missperlyam

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Il y a 8 ans

Si tu es au États-Unis, il est plus cohérent de parler du dollar et non pas de l'euro.

Pjustine

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Il y a 8 ans

Oui, complexe personnage ce Jude...

emma81020

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Il y a 8 ans

Ça doit être cruel de se priver de fritte, je le plains ! :) Bon début d'histoire. Jude à l'air d'un personnage haut en couleur alors hâte de savoir ce que cela va donner :)

Pjustine

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Il y a 8 ans

Et je suis ravie de t'avoir toujours comme lectrice :) Je passe sur ton histoire des que possible, promis! :)

Emilie May (Bookofsunshine)

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Il y a 8 ans

Je suis ravie de te relire à nouveau
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