Fyctia

L'après-midi avait filé rapidement. Certains avaient fait une sieste, d'autres avaient tenté de ranger un peu le salon. Et puis vers seize heures, Miguel a lancé, tasse de thé à la main :

— Au niveau du restaurant proche des pistes de ski, j'ai vu une affiche qui indiquait que le marché de Noël de la station débutait aujourd'hui. Apparemment il serait ouvert jusque vingt-deux heures. C'est à vingt minutes à pied. Avec une patinoire.

Ni une ni deux, mobilisation générale. Emmitouflés comme des oignons dans des couches de pulls et manteaux fermés jusqu'au nez, on était prêts à partir. L'air sentait le feu de bois et les marrons grillés, et même si certains râlaient déjà pour leurs orteils congelés, personne n'a proposé de faire demi-tour. On a suivi les guirlandes lumineuses jusqu'au petit centre de Saint-Ski, et c'était magique. Le genre de décor qui sentait bon le pain d'épices. Des petits chalets en bois alignés comme dans un film, une chorale d'enfants chantait Douce Nuit devant un stand de marrons chauds et il commençait à neiger.

Peter s'est évidemment rué vers le stand de vin chaud. Habituellement il ne boit pas mais le vin chaud est son pêché mignon. Isaac est parti s'acheter une décoration en forme de renne qu'il a baptisé spirituellement « Châtaigne », et on a décidé de tous acheter une décoration en souvenir. Jayden est reparti avec une mini guitare en bois décorée à la main avec des paillettes rouges (ça va en mettre partout dans la valise). Miguel s'est décidé à prendre une boule en verre soufflé avec un flocon doré à l'intérieur. Liam a choisi la grenouille de Noël en feutrine avec un bonnet, il a affirmé très sérieusement que « les grenouilles portent bonheur dans certaines cultures » et comme personne n'a jugé vital de vérifier... On en est resté là. Nathan a flashé sur un mini cadre en bois avec la photo rétro d'un vieux couple devant un sapin. Il a dit qu'ils avaient l'air heureux et que Jean-Sapin méritait, lui aussi, d'être heureux.

Au début, Scott ne voulait rien de kitsh. Il a craqué pour une étoile dorée, très sobre et a dit qu'elle lui rappelait quelqu'un. Ils se sont tous échangés un regard et pendant un instant, je me suis sentie exclue, ailleurs. Il y avait quelque chose qu'on ne m'avait pas dit. Et je n'arrivais pas à mettre la main dessus. Scott m'a chuchoté à l'oreille que ça serait à moi de l'accrocher au sapin. Je n'ai pas trop compris mais je n'ai pas non plus voulu chercher plus loin.

Peter a pris un truc au hasard et a couru jusqu'aux toilettes et moi j'ai jeté mon dévolu sur un ange en papier recyclé avec des ailes en dentelle. Il était absolument merveilleux.

Sur le stand d'à côté Miguel a passé déjà onze minutes à marchander un bonnet fait main avec une vieille dame. Il l'a finalement payé le prix fort. Nathan lui, avait pour objectif de goûter tout ce qui se trouvait dans le marché. Chaque fois qu'on tournait la tête, il avait une nouvelle brochette de fromage fondu, une gaufre, des churros ou des crêpes au Nutella à la main. Jayden a tenu un stand de bougies pendant trois minutes (après que la vendeuse l'ait confondu avec un stagiaire) et il a sincèrement essayé de vendre un pot senteur « neige vanillée » à une touriste en lui disant :

— C'est un cadeau de Noël en avance pour vos narines !

Et au même moment, la fanfare locale a commencé à jouer Let It Snow.

— C'est beaucoup trop parfait pour être vrai, j'ai dit en regardant autour de moi.

La patinoire était installée juste derrière le marché. Une grande surface blanche entourée de guirlandes lumineuses.

Sur la glace, ça a été... catastrophique. Liam est tombé dès la première minute et a refusé de se relever avant d'avoir fini son vin chaud (le troisième), qu'il avait emporté sur la glace, illégalement. Miguel patinait comme un danseur étoilé jusqu'à ce qu'il percute un enfant de cinq ans et s'excuse seize fois environ. Jayden tenait Scott par le bras pour ne pas tomber, sauf qu'il l'a fait quand même, et a embarqué Scott avec lui. Isaac s'est mis à faire des figures « inspirées de la nature », qui consistaient surtout à lever les bras au ciel en tournant sur lui-même.

De mon côté j'ai patiné en profitant de la vue et de toutes les odeurs qui nous entouraient, jusqu'à ce que Scott vienne à côté de moi, et qu'on fasse deux tours côte à côte. Il ne m'a pas tenue, mais dans ses yeux, j'ai su qu'il aurait pu.

Après ça, on s'est retrouvé autour d'un stand de chocolat chaud. et Nathan a pris un donut fourré au spéculoos. On a regardé les lumières s'allumer, les guirlandes clignoter et Liam a proposé de faire un selfie. On était tous décoiffés, le nez rouge mais on a quand même posé devant le panneau « Marché de Noël de Saint-Ski ».

Un peu plus tard, alors qu'on s'était tous dispersé entre les stands, Jayden m'a attrapé par le bras.

— Tu viens deux secondes ? Faut que je te parle.

On s'est éloignés vers une petite allée à l'écart, entre deux chalets. La neige crissait sous nos pas. Il s'est arrêté, les mains dans les poches avec un air qu'il ne sortait que pour les conversations sérieuses.

— C'est moi ou... il se passe un truc entre Scott et toi ?

Je l'ai regardé sans répondre. Son ton n'était ni accusateur, ni moqueur.

— C'est pas une question piège, a-t-il enchaîné. C'est juste que je ne suis pas bête. Je vous regarde depuis le début du séjour.

— Je crois que je ne sais pas ce qu'il se passe.

Il a hoché la tête, comme s'il s'y attendait.

— Je veux pas m'interposer et faire le frère chiant. J'ai juste besoin de m'assurer que ce n'est pas un jeu, et que si jamais il y a quelque chose, ce n'est pas à sens unique.

— Je ne pense pas que ça soit à sens unique.

Il a soufflé, un peu soulagé. Il a frotté sa main contre mon bonnet pour me décoiffer encore plus. Il m'a souri et est reparti vers les autres en sifflotant.

Un peu plus loin, Scott m'attendait devant le stand de bougies et m'en a tendu deux.

— Bois de cèdre ou pain d'épices ?

— Je suis gourmande donc j'aurais dit les deux mais pain d'épices, s'il faut choisir.

— Je savais que tu dirais ça.

Et il a sorti les deux bougies de son sac avant de me les offrir. On s'est arrêtés devant un stand de cartes postales faites à la main. Il y avait une carte avec un chalet dessiné à l'aquarelle, une petite guirlande dorée accrochée au toit. Au bout d'un certain temps, Miguel est revenu vers nous en courant (en glissant un peu aussi).

— On vous cherche depuis tout à l'heure ! Ils ont ouvert la grande roue ! On a déjà acheté les places !

On est montés, tous ensemble. La roue tournait lentement, la musique résonnait dans les haut-parleurs, et les lumières de la station scintillaient comme dans un conte. On s'est retrouvé côte à côte Scott et moi. Et quand on est arrivés tout en haut, dans ce silence suspendu, j'ai senti sa main frôler la mienne. C'était si doux que j'ai cru l'avoir rêvé, mais non. Sa main était toujours posée sur la mienne. Et j'ai su à ce moment que mon cœur était posé sur le sien.