Fyctia
Clara (2/4)
On pense tous qu’il n’existe pas plus humiliant que ces boulettes où on se retrouve le centre de moquerie. Mais malheureusement, il y a le « après » qui, à mon sens, est tout aussi déstabilisant. Ce fameux moment de face-à-face est, justement, encore plus embarrassant. On se rend compte que la personne en face de nous sait et n’a pas oublié les faits. Par pur sadisme, elle va forcément aborder le sujet qu’on souhaiterait enterrer. On n’a alors pas le choix que de prendre sur nous. Tant bien que mal, on redresse les épaules et lève le menton dans une position montrant à l’autre notre force pour assumer nos actes. Pendant que notre petit nous essaie de trouver une cachette à l’intérieur pour pleurer tout son saoul.
Peut-être qu’il va faire comme si de rien était ! L’espoir fait vivre, paraît-il !
Je profite lâchement qu’il soit occupé avec ses filles pour me glisser vers l’entrée et commencer à me préparer pour partir en catimini. L’univers doit vraiment m’en vouloir car je n’ai pas fini de boutonner mon manteau que je sens un souffle chaud caresser mon oreille.
Bon et bien nous y voilà ! Il ne fera pas semblant !
Mes paupières se baissent dans la volonté de reprendre un peu le dessus, mais surtout pour ne pas affronter son regard. La honte me tient fermement à elle. Je pivote sur moi-même afin de lui faire face. Tout en restant aveugle, je tente d’expliquer comme je peux ainsi que de lui présenter quelques excuses. Il me laisse déblatérer mon laïus avant de m’interrompre. Sa question a le don de me faire ouvrir les yeux afin de voir si je n’ai pas rêvé. Je tombe alors sur ses billes noisettes qui brillent d’un air de malice. Je ne vois aucunement la moquerie transpercée de son regard. Non, ce que j’y lis ressemble à de la convoitise voire une pointe de désir. C’est impossible, je dois me tromper. Mon imagination m’a déjà joué assez de tours dans le passé.
Pour ne pas prononcer de nouvelles bêtises, j’enfile énergiquement mon bonnet et mes gants puis tourne les talons afin de partir. Je sens son regard me scruter. Je me sermonne en me rabâchant qu’il est un homme marié et père de trois enfants. Toute cette mascarade n’est qu’un jeu pour lui. Le mythe du boss et de l’assistante, très peu pour moi.
Le lendemain, lorsqu’il rentre, nous sommes encore en train de jouer. L’enfant en moi est heureux de vous informer que je les ai tous rétamé ! J’aperçois le regard peiné de Benjamin sur son fils qui ne met pas très longtemps à déguerpir dans sa chambre, évitant ainsi tout contact avec son père. Je ne les connais pas depuis longtemps, pourtant il est clair que leur relation est tendue. Toutefois, le regard de mon patron sur sa miniature exprime tout le mal qu'il éprouve face à la situation.
Le reste de la semaine s’écoule de la même manière. J’aime de plus en plus le temps passé parmi cette petite tribu. Ces enfants sont vraiment de petits anges auprès desquels la vie est assez simple. Au début, si Joshua était méfiant, maintenant, nous discutons de plus en plus. J’ai même découvert sa passion : le baseball. Les filles sont de vraies chipies, mais sont tellement gentilles, toujours prêtes pour une bonne partie de rigolade. Je trouve que je ne m’en sors pas trop mal avec eux, moi la femme-enfant comme décrit mon père. Finalement, ce n’est pas si dur que cela de s’occuper d’enfant !
Le vendredi, mon patron m’appelle pour aller en express au pressing récupérer sa robe d’avocat. Arrivé au cabinet, j’emprunte l’ascenseur puis je frappe à sa porte. Quelques secondes suffisent pour que la porte s’ouvre d’un coup sec. J’ai à peine le temps d’assimiler sa présence qu’il se saisit de la housse. Dans son élan, il dépose un baiser à la commissure de mes lèvres. Sans oser bouger, j’essaie d’analyser ce qui vient de se produire.
Ce qui me fige ne semble pas vraiment l’impacter. Après avoir formulé son invitation, je me décide, ou plutôt mes pieds prennent l’initiative de bouger afin de m’amener au centre de la pièce où trône son bureau en bois. Tellement sous le choc, je n’ose pas me poser de questions et commence ce qu’il m’a demandé sous la direction de quelques conseils de sa part.
Tout d’un coup, dans le coin de ma vision, je perçois du mouvement. Je détourne mon attention des papiers et la porte vers lui. Je me fige de nouveau quand je constate que mon patron est torse nu en train d’enfiler une autre chemise. Cette vue peut commune m’oblige à m’y reprendre à deux fois avant de réussir à avaler ma salive.
Si je m’attendais à cela en me levant ce matin ! Tout corps humain possède-t-il autant de muscles ?
Réalisant que je ne suis pas censée baver devant ce corps qui appartient à mon boss, je détourne vite le regard. Soudain, j’entends un déplacement provenant de son côté. À peine le temps de réaliser dans quelle direction, qu’il est déjà collé à mon bras pour prendre une feuille dans ses mains afin de la placer dans un dossier. Son souffle dans mon cou me fait tourner la tête vers lui. Mes joues rouges et mes mains tremblantes ne cachent pas mon trouble.
Sans un mot, il étire ses lèvres pour m’offrir un sourire charmeur afin de me prouver qu’il n’est pas dupe. Sa petite réplique résonne encore en moi lorsque, sans prévenir, il dépose ses lèvres sur ma bouche m’offrant un baiser rapide mais appuyé.
Mes yeux s’ouvrent en grand sous l’effet de la surprise. Sans s’attarder, il tourne les talons pour se diriger vers la porte comme si tout était normal.
Je reste à fixer la porte pendant un petit moment jusqu’à ce que la sonnerie du téléphone sur son bureau me fasse réagir. Sortant de ma torpeur, je décroche pour répondre. Une fois la communication terminée, je m’active pour tout ranger. Le temps m’est compté si je ne veux pas arriver en retard pour la sortie des classes.
J’essaie de faire comme si de rien était pour paraître naturel devant les enfants. Mon trouble doit tout de même être évident car Joshua me lance plusieurs regards en coin durant tout le trajet. Arrivé à la maison, notre petite routine à tous les trois se passe à merveille comme toujours.
— Qu’est-ce que vous voulez manger les monstres ? je les sonde.
— Tu restes ce soir ? me questionne suspicieusement le plus grand.
— Euuh, oui. Votre père va rentrer tard, il a eu une urgence au travail. Il ne sait pas trop quand il aura fini.
— Chouette, c’est troooooop coooool ! s’écrivent les filles en cœur.
Au moins deux que la situation à l’air de plaire. Comme s’il voulait percer mes plus noirs secrets, Joshua ne me quitte pas des yeux. Mon regard toujours fixé sur lui, j’attends qu’il réplique de nouveau quelque chose, mais rien ne vient. Aurais-je le droit à un lâcher de bombes colériques comme il réserve à son père ? Il sent qu’il y a un truc de louche, mais n’arrive pas à déterminer ce que c’est. Il attend tranquillement que les filles partent jouer dans le salon pour attaquer.
— Qu’est-ce qui se passe avec papa ? questionne-t-il calmement les yeux rétrécis en deux fentes sournoises.
(à suivre...)
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