WalkerOnTheWind Johatsu, les évaporés Chapitre 1.2

Chapitre 1.2

La pluie s'intensifia, se mit à tomber en rideau. Je lançai le journal d'ojiisan dans la maison, faisant voler au passage une ou deux feuilles volantes que je ne remarquai pas sur le coup, sans cesser une seconde de profiter de la pluie que j'aimais tant.

Quand je rentrais enfin, mes cheveux dégoulinaient, mes vêtements étaient trempés. On aurait pu croire que j'avais pleuré tant mon visage ruisselait d'eau mais il n'en était rien. Je m'étais juste tenu sous la pluie, le visage tourné vers le ciel, un sourire aux lèvres. C'était fantastique. Je me sentais bien, lavé de mon crime. Cette sensation était éphémère, j'en avais l'habitude; elle prendrait fin bien trop tôt à mon goût.


Après avoir pris une douche tiède, je ne voulais pas balayer la température de la pluie par une douche trop chaude, je me rhabillai en vitesse : jeans, t-shirt et sweat-shirt sélectionnés au hasard comme d'ordinaire. Il faisait encore frais pour un mois de mai. Je me cuisinais rapidement quelque chose avant de m'installer dans le salon devant la télévision. C'était la fin du bulletin d'informations. Je n'avais pas raté grand chose. Le JT avait le don de me prendre la tête plus qu'ojiisan et ses théories fumeuses. Il ne se passait pas un jour sans que quelque chose d'horrible ne se passe. J'en avais marre des guerres, des enfants mourants de faim, violés ou battus et du reste alors je faisais l'autruche et laissais ma famille m'informer des choses vraiment importantes. Je crois que c'était assez grave d'être comme ça à mon âge. J'aurais dû être adulte, me renseigner sur les enjeux de société et me confronter au monde mais je préférais enfouir ma tête dans le sable et vivre dans mon petit monde.

Je me mis à regarder sans grande motivation un film américain genre thriller psychologique avec un serial killer. Mouais... Je n'étais pas convaincu. Pourquoi les scénaristes de ses films tenaient à tout prix à trouver des motifs, une explication à la volonté de faire le mal qui émanait des tueurs et criminels. Pourtant, avoir eu une enfance pourrie ou des problèmes psychiatriques n'amenait pas nécessairement à tuer le premier venu. Nous avons tous le mal en nous mais nous décidons soit de le nourrir soit de le laisser mourir de faim. La seule explication aux crimes commis par les tueurs est l'envie de détruire, de blesser autrui. Je reconnais quand même qu'avoir une vie difficile n'aidait pas à faire le bien autour de soi ou à utiliser des biais légaux pour vivre ou plutôt survivre. N'étais-je pas une preuve qu'être bon ou mauvais était la plupart du temps une affaire de choix ? Si j'avais écouté les scénaristes de thriller, j'aurais dû assassiner un bon nombre de gens.

Une voiture explosa dans la télé. Je soupirai. Pourquoi les américains ne cessaient de rajouter des effets pyrotechniques dans leurs films ? Ca ne les rendaient pas meilleurs !

Le mal et le bien était une question de choix. Si les protagonistes de ces films avaient décidé de mener une vie simple sans chercher à être Dieu ou à obtenir toujours plus, ils auraient pu se faire une place dans la société, j'en étais sûr. Après tout, les pédopsychiatres que j'avais vu dans mon enfance m'avaient dit que j'avais des problèmes à exprimer mes émotions, ou plutôt que je ne les exprimais pas tout jusqu'à ce qu'elles sortent en une éruption de fureur, et que si je ne faisais rien, je n'arriverais jamais à mener une vie normale. A ce moment, j'avais pris ma décision : je n'avais pas envie d'être un rebut de la société, je voulais être normal et vivre une vie simple. Avec le temps, ma colère s'était endormie et la lumière qui demeurait en moi n'en était devenue que plus radieuse.


La porte d'entrée s'ouvrit. Je sursautai. L'air de rien, je m'étais immergé dans ce mauvais film ! Mes parents et ma grand-mère firent leur apparition avec un joyeux « Tadaimas' ! »*. Mais ojiisan n'était pas là. Il avait encore dû insister pour que tout le monde rentre sans lui car il tenait à faire les comptes avant de fermer le restaurant. Il était fier de cette responsabilité. C'était vraiment une tête de mule, fier d'accomplir les petites choses du quotidien. Je regardai alors l'heure. Ils rentraient tard ce soir. Mon père m'expliqua qu'ils avaient fait un crochet par le konbini** du coin pour acheter des cigarettes et quelques denrées alimentaires.

Mon regard se posa sur ma grand-mère, une petite femme menue à l'allure classique qui aimait à porter le kimono dans les grandes occasions. J'hésitai à lui poser la question qui me brûlait les lèvres. Et puis merde ! Je me jetais à l'eau.


-Obaasan ? Je voudrais te parler de quelque chose..., lui dis-je, peu confiant.

-Tout ce que tu veux mais pourrais-tu me faire un thé avant, s'il-te-plaît.


Je me relevai dans la seconde alors qu'obaasan s'installait à la table basse. Malgré ses paroles, je doutais qu'elle accepte de répondre à mes questions. Si ojiisan était le roi du mutisme, obaasan, elle, était une vraie tombe, songeai-je alors que je remplissais la bouilloire d'eau avant de la mettre sur le gaz. Appuyé contre le comptoir, je patientai, perdu dans mes pensées, jusqu'à ce que l'ustensile émette ce sifflement strident et désagréable. Je m'empressai de mettre le thé dans le filtre de la théière puis de la remplir d'eau bouillante. J'amenai tasses et théière à table.

Obaasan resserra son gilet autour de son corps frêle. Je ne l'avais jamais entendue se plaindre d'avoir trop chaud. Je m'installai en face d'elle. Otoosan, lui, était assis en face de la télévision, une bière dans la main droite et une cigarette entre le pouce et l'index gauche. Si ojiisan était là, il lui aurait encore passé un savon : il ne supportait pas les fumeurs et son fils unique fumait comme un pompier. Quelle ironie !


-Akira ?

-Hum ?

-De quoi voulais-tu me parler ?

-Ah oui... Je... Euh... Je sais que ce que j'ai fait n'est pas bien mais je suis tombé sur le journal d'ojiisan et je l'ai lu. Certaines choses m'ont interpellées.

-Tu es incorrigible ! Une vraie fouine ! Mais bon, j'imagine que ce jour devait arriver... Que veux-tu savoir ?


J'étais interloqué. Je ne fouillais jamais dans les affaires d'autrui alors comment pouvait-elle dire que j'étais une fouine ! Je mis ma vexation de côté, me ressaisis pour répondre.


-Je...Pardon ? Tu te doutais que j'allais fouiller le bureau d'ojiisan?

-Bien sûr mais faisons vite. Qu'est-ce qui t'as intrigué ?

-Je voulais savoir si ojiisan écrivait un roman sur le johatsu...

-Pourquoi écrirait-il un roman ? Il n'aime déjà pas lire alors écrire ! Mais il a tenu un journal pendant des années et rendu compte du quotidien dans des petits carnets...


Obaasan s'arrêta et se tourna vers l'entrée. Trois coups furent frappés contre le bois de la porte.


-Qui cela peut-il bien être ? Grommela Otoosan en commençant à se relever.

-Attends, je vais voir.

Tu as aimé ce chapitre ?

3 commentaires

Madame Split

-

Il y a 8 ans

Maintenant, j'ai envie de savoir pourquoi Akira est pris pour quelqu'un qu'il n'est visiblement pas et qui frappe à la porte...

LizaLuna

-

Il y a 8 ans

tout est bon ;)

WalkerOnTheWind

-

Il y a 8 ans

Toujours pas de place pour le lexique donc le voici : *Tadaimas' : Normalement cela veut dire : "Je suis rentré" (Si je me suis trompée, n'hésitez pas à me le signaler) **konbini : Supérette ouverte 24h/24. On en entend parler régulièrement dans les mangas ;)
Vous êtes hors connexion. Certaines actions sont désactivées.

Cookies

Nous utilisons des cookies d’origine et des cookies tiers. Ces cookies sont destinés à vous offrir une navigation optimisée sur ce site web et de nous donner un aperçu de son utilisation, en vue de l’amélioration des services que nous offrons. En poursuivant votre navigation, nous considérons que vous acceptez l’usage des cookies.