Fyctia
Désert d'élite - 3/8
Les premiers rayons de soleil me réveillent. Par la fenêtre, j’admire la vue magnifique sur Chefchaouen, la ville bleue perchée à flanc de montagne et en contrebas la vallée du Laou. Des odeurs de miel, d’épices, de fleur d’oranger et de menthe me chatouillent les narines et mon estomac se rappelle à mon bon souvenir. La poignée de la porte tourne librement. Je me retrouve sur la coursive qui donne sur la cour. En son centre siège une jolie fontaine qui glougloute paisiblement. Suivant les voix qui parviennent jusqu’à mes oreilles, je monte les escaliers et parviens sur le toit. Jésus et notre hôte, Icham si ma mémoire ne me fait pas défaut, discutent autour d’un petit déjeuner qui me fait saliver. Je dépose quelques coussins tissés sur l’épais tapis près d’un parasol chauffant. Une fois confortablement installée, je m’intéresse à la conversation de mes voisins de table.
— … nous n’arrivons même pas à approvisionner correctement Ouarzazate qui est pourtant le point de départ de la caravane, alors vous escorter plus au sud ce n’est pas envisageable. Depuis que le pilote du Cessna s’est fait buter, les livraisons se font forcément par la route où les contrôles sont de plus en plus fréquents. La caravane attire les touristes. Ils sont plus intéressés par les dromadaires que la cargaison et les autorités gardent leur distance.
— Mais si on suit la vallée du Drâa avec la caravane, on en a pour des jours ! Sans compter le temps de rejoindre Ouarzazate. En plus, ça fait faire un sacré détour.
J’interviens :
— Je peux piloter le Cessna.
Les deux hommes me regardent, interloqués. Je les laisse digérer l’information en me servant du thé à la menthe et des cornes de gazelle.
Icham part d’un grand éclat de rire:
— Si c’est vrai, vous avez gagné votre ticket pour Ouarzazate!
— Oh, c’est vrai, grogne Jésus comme si ça ne le réjouissait pas le moins du monde. On peut rejoindre l’Oued Drâa directement sans faire escale à Ouarzazate du coup.
— Et la cargaison à livrer?
— On la largue où tu le souhaites et on continue vers le sud-ouest jusqu’à la frontière du Sahara Occidental.
Icham s’absente en indiquant qu’il n’en a pas pour longtemps. Jésus en profite pour me demander :
— Qu’est-ce que t’as à faire le 5 dans le désert?
— J’ai un rendez-vous.
Il sourit, prêt à faire une remarque salace. Heureusement, le retour d’Icham m’épargne son humour à deux balles. Notre hôte étale une carte sur la table et nous montre la zone où il souhaite faire livrer sa came. Il commente ensuite les alentours :
— Tu ne pourras pas aller jusqu’à la frontière du Sahara Occidental si tu veux rester discret. La région est surveillée par l’ONU. Et pour éviter tout incident diplomatique, tu ne pourras pas rejoindre l’Oued Drâa, c’est trop proche de la frontière algérienne, indique-t-il en suivant son tracé du doigt. En restant dans les zones touristiques, tu pourras te faire passer pour un des promène-couillons du coin. Il faudra donc que tu te poses quelque part dans l’Anti-Atlas.
Il s’adresse uniquement à Jésus comme si c’est lui qui va piloter. Je croise les bras et regarde ce dernier bien en face. Il lève les yeux au ciel et tourne la carte de façon à ce qu’elle soit dans le bon sens de lecture pour moi.
— Tu penses que ça peut le faire ? me demande Jésus.
— Ça dépend, l’avion doit-il rester en un seul morceau et pouvoir redécoller?
Jésus déglutit bruyamment. Icham daigne enfin m’inclure dans la conversation :
— Il y a un petit aéroport à Tata. Vous pourrez y laisser le Cessna et je préviendrai un de mes contacts de vous fournir de quoi rejoindre Zag. Là, il faudra vous débrouiller pour continuer, mais vous ne serez plus qu’à une quarantaine de kilomètres de la frontière.
J’acquiesce d’un hochement de tête scellant par la même notre accord. Pendant que notre hôte charge sa marchandise, je vérifie l’état de l’U206. Il n’est pas de première jeunesse, mais il devrait nous amener à bon port.
Bruno, j'arrive.
Je suis en train d’étudier une dernière fois mon plan de vol quand Jésus toque à la porte de ma chambre :
— Tout est prêt. Tu vas vraiment livrer une cargaison de beuh ?
— Ils se débrouilleront autrement si je ne le fais pas et je n’ai pas le temps de trouver un autre moyen de transport. C’est gagnant-gagnant. Ça m’aurait peut-être posé plus de problèmes si c’était de la coke ou de l’héroïne, mais je pense que je l’aurais fait quand même.
Peur
Plus nous approchons de la piste, plus Jésus devient blanc. Je lui offre une dernière occasion de changer d’avis :
— Tu peux faire demi-tour et rentrer à Llança si tu veux. Tu as largement rempli ta part du contrat. Je peux même te filer les clés de l’Alfa-Roméo si tu veux.
Il ne me répond pas et se contente de secouer la tête, il doit avoir peur d’accepter ma proposition s’il ouvre la bouche.
Nous décollons sur une piste de terre en serrant les fesses, priant pour qu’elle soit assez large pour les 11 m d’envergures des ailes. Une fois dans les cieux, je mets le cap au sud-sud-ouest. Nous longeons les contreforts du Moyen Atlas et survolons Meknes, la cadette des villes impériales. De mon point de vue, elle mérite bien son surnom de « ville aux cent minarets ». Le Maroc a une variété de paysages exceptionnels : les cultures en terrasses, massifs rocheux, canyons profonds et vallées verdoyantes contribuent à une beauté sans pareille.
Bruno, j'arrive.
Arrive le moment de prendre un peu d’altitude pour entrer dans le Haut Atlas. Je remonte l’Asif Ounila et dépasse le ksar d’Aït-ben-Haddou. Jésus ne jette même pas un œil à l’habitation traditionnelle présaharienne classée au patrimoine mondial de l’UNESCO. De toute façon, c’est un autre douar qui nous intéresse. J’aperçois un regroupement de bâtiments de terre entourés de murailles et la disposition des tours d’angle correspond à la description qu’Icham m’a faite du lieu de livraison. Il ne me reste qu’à repérer le caravansérail où l’on doit larguer notre cargaison de cannabis. Je fais un premier passage de reconnaissance.
— Tu veux pas regarder devant toi ? couine Jésus dans le micro de son casque.
— T’as peur que je me prenne un palmier qui traverse la route ? Arrête tes âneries et va te mettre en place.
Je fais un passage bas en ralentissant à la limite du décrochage. Il pousse les sacs par la porte de son côté et je remets les gaz sans me soucier de la bonne réception de la marchandise. Je vire de bord au-dessus du dédale de la casbah de Ouarzazate, laissant derrière nous la cité perchée sur les hauts plateaux de l’Atlas et les grandes étendues arides ponctuées de palmeraies des vallées du Drâa et du Dadès. Moins d’une heure plus tard, je m’annonce sur la fréquence de l’aéroport de Tata.
Bruno, j'arrive.
Notre contact nous attend avec deux dromadaires sellés et deux sacs à dos bien garnis. Jésus qui a retrouvé la parole avec le plancher des vaches s’exclame :
— C’est une blague ? Après nous faire voler dans un vieux coucou, il veut nous faire voyager sur ces trucs malodorants ?
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Ady Regan
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Il y a 9 mois
Leo Degal
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Il y a 9 mois
Le Mas de Gaïa
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Il y a 9 mois
Tonie Mat N’zo
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Il y a 10 mois
Le Mas de Gaïa
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Il y a 10 mois
Rose Leucate
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Il y a 10 mois
Le Mas de Gaïa
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Gottesmann Pascal
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Le Mas de Gaïa
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Il y a 10 mois
Eleanor Peterson
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Il y a 10 mois