Fyctia
Amour et haine - Hugo
Les jours qui ont suivi cette rentrée m’ont paru durer quelques minutes. Le temps passé avec Gwen filait à toute vitesse.
Le matin, je me dépêchais de quitter le foyer et nous nous retrouvions sur le chemin. Elle faisait un détour pour me rejoindre. Je me souviens de chacune de nos rencontres.
Je la voyais arriver au loin, la démarche calme et légère. Chaque fois qu’elle m’apercevait, elle accélérait pas. Je faisais de même. Nous éprouvions toujours du plaisir à nous revoir, à nous enlacer et à nous embrasser — Gwen embrassait super bien. Lorsque ses lèvres fines se posaient sur les miennes, j’oubliais tout, mon quotidien, ma vie de placement, les éducs, Enzo et les autres.
Au foyer, le fait d’être invisible m’avait permis de sortir avec elle sans que personne se doute de quoi que ce soit. Même Enzo qui, pourtant, passait son temps à observer les moindres faits et gestes de chacun, n’y avait vu que du feu.
Au lycée, nous essayions d’être les plus discrets possible. Je ne voulais pas que mon compagnon de galère tire profit de ma situation à mon désavantage. Gwen a compris ma position et n’a rien trouvé à y redire.
Nous nous sommes livré l’un à l’autre. Je lui ai parlé de mon histoire, de mes vieux, de mes conneries, de mes placements. Je lui ai raconté comment j’avais échoué dans ce foyer pourri. Elle m’a parlé d’elle, de sa mère alcoolo, de son père décédé et de son frère incestueux. Elle m’a aussi parlé de sa résilience. Cette fille avait mon âge, mais avait déjà vécu cent vies.
Ce n’est pas un hasard si nous nous sommes rencontrés, j’en suis certain. Nous discutions pendant des heures ; des mots pour soigner les maux. Je suis raide dingue de Gwen et je sens qu’elle éprouve quelque chose de fort et de sincère pour moi. Elle a su se glisser derrière ma carapace et y vit encore aujourd’hui.
La douceur des moments passés à ses côtés tranchait avec le quotidien qui me rattrapait chaque jour entre les murs du foyer. Au fil des semaines, la tension y est montée crescendo.
Les journées au lycée renforçaient le sentiment d’isolement d’Enzo. Il ne pouvait pas compter sur moi pour parler et ne retrouvait les autres que le soir pour ventiler toute sa haine. Il avait peu de temps pour discuter et je sentais que cela le contrariait. Il devait, dans le même temps, faire profil bas s’il ne voulait pas que sa situation judiciaire se complique.
L’épisode de la bagarre lors du tournoi de foot ne jouait pas en sa faveur dans le rapport d’investigation éducative qui se construisait au fil des semaines. Cet écrit, rédigé par des éducs, une psychologue et une assistante sociale, devait permettre au juge d’avoir des éléments de personnalité sur lesquels il allait s’appuyer pour rendre une décision concernant Enzo. Ce dernier avait intérêt à ce que ce rapport soit le plus positif possible pour lui, s’il ne voulait pas prendre tarif le jour de son jugement.
Enzo se maitrisait comme il pouvait, mais dès qu’il avait l’occasion de faire une crasse à quelqu’un, il ne se gênait pas pour le faire. Cela le défoulait et faisait baisser son niveau de stress. Il jouait de tout son pouvoir monétaire et de sa main mise sur le cannabis qui circulait dans le foyer pour faire pression sur les autres. La manipulation l’a toujours excité. Je crois qu’il tenait ça de son père.
Karl et Tristan ont longtemps fait les frais de la colère d’Enzo. Ils l’acceptaient, car c’était dans leur nature de persécutés de vivre ainsi. Ils devaient sans doute y trouver leur compte. Briller aux yeux de ce connard était quelque chose de très important pour eux, même s’ils devaient payer le prix fort, comme s’accuser des vols ou des dégradations qu’Enzo commettait pour emmerder le monde.
Personne n’était dupe parmi les éducs, mais aucun d’eux n’a jamais pu prendre Enzo en défaut. Il était bien trop malin pour se faire avoir. Pas assez toutefois pour s’éviter un placement.
La confrontation avec Alex occupait tout son esprit. Plus les jours et les semaines passaient, plus il nourrissait et entretenait sa rancœur. Il savait bien qu’il ne pourrait rien faire au lycée, car cela aurait été trop risqué pour lui en termes de conséquences. Enzo était futé et il tournait son cerveau dans tous les sens pour trouver le moyen de faire payer Alex. Il avait bien compris que la force ne ferait pas l’affaire et qu’il allait devoir utiliser la ruse.
Je l’avais surpris plusieurs fois à parler de ses projets aux autres. Il ne se cachait pas devant moi pour le faire, car il savait que je ne dirais rien. Il réfléchissait sur les moyens d’attaquer Alex sur les flancs, pas de front. Il cherchait aussi comment l’atteindre pour lui faire le plus de mal. Chacun concourait à élaborer les scénarios les plus fous, moi excepté.
Isaac était favorable à des stratégies percutantes : guet-apens, baston, règlement de compte à main armée. C’était un dingue, un vrai. Il se foutait des conséquences et n’était intéressé que par la violence brute. Enzo le laissait parler, mais envisageait les propositions d’Isaac comme un dernier recours plus que comme une option première.
Tristan n’avait pas d’idée bien précise, mais avait assuré la bande de sa dévotion et de sa collaboration la plus totale si le plan convenu permettait de satisfaire les attentes d’Enzo. Sa soumission me faisait pitié.
Les filles, elles, se tenaient à l’écart de ce projet.
Contre toute attente, ce fut Karl qui avait apporté l’idée. Son expérience de détraqué sexuel l’avait conduit à échafauder des magouilles pour gagner la confiance de sa victime pour mieux abuser d’elle. Il avait suggéré de s’en prendre à Alex de manière détournée, de lui faire du chantage ou quelque chose dans le genre. Il avait aussi avancé l’idée de passer par le petit frère handicapé pour atteindre le grand. Ces deux propositions avaient retenu toute l’attention d’Enzo et, en l’espace d’une soirée, Karl avait vu sa cote de popularité grimper en flèche.
J’observais tout ce petit monde sans rien dire. On ne me demandait d’ailleurs pas mon avis. Aurais-je dû intervenir ? Peut-être. Je ne sais pas. Je m’en fous. Ce n’était pas mes affaires. Enzo, Alex, Isaac et les autres étaient à des années-lumière de mes préoccupations. Seule Gwen comptait pour moi. Je ne voyais qu’elle. Elle était ma bouée de sauvetage dans cet univers de haine et de colère.
Je dois reconnaitre que mon placement a eu du bon. Si, si. Je m’étonne moi-même en écrivant cela. Sans ce placement, je ne l’aurais jamais rencontrée. Elle a donné un nouveau sens à ma vie, au point que nous avons décidé de la passer ensemble.
Depuis que j’ai emménagé dans mon appart, il y a quelques semaines, Gwen me retrouve tous les soirs. Je sais bien que le règlement l’interdit et que les éducs qui viennent me voir se doutent de quelque chose, mais ils ne m’ont encore rien dit. En même temps, nous ne faisons rien de mal. Ma réhabilitation et ma paix mentale passent aussi par elle.
Un ado calme, c’est du travail en moins pour les éducs, non ?
9 commentaires
Aileen
-
Il y a 6 ans
Plume d'Ours
-
Il y a 7 ans
CaroMélu
-
Il y a 7 ans
Plume d'Ours
-
Il y a 7 ans
Plume d'Ours
-
Il y a 7 ans
Delf.
-
Il y a 7 ans
Delf.
-
Il y a 7 ans
Plume d'Ours
-
Il y a 7 ans
alexia340
-
Il y a 7 ans