Fyctia
- Ma sauveuse -
Je sans la main de Thibault me serrer davantage. Il se crispe. Il a peur de ce que va dire le médecin. Moi non. Je n'attends qu'une chose : qu'il me dise que ma vie est en danger et que je risque de mourir dans les prochains jours.
— Maria, vous souffrez d'anorexie. Anorexia nervosia est un trouble du comportement alimentaire très grave. Vous en êtes à un stade élevé. J'ai pu remarquer que vous étiez suivie par une psychiatre pour ce facteur, je me doute donc que vous savez déjà ce que je viens d'énoncer.
Je hoche de la tête. Thibault n'était pas tout à fait au courant, sa réaction traduit exactement ce manque d'informations : il grimace tout en pleurant. Je regarde le médecin et souris. Cette fois-ci, je crois bien qu'il est totalement vrai. Le médecin se racle à nouveau la gorge. Il ne serait pas un peu pris d'une angine par hasard ? Ou alors il prend vraiment un air de connard qui aime bien qu'on lui donne toute l'attention que l'on puisse offrir.
— Ceci dit, votre état est tellement difficile à gérer que nous allons devoir vous garder ici afin que nous nous assurions que vous reprenez du poids.
Ai-je bien entendu ? Reprendre du poids ? Est-il aveugle au point de ne pas voir mes rondeurs ? Je suis énorme et il ose dire que je ne suis pas assez grosse ? Je ne peux pas rester ici, il est hors de question que je reprenne du poids. Je ne veux pas reprendre du poids. Mes yeux et mon visage tout entier doivent montrer mon inquiétude puisque le médecin décide de continuer son monologue.
— Je peux comprendre que cela puisse vous effrayer mais nous n'avons pas d'autre choix. Après votre tentative de suicide, nous avons trop d'éléments pour vous laisser rentrer chez vous comme s'il ne s'était jamais rien passé. Nous vous avons mis une perfusion contenant des compléments alimentaires. Toutefois, cela ne suffira pas et il vous faudra tout de même manger pour que vous puissiez vous rétablir.
— Et pour les médicaments ? Elle va bien ? s'empresse Thibault.
— Non, elle n'a pas pu ingérer assez de gélules grâce à votre réflexe. Vous leur avez probablement sauvé la vie.
— Leur ? questionne mon petit ami.
— Oui, votre femme et votre enfant.
Ses yeux s'arrondissent comme deux grosses billes voulant sortir de leur orbite. Je crois bien que ma réaction fut la même. Comment ça notre enfant ?
— Ah... Je pensais l'avoir mentionné. Votre femme est enceinte de plus de six mois. J'ignore comment le fœtus a pu survivre à cette malnutrition mais le fait est qu'il est bien en vie. Nous avons fait des examens complémentaires et même si tout à l'air de montrer qu'il va au mieux, bien qu'il ait quelques carences, nous savons aussi qu'il ne pourra pas survivre davantage si votre femme refuse de se nourrir correctement, explique le médecin.
— Je ne comprends pas. Vous dites qu'elle est enceinte depuis plus de six mois. Son ventre est totalement plat et elle perd plus de poids qu'elle n'en gagne. Comment est-ce possible ?
— Elle fait un déni de grossesse. Maintenant qu'elle a conscience de ce qui se trame en elle, elle devrait prendre du ventre. Je sais bien que ce ne sera pas simple, mais vous devez faire des efforts, Maria. Cet enfant a le droit d'avoir sa place dans ce monde et pour que ce soit le cas, vous devrez manger.
Par réflexe je fais "non" de la tête. Je ne peux pas manger, non, je ne peux pas. Le médecin dit à Thibault qu'il souhaite lui parler seul à seul un peu plus tard dans la journée et sort de la pièce. Je tourne ma tête vers mon petit ami qui me supplie du regard.
— Maria, je ne rigole pas. Cet enfant, c'est le nôtre. Je suis sûr que nous pourrions construire une super belle famille tous les trois. Je t'en conjure, ne fais pas de bêtise. Je ne peux pas me résoudre à vous perdre tous les deux. Tu es la femme de ma vie et je refuse de te laisser mourir devant mes yeux. Je sais que ce tu vis n'est pas simple et que c'est lié à ton traumatisme avec le décès de ta meilleure amie, mais s'il te plaît, pense à nous, pense à toi. Tu es une fille géniale et je refuse que tu te donnes la mort et te laisse dépérir de cette façon.
— Thibault...
— Non Maria. Je ne te laisserai pas faire. Je ne te laisserai pas vous tuer sans rien faire. Je t'aime et je ne peux pas te perdre. Tu comprends, ça ? Comment peux-tu penser une seule seconde que si tu me quittais, tout se passerait pour le mieux ? Tu as pensé à moi ? Je t'aime comme un dingue. Je suis amoureux de toi, putain.
Il sanglote à nouveau. Je comprends sa colère. Je préfère le laisser cracher tout son malheur. Je peux bien lui autoriser ça après tout ce que je lui fais subir. Je doute réellement qu'il puisse comprendre mais je le crois lorsqu'il dit m'aimer.
Les jours suivants ont été une catastrophe, j'ai arraché les fils qui m'alimentaient, je vomissais tous les repas que j'ingurgitais et je repoussais tout le monde. Thibault ne paraissait pas fatigué par mon comportement, il est resté près de moi tous les jours et il a continué à me soutenir. Je ne sais pas s'il le fait vraiment pour moi ou s'il le fait parce que je suis aussi enceinte, mais il ne me laisse pas une seule seconde de répit. Il ne veut pas me laisser seule dans la chambre.
Avec son soutien, au bout de dix jours, j'ai fini par prendre énormément sur moi-même pour accepter d'avaler une compote une biscotte par jour, en plus des fils alimentaires. Je n'avais de toute façon pas d'autre choix, c'était soit ça, soit la sonde. Je ne veux pas de ce machin. En recommençant peu à peu à manger, j'ai pris du poids. J'essayais de fermer les yeux sur les chiffres qui augmentaient mais ça m'était réellement difficile alors Thibault a fini par demander aux médecins de ne pas me communiquer les résultats de la pesée tous les deux jours. Ses sourires ont toujours été chaleureux. Il alternait entre les passages à l'hôpital pour me soutenir et les rendez-vous pour son boulot.
Un mois plus tard, j'étais toujours à l'hôpital, j'ai pris huit kilos. Ce chiffre huit m'a fait vomir mon dernier repas mais j'ai promis à Thibault de continuer alors je continuerai. Avec tous ces jours qui se sont écoulés depuis ma tentative de suicide, j'ai compris beaucoup de choses. Je suis attachée à ce petit être en moi qui n'est autre qu'une fille d'après l'échographie. Je l'aime et je refuse de la tuer à cause de mes vulgaires caprices alimentaires. Alors je garderai en moi le prochain repas, je le lui ai promis. Je dois tenir bon pour elle, quitte à lui donner ma vie, puisque c'est de toute façon grâce à elle que je le suis encore.
Thibault part à la machine à café pour s'en prendre un, il m'a demandé de veiller sur notre enfant et mon visage qui a repris des couleurs lui a souri pour le rassurer. C'est à ce moment que le petit bout de chou a choisi de me faire chier. D'énormes contractions sont venues me plier en deux. J'ai sonné les infirmières. Deux accourent vers moi et regardent mes constantes. Je hurle de douleur, puis je me sens trempée. Une tache gigantesque s'étend sur le drap.
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