Céleste Savigny Je coulerai avec toi Chapitre 6 - suite

Chapitre 6 - suite

J’ai les yeux rouges et la bouche sèche à force d’avoir pleuré. J’ai un mal de crâne pas possible. J’avale un grand verre d’eau et je me décide à répondre au message d’Ethan juste pour ne pas le laisser en vu. Je l’apprécie réellement, je n’ai pas envie qu’il pense que je l’oublie déjà. Même si de mon côté ce n’est qu’amical. L’instant d’un message, cela me permet aussi de penser à autre chose.


La réalité me rattrape très et trop vite.


— Ça va mieux ? me demande Gaby.

— Pas vraiment. Il faut que j’appelle mon père.


Je m’isole dans ma chambre et compose le numéro avec tellement d’angoisse. Quand l’anxiété vous prend et que cela mène à une crise, vous êtes incapables de l’expliquer. Cela se manifeste de façon différente pour chacun. Moi, je sens mon corps entrer en ébullition et ma tête ne pense plus, seules les larmes coulent, je n’arrive plus à respirer et j’ai envie de tout jeter, tout envoyer en l’air. Je ne réfléchis plus. Je suis comme sortie de mon corps. J’ai la sensation de devenir folle et que ça ne s’arrêtera jamais. Et lorsqu’elle se finit, je garde des cicatrices de griffes, des cernes de plus en plus marquées et un mal qui ne disparaît pas.


Ça fait un an que je n’avais plus eu de crises aussi violentes. J’ai vu un psychologue qui ne m’a pas vraiment aidée mais j’ai pu mettre en pratique certaines astuces qui m’ont permis d’éviter d’autres crises de la sorte.


Mais pas aujourd’hui.


Aujourd’hui, elle m’a attaquée par derrière. Elle ne m’a pas laissée le temps de penser à respirer correctement. Elle ne m’a pas octroyée la possibilité de compter les chiffres un à un. Elle m’a prise et m’a emportée. Elle m’a poignardée tout en regardant le sang s’écouler.


— Coucou ma puce, lâche mon père dès qu’il décroche.

— Papa, murmuré-je.

— Ça va Juliette ?

— Non. J’ai vu la caisse. J’ai toujours aussi mal.

— Reviens ma puce, s’il te plaît, dit-il comme s’il comprenait immédiatement.

— Je…peux…pas…

— Juliette, on a besoin de toi. J’ai besoin de toi. S’il te plaît. Il faudra que tu viennes la voir un jour…


Les larmes me reprennent alors que je pensais avoir épuisé mon stock du jour.


— Ne pleure pas ma puce, souffle mon père.

— Ça ne s’arrêtera donc jamais ? crié-je.


Il passe une heure à tenter de me calmer. Il essaye une fois de plus de me convaincre de revenir. Mon père est persuadé que c’est la chose qui me permettra le plus d’avancer. Et je sais qu’aujourd’hui, alors que je ne suis pas prête, je n’ai plus le choix parce que j’ai trop nié mes blessures. J’ai cru que ça irait mieux. Je me suis voilée la face. J’ai refusé tant de fois l’aide qu’on m’offrait. Pourtant, dans mon cas, on vous oblige souvent à voir un médecin pour votre santé mentale. La plupart du temps, c’est pour vous donner des médicaments pour dormir et arrêter de cauchemarder. J’ai refusé. Je pensais que seule, je guérirai mieux.


Je n’ai jamais guéri.


J’ai repoussé tout ce qui me ramenait à elle. J’ai fui mes démons durant cinq ans et l’Enfer m’a rattrapée.


Beaucoup disent que, tandis que le Paradis est au-dessus de nous, l’Enfer loge sous nos pieds. Je pense que l’Enfer est à côté de nous. Celui-ci ne me laisse aucun répit. Il est omniprésent. Il est dans mes nuits et dans mes journées. À cet instant-ci, il me tient la main. Il me rappelle que je ne pourrai jamais oublier.


Que je n’oublierai jamais que ma mère s’est faite tuer sous mes yeux.


***


La passion. La passion est l’émotion la plus destructrice qui soit. Elle emporte tout sur son passage. Elle vous consume au-delà de ce que votre corps est capable de maîtriser. Elle brûle votre peau, vos organes, votre cerveau. Quand la vague de passion rentre en vous, la raison quitte les lieux. Il n’existe plus qu’elle. C’est la passion qui a tué ma mère.


La caisse que j’ai ouverte hier a ravivé toutes mes blessures. Elle a ouvert tous les tiroirs que j’avais fermé à double tour. Les cauchemars continuaient, certes, mais mon Enfer n’appartenait qu’à la nuit. Il est à présent en plein jour. Et alors même que j’essaye de m’enfuir, il me retient. Je sais que je vais devoir retourner dans cette maison. À l’instant, je maudis mon père d’avoir gardé cette maison, ces escaliers, ce couloir, tout. Mais c’était sa façon de faire son deuil : cultiver son souvenir.


Je n’ai jamais montré ma vraie peine. Ma souffrance. Ma culpabilité. J’avais perdu ma mère alors que j’aurais pu la sauver. Et surtout, j’avais vu les dégâts que l’amour cause. C’est ce jour-là que j’ai décidé que je n’aimerai jamais. Parce que j’ai bien trop peur de retrouver cette flamme que j’avais aperçue dans ce regard. L’être aimé est un objet de désir et de dévotion et s’il nous est inaccessible, cela rend notre amour plus fort, plus dur, plus douloureux, plus fou.


Jusqu’à ce que le feu laisse place aux cendres.

***

Après une longue discussion au téléphone avec mon père, nous nous sommes mis d’accord pour que je revienne dans deux mois. De cette façon, je peux garder un semblant de vie normale pour le moment, surtout au vu de mon nouvel emploi. Et dans deux mois, je prendrai une semaine de congé le temps de retrouver ma famille et de vivre à nouveau dans l’endroit que j’ai fui durant cinq ans.


Durant ce laps de temps de répit, je continuerai donc à faire ce que je sais faire le mieux : l’autruche. Je plonge la tête dans le sol pour éviter les problèmes qui se trouvent à la surface. C’est ce qui me permet de continuer. Je ne m’apitoie pas. Je souris et rigole fort. Je porte du rose en son souvenir. Je mange plein de cochonneries. Je lis des centaines de livres. Je respire. Et c’est déjà beaucoup lorsqu’on a vu la mort devant soi.


Alors que mon esprit divague, je reçois un nouveau message d’Ethan qui me propose de venir, ainsi que Gaby, à la piscine avec lui et Léo demain. Je ne suis pas la meilleure des nageuses qu’il existe sur cette terre mais Ethan m’offre l’opportunité d’oublier, une fois de plus. Alors j’accepte avec grand plaisir.

Moi : Avec plaisir.

Ethan : J'ai déjà hâte de te revoir.



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26 commentaires

Gottesmann Pascal

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Il y a 2 ans

Pauvre Juliette, on se tellement ce deuil impossible à faire. Le père est adorable mais n'est pas capable de miracle.

keliadbf

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Il y a 2 ans

mon coeur est brisé x3 là

Céleste Savigny

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Il y a 2 ans

désolée …

AgatheDcls

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Il y a 2 ans

Encore un nouveau chapitre fort en émotions… Les pauvres, tu ne les ménages pas 🥲 En tout cas le thème du deuil est très bien abordé

Céleste Savigny

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Il y a 2 ans

effectivement, je ne les ai pas épargné mes bébés

Coleen Liestock

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Il y a 2 ans

J'aime beaucoup aussi tes descriptions, en général, le côté musical presque de tes tournures, tes images pertinentes et sublimes, qui fait qu'on sait qu'on te lit toi.

Céleste Savigny

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Il y a 2 ans

oh mon dieu, ce compliment 🥹

hemmingstone_

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Il y a 2 ans

"Que je n’oublierai jamais que ma mère s’est faite tuer sous mes yeux." 💔

Céleste Savigny

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Il y a 2 ans

et vous ne savez pas tout...

leslivresdemarie_

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Il y a 2 ans

oh non 🫂
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