Fyctia
Chap. 21 - L'homme X (1)
Captivité – 2020, chez moi
Je ne suis pas un mec chanceux. C’est ainsi. Je ne m’en plains pas, je ne fais que constater.
Ma parodie de bonne étoile m’a toujours tellement collé aux basques qu’au lycée, les rares personnes qui prêtaient attention à moi m’appelaient le « poissard ». Cela ajoutait une nuance de potentielle contagion au mal qui me frappait, je me sentais constamment entouré d’un halo radioactif.
Aujourd’hui, que dire si ce n’est que je suis du genre à me prendre la porte automatique de chez Franprix (qui marchera très bien jusqu’à sa mort, merci pour elle) sous le regard incrédule des mères de famille qui se disent que je l’ai sans doute bien mérité (il est vrai qu’il n’existe aucune raison objective pour laquelle une porte de supermarché en voudrait à quelqu’un s’il n’avait fait quelque acte répréhensible – le dieu des vitres est un vrai fils d’enfoiré, la voilà la vérité).
Les supermarchés, parlons-en. Et ajoutons-y les magasins de bricolage. Je suis souvent saisi d’une angoisse vertigineuse, quasi-paralysante, face au choix qui s’offre à moi dans ces temples de la consommation. Que ce soit pour l’épaisseur du papier toilettes ou la force de percussion d’une perceuse, je ne saisis pas la nécessité d’un tel éventail de possibilités. Je me noie dans cette potentialité que je ressens comme une agression.
Je pourrais passer trente minutes au rayon des sécateurs, hypnotisé par le champ des possibles.
Et cette angoisse ne s’arrête pas aux rayonnages, le paiement est également une source infinie de stress au point que je ne sais souvent pas quoi rétorquer aux sollicitations basiques des préposés.
Une fois, une caissière m’a demandé si j’avais la « carte » du magasin. Ne comprenant pas la question sur le moment, j’ai répondu – déguisé du sourire du demeuré – que je n’en avais pas l’utilité, ayant trouvé les caisses tout seul.
Cependant, je pense que l’apogée de mon inadaptation est à n’en point douter la sortie du magasin.
J’ai dans mon caddie de quoi construire un bunker et je me sens coupable, tel un diabétique entrant dans une chocolaterie.
Il n’y a pourtant aucun moyen de savoir ce que je vais faire de tout cela. Il n’est pas écrit sur mon front que je séquestre une éditrice et qu’il m’est nécessaire de renforcer un poil la sécurité.
Mais voilà, je n’ai jamais su m’extraire de ces lieux sans me faire remarquer.
Il faut prendre un air détaché – plus simple probablement que d’en prendre un encore attaché –, sous peine de ne pas passer l’épreuve du vigile en faction qui saurait vous sanctionner d’un châtiment à la hauteur de votre crime.
Mais comment feindre cet état insouciant dès lors que le fonctionnement des milliards d’engrenages nécessaires à l’équilibre du corps se prend à traverser votre esprit immobile, que vous vous mettez en quête de la notice de votre propre organisme ?
De même que je suffoque à la simple idée de respirer avec abandon, il m’est impossible de dicter à ma chair une nonchalance qui ne se douterait de rien.
Le vigile est grand, brun, et doté d’une telle masse musculaire qu’il pourrait probablement me briser la clavicule par un simple regard un peu appuyé.
J’avance toujours vers lui et le système antivol du magasin, sorte de portique d’aéroport, le vide-poche en moins. Apparaître normal à ses yeux est le seul objectif que je souhaite me fixer pour les dix prochaines années.
Il a l'attitude vicieuse du gardien de l’ordre qui se cache. Il incarne la caution sécuritaire de ce Casto à la manière d'un faux jeton, sans en avoir l'air (« volez tranquille, c'est la fin de mon service et on m'attend pour l’apéro »).
Je ne m'en laisse pas conter et me mets à me concentrer sur ma démarche. Une deux. Mince, c'est peut-être trop régulier pour avoir l'air honnête. J'entreprends de désynchroniser sensiblement la jambe gauche d'avec sa sœur jumelle (coincée de l'autre côté du miroir de mon sexe).
Tout à coup, je note un enfant que je n’avais pas remarqué en périphérie de mon champ visuel. Il me tend la main.
- Monsieur ?
Quoi « monsieur » ? Croit-il que je n’ai que ça à faire ?
Pour qui se prend-il ce petit con à m’interpeller ?
Sait-il à quel point les enfants me terrifient ?
- Monsieur ?
Je ne peux plus refuser la confrontation sans attirer encore davantage l’attention.
Je lui réponds « oui » en tournant ostensiblement la tête dans sa direction.
On sait trop à quel point les voleurs savent prendre la mine de rien de celui qui éviterait de regarder les autres. Evidemment, si j’avais opéré une légère rotation de mes cervicales plutôt qu’opter pour ce franc pivot, j’aurais pu éviter l’impact.
Ou alors il aurait fallu que je m’arrête au moment où j’ai voulu lui répondre.
On ne refait pas l’histoire malheureusement.
Je prends donc le vigile en pleine poire.
Il s’appelle Thomas et me remet sympathiquement debout lorsque j’amorce un mouvement vertical pour retrouver une certaine contenance.
J’en profite pour lui subtiliser un poil que je vois traîner sur sa manche – ça peut toujours servir.
Et à cet instant, l’enfant me ramène une pince multiprise qui, apparemment, avait tenté de s’évader de mon caddie – lâcheuse.
Peut-on considérer mon opération consistant à passer inaperçu et normal comme un succès ?
Disons simplement que ça n’a pas fonctionné comme prévu.
Au-delà de ces épisodes qui me ramènent à ma condition d’inadapté et me rappelle, dès que l’occasion se présente, ma poisse, il est fréquent qu’une inconnue se glisse dans l’équation de mon quotidien.
Le facteur X.
Ou l’homme X.
Cela commence de la plus bête des manières, lorsque je rentre à la maison et que je vérifie mes différents systèmes de sécurité.
Je m’aperçois qu’un homme a pénétré chez C. et a déclenché l’alarme anti-intrusion que j’ai installée.
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petitemr
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John Doe
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clecle
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Gottesmann Pascal
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