Fyctia
Jeu 11
- — A partir de quand Maman elle fait dodo, nous on va aller trouver des preuves. OK, Samy ?
- — ...
- — Et pis, on va écouter aux portes. Maman, elle dit qu'il faut pas écouter aux portes. Mais c'est pour la bonne chose, alors ça va. C'est notre secret, Samy, OK ?
Je ne vois pas ce qui pourrait foirer, aujourd'hui, pour le tournoi d' handibasket. J'ai appris des erreurs des années précédentes. Moins d'alcool à la buvette. Des fauteuils roulants en bon état. Pas de querelles d'ex ( je n'ai convié aucune d'entre elles). Et le toit de la salle omnisports vient d'être réparé. La seule eau qui coulera sur les athlètes sera celle de leur sueur. Je n'ai plus qu'à prier qu'il n'y ait pas une épidémie de gastro-entérite chez les sportifs. Il n'y a qu'un seul WC adapté aux handicapés dans tout le gymnase. Et je n'ai malheureusement rien pu faire pour ça.
Mais tout va bien se passer.
J'ai même réussi à convaincre le chef de service de lever la punition de Hugo et Gabin. Finalement, leurs courses poursuites avec leurs fauteuils roulants à travers les couloirs du centre de rééducation vont leur servir à quelque chose. Le moins qu'on puisse dire c'est qu'ils sont entraînés.
Toutes les équipes sont à l'heure. Les associations qui participent à l'évènement m'ont beaucoup aidé dans l'organisation du tournoi : décoration, matériel et publicité. C'est une réussite. Les tribunes se remplissent à vue d'œil et on attend encore des classes entières de l'école primaire qui doivent, elles aussi, assister au match dans le cadre de la journée internationale des personnes en situation de handicap. C'est aujourd'hui, le 3 décembre : rien n' a été laissé au hasard. Alors, à moins que je ne perde une nouvelle fois ma prothèse fémorale ( ce qui a à peu près autant de probabilités de se produire qu'un panier marqué par Dimitri malgré ses deux jambes valides), je peux enfin me détendre.
- — Je vais te mettre dans mon sac à dos. Y a trop de monde, ici. Faut pas que tu te perds. Mais je laisse un peu ouvert comme ça tu peux voir.
- — ...
- — T'as vu, Samy, y'a plein de gens. Ça va être super dur de le trouver.
- — ...
- — Tu te rappelles de la photo ? Il a une jambe bizarre, un tee-shirt vert pas beau et une barbe qui pique un peu. Mais pas aussi grande que celle du Père-Noël.
Comme je suis censé montrer l'exemple et, surtout, parce que j'ai perdu un pari stupide avec le jeune Tiago ( non, je n'ai pas réussi à tenir plus de dix secondes en équilibre sur ma prothèse ), je me retrouve obligé de participer au match d'ouverture avant la compétition officielle.
Ça fait tellement longtemps que je n'ai pas roulé dans un fauteuil que je souffre : ampoules aux mains seulement cinq minutes après le coup d'envoi, crampes dans les bras, souffle à l'agonie, égo malmené par les railleries de mes traitres de co-équipiers, sans parler de ce tee-shirt infâme qu'on m'a obligé à porter. Il faut vraiment que j'arrête de parier tout et n'importe quoi avec les gamins dont je m'occupe au centre. J'ai écopé du truc verdâtre le plus immonde qu'on puisse porter.
Mais, contre toute attente, le match est interrompu par un appel urgent passé dans les haut-parleurs de la salle. Je retiens ma respiration ( ou ce qui m'en reste). Qu'est-ce qui se passe cette fois-ci ? Un incendie s'est déclaré quelque part ? Un type a crevé les pneus du fauteuil roulant d'un autre ? Cette fichue gastro ?
[ Chers spectateurs, la petite Manon cherche son papa... ]
Je suis presque soulagé d'entendre que ce n'est qu'une banale perte d'enfants.
Je glisse à Dimitri :
— C'est moi ou les parents perdent plus souvent leurs gosses que leurs clés de voiture ?
Mais ma plaisanterie tombe à l'eau tandis que les haut-parleurs diffusent maintenant la description du père indigne.
[... Selon la petite Manon, son père porte un tee-shirt (de quelle couleur, tu dis ?) euh... vert pas beau... il a une prothèse à la jambe et... (mais comment il s'appelle ton papa ?)... et s'appelle Alexis Burel ! Merci de venir la récupérer dans le hall (t'inquiète pas, il va venir te chercher ton papa)...]
Je pourrais avoir mal entendu, sauf que toutes les personnes que je connais en ce lieu me dévisagent à cet instant précis. J'avoue, je ne l'avais pas vu venir celle-là.
Puis, je me sens con. Quelqu'un d'autre porte le même nom et le même prénom que moi, voilà tout ! Je le saurais si j'avais perdu une gamine qui dit être ma fille !
Mais au deuxième appel passé dans les haut-parleurs, je me sens obligé d'aller voir par moi-même, ne serait-ce que pour mettre un terme à cette mauvaise farce. Sérieux, Dimitri, si c'est toi qui es derrière tout ça, tu vas me le payer cher !
Quelques minutes plus tard, je me retrouve en face d'une fillette, pas le moins perturbée du monde d'avoir été abandonné. Je lui donnerais 7 ans mais je suis nul à ce jeu-là. En tout cas, le bénévole qui l'a pris en charge semble plus que ravi de me refiler le bébé :
— Ah voilà, ton papa !
— Désolé, mais je ne suis pas son père.
— Si, c'est toi mon papa !
Elle le dit avec un tel aplomb que j'en viendrais presque à douter un instant.
Le bénévole a un petit rire gêné. Il semble se demander ce qui est en train de se passer et j'aimerais bien le savoir, moi aussi.
Gêné par ma prothèse, je me baisse tant bien que mal à sa hauteur.
— Ma puce, qui c'est qui t'a dit de faire cette blague, hein ? Tu peux me le dire, promis, je ne dirai pas que tu me l'as répété. C'est Dimitri, c'est ça ?
La petite me dévisage.
— C'est pas une blague, c'est toi, mon papa ! Et Samy et moi, on a la preuve !
Sous mes yeux perplexes, elle sort un doudou (pas beaucoup plus beau que le tee-shirt que je porte) de son sac à dos et je comprends, alors que, de son autre main, elle brandit une photo, que le nounours moche n'est pas la preuve mais le Samy en question.
Du haut de son mètre vingt, la gamine a une telle force de conviction que je me surprends à inspecter le cliché.
La première chose qui me frappe, c'est le tee-shirt. Vraiment laid, vraiment ressemblant à celui que je porte sur l'instant. La deuxième, c'est que la photo a été déchiré dans le coin gauche, on a arraché la tête de ce pauvre type. Qui a comme moi une prothèse fémorale à la jambe droite. Le cliché est de mauvaise qualité et le papier a été tellement manipulé, ( plié, froissé un nombre incalculable de fois, de toute évidence) que cet homme pourrait être n'importe lequel d'entre nous, pourvu qu'il soit doté de ce handicap.
Je m'apprête à lui expliquer les choses lorsqu'une femme apparaît devant nous, visiblement essoufflée d'avoir couru. Inquiète, elle s'écrie :
— Mais Manon, enfin ! Tu ne peux pas t'enfuir comme ça ! Pour une fois que je peux t'accompagner à une sortie de classe, c'est comme ça que tu me remercies ? Et c'est quoi cette histoire de pa...
La mère de la petite s'interrompt en découvrant mon visage. Le sien passe par toute une palette de couleurs avant qu'elle ne réussisse à articuler péniblement :
— Salut, Alexis.
3 commentaires
Fanfan Dekdes
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Il y a 4 ans
Karl Toyzic (Ktoyz)
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Il y a 4 ans