Fyctia
Chapitre 14 - suite
— Lui, c’est Arthur, il a un bon cardio mais la technique du papillon est encore à travailler. Ensuite, tu as Adam qui a commencé il n’y a pas longtemps mais il a un super niveau, je vois quelque chose comme un 400 mètres nage libre pour lui. Liam, sale caractère mais ce gamin est le meilleur en crawl que j’ai vu depuis… toi.
Il semble jauger ma réaction puis continue.
- Théo manque de confiance en lui mais parvient à faire une accélération phénoménale sur la fin de sa série. Eliott sait tout faire mais il manque de vitesse. Ismaël, un ange ce gamin mais il doit travailler son cardio pour faire de meilleures performances. Enfin, tu as Soan qui a la meilleure brasse de l’équipe.
— Une chouette équipe, dis-je.
— Écoute Léo, je ne leur ai pas annoncé mais d’ici un an je vais céder ma place. J’ai consacré des années de ma vie à ce club mais j’aimerais profiter de ma femme un peu plus. Il faudra quelqu’un pour reprendre le flambeau. Sache que tu es le bienvenu…Je me souviens que tu souhaitais entraîner à l’époque.
— C’est vrai. J’y réfléchirai.
Il sourit et donne les longueurs suivantes ainsi que le chrono attendu aux garçons. J’en profite pour nager de mon côté et c’est de nouveau un bol d’air frais. Cette piscine a toujours été celle dans laquelle je me sentais le mieux. Un peu comme à la maison. Deux ans sont passés mais ce sentiment est intact.
Je regarde les gradins. Eux non plus, n’ont pas changé. J’y vois l'image de Léna et son carnet à croquis. Mon esprit est constamment occupé mais dès qu’un moment plus calme s’offre à moi, mon cœur se serre. Chaque bon moment que je passe, j’ai le sentiment de les voler à Léna. C’était son choix de partir, mais continuer à vivre me semble injuste. Je me sens toujours coupable. Coupable.
La différence actuelle, c’est que si je pouvais m’acharner sur mon sort lamentablement avant, j’ai à présent une folle-dingue qui ne me laisse pas l’occasion de refuser de vivre. Au contraire, elle me fait danser sous la pluie. J’ai eu envie de lui parler de Léna plusieurs fois mais je pense que j’ai peur de sa réaction. Surtout si elle savait comment elle est partie. Probablement que j’attends le bon moment. Existe-t-il vraiment un bon moment pour parler du deuil?
J’ai toujours vu ça comme un sujet tabou. Un sujet dont on ne peut pas parler parce que c’est bien trop délicat. Peut-être serait-ce moins difficile si on déliait la parole autour de la mort.
Quand j’avais dix ans, un ami de ma classe, Jules, venait de perdre sa mère. Il était arrivé à l’école en pleurant et tout le monde lui avait demandé ce qu’il se passait.
Puis, il nous a dit :
— Ma mère est morte.
Et personne n’a su comment réagir. Parce que ce n’est pas le genre de chose qu’on nous apprend. On nous apprend à lire, à compter, à être gentil avec les autres, à ne pas se battre. Mais on ne parle pas de la mort. Du deuil. De toutes les étapes compliquées que cela requiert.
Les enfants ont cette chose innocente qu’est l'entièreté. Jules a dit qu’elle était morte. Nous, adultes, avons toujours des mots moins vrais, moins durs comme : elle nous a quitté, elle est partie, elle est là-haut…C’est finalement très ridicule. Pourquoi ne pas dire le vrai terme? Nous n’avons aucune difficulté à dire : elle est en vie.
Vie. Mort.
L’un entraîne forcément l’autre mais le second demeure défendu alors que sans la vie, il n’y aurait pas la mort. On le sait tous. On fait simplement semblant d’oublier.
J’arrive à l’appartement et j’entends la voix de Juliette qui résonne de l’extérieur. À peine suis-je arrivé que je pars prendre une douche.
— Je prends ma douche et j’arrive ! lui lancé-je.
— Ça marche, répond-elle.
Elle est en train de faire à manger avec Ethan. Je les entends rire de là où je suis, le jet d’eau aspergeant mon visage. Lorsque j’ai terminé, j’enfile un bas de jogging et je m’installe pour manger avec eux.
— Ça va mieux, princesse? dis-je à Ethan.
— Oh c’est bon.
— Comment ça princesse? rigole Juliette.
— Vois-tu, notre cher Ethan avait la gueule de bois ce matin et pensait rédiger son testament.
— C’est bon…, grimace-t-il.
— Un pour l’alcool, zéro pour Ethan ! crie Juliette.
Juliette se contente d’éclater de rire et Ethan tire la gueule avant de se décoincer.
Quelle équipe.
Ethan part se coucher quand nous décidons de monter sur le toit avec Juliette. Ce soir, il y a plein d’étoiles. Nous prenons la même place que la fois dernière mais nous nous mettons sur le dos. Éclairée uniquement par la lune et les étoiles, Juliette ne voit pas que je la regarde. Elle est magnifique. Je détourne le regard et je fixe le ciel à mon tour. Léna doit être quelque part là. Je soupire car ma poitrine me fait mal à nouveau.
— Tout va bien? demande Juliette.
— Tu te souviens du premier jour à la piscine?
— Oui, pourquoi?
— Tu m’as demandé pourquoi j’avais abandonné la compétition.
— Oui, je me souviens.
— En fait, je partageais ma vie avec quelqu’un. Elle s’appelait Léna. La veille des championnats d’Europe, elle est morte.
Morte. Le mot fatidique est sorti de ma bouche.
Juliette tourne la tête vers moi. Je ne saurais pas traduire son regard. Elle prend ma main et elle la serre fort avant de souffler :
— Je suis désolée que tu aies dû vivre ça.
C’est terriblement sincère. Si sincère que ça m’en fait mal de me livrer pour une des premières fois. Par un élan de besoin, je continue à lui parler.
— Alors, j’ai tout annulé. J’ai tout quitté pendant quelque temps. Puis, je suis revenu. Mais ça a toujours été difficile.
— Où as-tu trouvé la force de revenir? demande-t-elle.
— Je ne sais pas. Je crois qu’au fond de moi je savais que tout abandonner ne m’aiderait pas plus.
— Je vois.
— C’est pour ça que je t’ai emprunté ce recueil de poésies. Quand tu m’as dit qu’il parlait de la mort et d’un décès, j’ai voulu voir si les mots d’autrui pouvaient traduire ce que je ressentais.
— Et c’était le cas?
— Pas vraiment. Je me suis juste senti compris dans ma peine. En fait, je crois que c’est propre à chacun. S'il existait un ressenti universel face au deuil, ça se saurait sûrement.
Elle continue de me regarder. Je crois voir une larme couler sur sa joue. Elle lâche ma main pour la balayer d’un geste mais je vois bien que ses yeux brillent. En réalité, les miens aussi.
— Est-ce qu’elle te manque? demande-t-elle.
— Tous les jours.
Elle se remet dans sa position initiale et fixe le ciel à nouveau. Alors, je fais de même. Nous restons ainsi pendant un certain temps, je ne saurais pas dire combien exactement. Je me sens un peu plus léger d’en avoir parlé même si je n’ai pas encore réellement tout dit. Je ne me sens pas prêt pour ça, pas tout de suite.
Les étoiles sont sublimes. Certaines brillent plus que d’autres. Juliette reprend ma main et se met à sourire, puis elle refixe les étoiles.
— Bonsoir Léna, je m’appelle Juliette.
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leslivresdemarie_
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Il y a 2 ans
ooorianem
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Gottesmann Pascal
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Céleste Savigny
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Gege89
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Céleste Savigny
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