Fyctia
XXXVII : Ad Nauseam
J’écarte doucement le bras de mon grand gaillard de suédois, me lève en enfilant à l’aveugle mes mules ultra-sexy, je sors en tachant de ne pas faire trop de bruit histoire de le laisser dormir. Une fois dans le couloir je me rue dans les toilettes pour évacuer le gros nœud à mon estomac. L’arrivée est de justesse. Bordel, demain adieu les précautions, tant pis pour le barouf ! Une fois remise et la bouche rincée, du moins provisoirement, j’erre un peu dans la maison. Mon viking a décidemment le sommeil lourd. Je finis par poser mes fesses dans le salon uniquement éclairé par la lueur du poêle. Il y a quoi un mois, je ronflais dans mon lit un peu pourrave au milieu de la déchetterie me servant d’appart. Les choses vont parfois tellement vite.
Je me fais craquer les vertèbres. Je me fais vieille, à quand la retraite ? Ca me fait sourire, je bouquine quelques pages de l’Etrange Bête de la Terre de Feu avant que mon œil se pose sur la grande harpe. Je me demande si c’est dur à apprendre. Sortie des chansons à boire, mon expérience musicale est relativement limitée et surtout remonte à un passé très lointain. Je m’installe sur le banc, frôle une corde pour n’obtenir qu’un vilain son discordant. D’autres tentatives n’amènent pas de meilleur résultat. Ce truc est plus compliqué que le triangle, faut croire.
_ Tu pinces trop les cordes, ça ne peut que donner fausse note et mal aux doigts. Il faut être délicat avec une harpe pour qu’elle nous le rende. Du moins c’est comme ça que j’ai appris.
Sverker sourit, s’assoit sur le banc, me soulève par les fesses sans effort pour me caler sur ses genoux. Il déplace la harpe sur mon épaule, allégeant singulièrement le poids.
_ La pratique de la harpe tient en une foultitude de détails, tout comme escalader une paroi à main nue. Ils sont essentiels pour ne pas se blesser.
_ On peut se blesser avec une harpe ?
_ Assez facilement vu l’encombrement, et mal user des cordes peut vite entamer les doigts, elles sont loin d’être aussi souple que des élastiques. C’est aussi une galère à accorder. Et encore, là nous avons un modèle celtique, pour les harpes diatoniques des concerts, il y a sept pédales et plus de cordes.
_ Un instrument celtique ? Tes ancêtres l’ont pillé en débarquant en Angleterre ?
La remarque le fait rire.
_ Je pense qu’ils devaient préférer les pièces d’or ! Non, la raison est plus prosaïque. Une harpe, ça vaut très cher. Par exemple, celle que tu as actuellement contre toi, je pense qu’aujourd’hui elle doit être dans les 5500 euros.
_ Quand même. On surveillera le petit haricot, qu’il ne viennent pas s’emmêler dans les fils !
_ Une bonne idée. Une harpe diatonique, tu montes à 15000 euros pour un modèle basique, pour aller jusqu’à 60000.
_ Et moi qui râle pour les prix des cordes d’escalade…
_ Pour cela que c’est un instrument qui demande réflexion. Il faut être sûr avant de se lancer. Moi j’ai eu la chance que ma mère en possède une. Notre enfant aura aussi cette chance-là.
_ J’ai l’impression que ça compte beaucoup pour toi, plus que la cuisine et la montagne.
Son visage tout proche du mien reste songeur une minute.
_ Probable, oui. Je me sentirais mal loin d’un fourneau ou de la neige, mais je ne pourrais vivre sans musique. Le chant de la harpe a bercé mon enfance et toute mon existence.
Mon géant suédois reste un temps plongé dans ses souvenirs, je respecte ça. Puis sans prévenir ses mains se placent sur les miennes et les déposent sur les cordes froides.
_ Il faut les pincer légèrement, pas plus. Juste de quoi les faire vibrer. Et penser à régulièrement se détendre les doigts. Se crisper n’est jamais bon ni pour la musique ni pour le musicien.
Avec son aide je parviens à extraire une série de notes a peu près juste et je trouve cela extrêmement gratifiant. Je ne sais pas combien de temps dure la leçon et je m’en moque éperdument. Je sens bien que Sverker me fait toucher son intimité la plus secrète. Et c’est peut-être bête, ou pas d’ailleurs, mais une telle confiance en moi m’émeut plus que je ne saurais dire.
_ Pas de mal aux phalanges ?
_ Du tout.
Je pose un baiser au coin de ses lèvres.
_ Je pourrais rester là toute ma vie, entre deux nausées bien sûr…
Il m’embrasse avec une telle tendresse que mes genoux deviennent plus mous que du saindoux.
_ J’espère que ça sera le cas.
L’éternité. Voilà bien une notion que je n’avais jamais envisagée. Sverker ôte mes mains des cordes et se met à jouer. Malgré l’inconfort que doit lui procurer ma position, son talent n’est en rien altéré. Nuvole Bianche de Einaudi à la harpe, une merveille. Encore plus au premières loges que lors du dernier « concert privé » de mon grand suédois, je ne peux que l’admirer. Il ne joue pas de la musique. Il vit la musique, accordé à son instrument. Je me laisse emporter dans les gammes, je crois même qu’à un moment donné une larme s’échappe de mes cils, tant le voyage est onirique…
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Nuvole Bianche à la harpe, c'est ceci :
https://youtu.be/45CVILu4SL0
4 commentaires
RIPOST
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Il y a 4 ans
Mary Cerize
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Il y a 4 ans