Laureline Maumelat La lumière dans mes ténèbres Pope

Pope

2019


Dans la douceur du premier soir d'automne, assise sur le gravier de l'allée de Pope, Adèle fume. C'est son plaisir coupable, celui qu'elle s'octroie quand la vie est merdique.

Vu qu'elle ne supporte pas l'alcool et qu'elle ne risque pas de faire une overdose de sexe - rien que l'association de ces deux mots la fait rire -, il ne lui reste que cette clope qu'elle savoure. Une bouffée après l'autre, la fumée lui procure une brève sensation de plénitude.


Le bout incandescent de sa cigarette n'est pas le seul à briller ; par intermittence, le faisceau lumineux du vieux phare balaye l'obscurité. Cette lumière l'a bercée toute sa vie. Dans sa chambre d'enfant, Adèle s'endormait en pensant aux marins protégés des écueils par le géant immobile.

Cette maison, devenue sienne après la mort de ses parents, est l'endroit au monde qu'elle préfère. Derrière l'étroit jardin, il n'y a que les dunes de sable, le phare et le grand large...

Tous les vendredis, c'est son rituel : elle ferme le cabinet, un sac d'affaires sur le dos, puis longe la plage jusqu'ici pour y passer la nuit. Deux kilomètres d'une solitude bienvenue.


Elle écrase le mégot et le cache sous un pot de fleurs. Adèle attend encore sous la voute étoilée. Elle pourrait entrer - la porte reste toujours ouverte -, mais elle préfère profiter de la douceur, avant que le vent froid du large ne souffle. De toute façon, tant que Pope regarde la télé, il n'y est pour personne.


Soudain, l'ampoule du perron s'allume. Adèle se retourne et, quand la porte s'ouvre, elle est surprise de découvrir Sander. Lui ne peut pas la voir.


Adèle réalise que leur relation n'a sans doute jamais été plus que ça. Leur premier rencontre était prémonitoire : elle se trouvera toujours derrière une vitre à observer Sander, indisponible et lointain. Chacun d'un côté d'un obstacle infranchissable.

Mais ce soir, elle a besoin de lui parler. Elle sort de l'ombre. Aussitôt une joie sincère illumine le visage du sculpteur. Adèle soupire. Il est douloureusement beau.


— Je suis content de te voir.


— La joie n'est pas partagée.


L'écho du passé résonne autour d'eux, dans la nuit qui se pare de brume. Sander sourit avec douceur.


— C'est ce que j'ai cru comprendre, quand tu es partie alors que je criais ton prénom dans la rue.


Elle a fui. Elle n'était pas prête. En entendant sa voix qui lui avait tant manqué, elle avait soudain eu peur de laisser échapper la question qui brûlait en elle : pourquoi tu n'es pas revenu me chercher ?

Mâchoires contractées, elle avait regagné sa voiture. Elle ne voulait pas que ce soit les premiers mots de leurs retrouvailles.

Adèle n'est pas malheureuse. Elle est satisfaite de sa vie, elle ne veut pas que Sander découvre une autre que celle qu'il a laissée. Le choix qu'il a fait était le meilleur pour eux deux. Ainsi, ils ont pu accomplir leurs rêves...


Oui, son cœur s'est éteint le jour de son départ, mais ce n'est qu'une partie d'elle-même. Elle soigne, aide, console, prête une oreille attentive à tous ces gens qui lui font confiance et qui voient en elle une personne importante. Elle est importante !


— Qu'est-ce que tu fais là ?


— J'étais venu saluer Pope.


— A onze heures du soir ? Il ne t'a pas fichu dehors ?


— Disons qu'il a fallu attendre la publicité pour pouvoir lui parler.


Elle rit. Avec lui. Et ce moment, cet éclat fugace de bonheur, fait plus mal que toutes les secondes de ces années sans lui.


— Je te cherchais, aussi, mais tu n'habites plus là.


— Je n'ai plus 17 ans...


Il rit de nouveau, glisse sa langue sur sa dent ébréchée. Ce détail serre le cœur d'Adèle. Pourquoi ne l'a t'il pas fait réparer ? Il amorce un pas vers elle, elle recule.


— C'est vrai, avoue Sander, mais tu es toujours aussi belle.




***


2009


Adèle passe la meilleure soirée de sa vie. Sans comparaison aucune. Chaque seconde est facile, évidente, limpide. Chaque minute suit la précédente comme si Sander et elle se connaissaient depuis toujours. Ils se sont racontés leurs courtes vies, les ont comparées ; la conversation s'entrecoupant de silences, de respirations et de regards. Comme des évidences.


Sander sait qu'Adèle va être médecin et qu'elle reviendra vivre ici. Il est au courant pour la mort de ses parents et son implication dans la communauté.

Adèle sait que Sander est mécanicien dans le garage de son oncle, chez qui il habite aussi. Sa mère est retournée aux Pays-Bas après la mort de son père, l'an passé. Elle a compris qu'il aspire à partir.

Pour la première fois de sa vie, la jeune fille découvre ce que c'est que d'être complice avec quelqu'un d'autre que Nora ou Pope. Une complicité immédiate, implicite, à des niveaux si intimes qu'elle n'est pas certaine d'en comprendre les implications.


Pourtant, le rendez-vous a mal commencé. Le jeune homme est arrivé en retard. Rien de surprenant, vu que Pope lui avait donné une fausse adresse. Adèle était nerveuse et espérait presque qu'il ne vienne pas. Quand il s'était finalement présenté à 21h, penaud, Pope avait bien ri et l'adolescente était mortifiée. Sander lui avait alors offert une petite fleur confectionnée avec du fil de fer et elle avait cru que ses joues allaient prendre feu.


Maintenant, Sander et elle sont assis sur les balançoires de la vieille aire de jeu, celle au pied du phare. Ils sont à peine à cinq cent mètres de la maison de Pope. Ils ne pensent déjà plus à aller boire un verre quelque part. Ils ont la sensation qu'ils se trouvent exactement là où ils doivent être.


— Il n'y a pas de 6, rue des Ormes, dit Sander.

— Non. Ici, c'est le 1, mais Pope n'a jamais voulu être premier en quoi que ce soit, alors il s'est inventé sa propre adresse.


Ils rient doucement. Adèle lève les yeux vers le phare.


— J'adore ce monument.


Sander acquiesce.

— Il me donne des envies d'ailleurs.


— C'est vrai ? Moi, il me rappelle que je suis à la maison.


Les chaines rouillées grincent sous leur poids.


— Pourquoi tu voulais me revoir ? interroge Adèle, d'un coup, curieuse d'obtenir une réponse à cette question qui la tracasse depuis qu'il l'a invitée.


Sander grimace, embarrassé.


— Tu ne me croiras pas.

— Essaye toujours.


Il se met face à elle, un genou à terre.


— On est d'accord qu'on se connaît depuis dix minutes ?

— Techniquement un peu plus... blague Adèle, soudain parfaitement consciente de ce qu'il va lui avouer.


Elle le sent dans toutes les fibres de son être. Une conviction profonde, une certitude qu'elle a acquise quand elle l'a vu derrière cette vitre.


— Ça s'est passé quand tu as pris ma main dans le palais des glaces, reprend Sander.


Il entrelace ses doigts à ceux d'Adèle. Elle se laisse faire, le cœur battant.


— Je t'aurais suivie au bout du monde. Les yeux fermés. Et pourtant, je ne savais même pas à quoi tu ressemblais !


— Et puis tu m'as vue... chuchote Adèle en se touchant la joue.


— Et puis je t'ai vue, répète Sander en caressant sa cicatrice. Et j'ai su que je voulais contempler ton visage encore et encore.



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15 commentaires

Ingrid Day

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Il y a 5 ans

rolala....c'est juste...wahou <3 Je file à la suite !

Amelia Pacifico

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Il y a 5 ans

Où vas tu chercher toutes ces idées ? ♥ ce personnage, Pope, est génial, Sander, craquant, Adèle, attendrissante... quel talent :-)

Laurie Delphis

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Il y a 5 ans

Mais où est la suite??? 😱

Laureline Maumelat

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Il y a 5 ans

j'y travaille ! XD

EmmaGrim

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Il y a 5 ans

J'aime j'aime j'aime!!!! Le rythme, l'histoire, le style, les personnages, tout me plait! Vivement la suite!

Laureline Maumelat

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Il y a 5 ans

j'y travaille ! Merci beaucoup de ta lecture et de ton commentaire enthousiaste ♥

Amandine Mistyque

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Il y a 5 ans

Rien a dire si ce nest que c'est un super début qui donne envie de connaître toute l'histoire !

Laureline Maumelat

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Il y a 5 ans

je m'y attèle, en tous cas, merci d'être venue me lire ♥

Anne-Estelle

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Il y a 5 ans

C'est superbe de combiner à chaque chapitre passé et présent. Tu nous donnes des flashs de certains instants qui apportent tellement d'éléments de leurs vies personnelles, sans que ce soit trop, et en même temps tellement d'émotions : tendresse, envie de les voir réunis, tristesse parce qu'on ne comprend pas ce qui a pu se passer, rire (pour les touches d'humour), et impatience (vivement la suite) <3

Laureline Maumelat

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Il y a 5 ans

merci pour ce commentaire détaillé ♥ je me dépêche, j'espère avoir le temps de tout écrire avant la fin
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