Fyctia

(Clarisse Sillon de Picodon)

Journal intime

Mercredi 5 octobre

Cher Papé.

Je suis certaine que c’est grâce à toi si je ne suis plus seule… Non, non, je ne parle pas de mes nouveaux amis mais de mes chiennes. Je ne suis pas idiote, cela ne peut pas être un hasard, tout ça. Si tu es devenu un fantôme, j’aimerais bien te voir. Sinon, dans l’ensemble la nouvelle installation s’est bien passée. Je dirais qu’on y gagne presque avec Mallaury car plus besoin de faire de l’acrobatie pour monter à notre literie et surtout, nous bénéficions ici de vraies fenêtres. Le problème demeure les allers retours pour la douche ou les WC mais bon, au moins mes fifilles sont bien installées. C’est trop mignon car Jilda s’occupe de Mojita comme si c’était sa propre fille… euh une fifille pas toujours très propre. On dirait que je passe mon temps à nettoyer ses bêtises mais personne ne dit rien. Le reste de mon temps libre, je l’occupe à faire faire de grandes balades à Jilda. La pauvre, il faut qu’elle se défoule. Les autres se relaient un peu chacun leur tour pour nous accompagner. Je ne sais pas s’ils ont peur que je me fasse agresser quand je sors et qu’il fait nuit ou tout simplement que je craque et me refournisse en alcool ou autre.

Je ne sais pas si ce n’est que le début de cette interruption ou du fait que mes activités se succèdent ne me laissant aucun répis mais jusqu’à présent, je n’ai pas trop ressenti le manque. Il faut dire que Simonella m’a également faite une séance d’hypnose… C’était ma première et j’ai été très surprise quand elle m’a fait faire le fameux test de réceptivité. Incroyable ce truc ! On te fait accrocher tes index et pouces de la main gauche avec la droite en t’interdisant de les défaire. Après ça quand j’ai voulu détacher mes doigts, je n’y suis pas parvenue jusqu’à ce que sa voix me donne la permission. C’est incroyable ce truc ! Evidemment, au début je n’y croyais pas trop mais je suis ressortie de cette première séance, déjà plus zen. Après, je ne sais pas pour mes addictions. On verra. Pour dormir, j’ai de bonnes doses homéopathiques à prendre et puis avec mes fifilles on se fait un gros câlin donc ça y fait beaucoup. Même Mallaury demande sa dose de tendresse à mes fifilles.

Pour notre étape à Nyons, j’ai laissé mes chiennes dans le camping-car. Je n’étais pas trop rassurée et j’avais peur qu’elles fassent des bêtises mais non, il semble qu’elles aient dormi. J’ai bien aimé l’ancien quartier, même s’il a fallu grimper pour parvenir au pont roman de Nyons qui enjambe l'Eygues et qui, d'après nos notes, date de 1409 et a eu, pendant un certain temps, une tour de péage ! Le deuxième monument qui nous a intéressé était la Tour Randonnée qui a été construite en 1280 et se trouve sur les hauteurs du quartier des Forts. C'est en 1862 qu'un curé l'a acheté et convertie en chapelle. Nous avons immortalisé ces lieux que nous avons envoyé à Cyril.

Au sommet de la tour se dresse une pyramide de trois étages d'arcades qui soutiennent une grande statue de la vierge. Si on l’avait vu de loin, une fois à proximité, je ne sais pas, je me suis sentie plus pieuse. Passant du vieux quartier à ceux plus modernes, nous avons poursuivi notre balade. Jadeline nous a annoncé débuter une nouvelle collection, en achetant quelques cartes postales du coin. Elle veut faire ça pour chaque étape. Pourquoi pas ?

Après ça, Cyril nous a envoyé une nouvelle vidéo à distance. Sur celle-ci le Papé s’est montré très clair et nous a invité à remonter dans le nord de la Drôme pour la commune de Hauterives. Là, il voulait que l’on découvre et immortalisions l’œuvre ainsi que la tombe d’un facteur hors du commun.

Nos recherches nous ont permis de découvrir qu’il s’agissait du facteur Cheval. Joseph Ferdinand Cheval de son vrai nom, né en 1836 et décédé en 1924. Il a mis 33 ans à construire tout seul un palais idéal. D’après les quelques clichés que nous avons découvert, c’est très spécial et je suis maintenant impatiente d’aller découvrir ça ! Nous avons prévu de nous y rendre cet après-midi, d’autant que nous sommes apparemment à côté. En attendant, Simonella va me faire une autre séance d’hypnose puis avec Mallaury, nous aurons droit à un petit cours de gym. Décidément cette femme ne cesse de me surprendre.

Alors que nous rentrons dans ma chambre pour la séance d’hypnose, quelle n’est pas ma surprise d’apercevoir la Duster de Cyril se garer.

– Tiens, le notaire arrive. C’était prévu ça ?

– A vrai dire je n’en sais rien. J’ai beau bien le connaître, il ne me dit pas tout et encore moins en ce qui concerne ce jeu.

Tiens donc, elle le connait bien… Je croyais que cela avait été à la fois la cliente et l’amie de Papé. Et qu’elle avait ainsi fait la connaissance de Cyril mais pas qu’ils se connaissaient aussi bien.

– Vous vous connaissez d’où ?

Devant cette interrogation, Simonella semble surprise.

– Euh… il ne vous l’a pas dit ? Alors euh… je ne sais pas si je peux t’en raconter davantage.

– C’est un secret d’état ?

– Non, pas vraiment…

Mais en voyant mon regard suppliant je parviens à lui faire cracher le morceau. Et après ça, c’est moi qui vais demeurer silencieuse.

– Il vous l’a dit, qu’il a perdu ses parents à six ans ?

Mais devant mon hochement de tête négatif, tout en soupirant, elle poursuit.

– Ses parents ont eu un terrible accident de voiture avec un camion. Rien qu’en voyant l’état du véhicule, il n’y avait aucune chance que l’un d’eux aient survécu. Cyril était tranquillement à l’école quand j’ai reçu l’affreux coup de téléphone m’apprenant le décès de ma sœur et mon beau-frère. C’est justement Papé que j’ai connu pour l’ouverture du testament. J’héritais de la maison de ma sœur et celle-ci me demandait activement de ne pas abandonner son enfant pour le cas où il lui arriverait quelque chose et qu’il n’était pas majeur. Même si cela dépassait ses compétences, il m’a aidé à remplir cette paperasserie. Je ne sais pas si j’aurais dû le dire ou pas à un si jeune enfant, mais j’ai choisi la franchise. J’ai alors annoncé à mon filleul qu’il ne reverrait plus son papa et sa maman car ceux-ci étaient repartis au ciel. Il m’a alors dit vouloir partir les rejoindre. Je ne l’ai pas assez prise au sérieux, pensant qu’avec les années, ça lui passerait. Hélas, avec son entrée au collège, les conneries se sont enchaînées… Il a tenté plusieurs fois de se suicider, il a pris de la drogue… jusqu’à ce que ton Papé décide de le prendre sous son aile. Il partageait tout son temps libre entre Cyril et toi qui étais encore presqu’un bébé… Mais bon, là, tu me fais parler et on est en train de prendre du retard. Allez, allonge-toi et concentre-toi sur mes paroles. Ne t’en fais pas, les autres vont bien s’occuper de tes filles.