Fyctia
L'escapade picturale
La voix étrange disparut aussi vite qu'elle était apparue. Henri l'oublia.
Cette première journée avec les frères Lumière s’était révélée extraordinaire. Le soir, le dîner aux chandelles se révéla splendide aux yeux d’Henri. Louis et Auguste avaient partagé tous les secrets du cinématographe avec cet ingénieur passionné. Ces deux génies souhaitaient le mettre sur le marché. Ils avaient encore quelques petits réglages à effectuer.
Au cour de leur conversation, Henri fit semblant de ne pas savoir ce qu’était un cinématographe. De ce fait, les frères Lumière lui rappelèrent toutes les différences entre le kinétographe, inventé par Edison entre 1887 et 1891, et le cinématographe, qu'ils avaient eux-mêmes inventé. En réalité, il n’y avait rien de plus simple : le kinétographe à lui seul ne permettait pas aux spectateurs de visionner les images en mouvement. Il servait uniquement de petite caisse d’enregistrement. Sa capacité était très limitée. Elle n'allait que de quelques secondes à quelques minutes. La machine était très encombrante. Elle devait toujours être reliée à un kinétoscope, afin que les curieux puissent facilement visionner ce qui avait été filmé. Cependant, ce système, semblable à un simple télescope, avait une portée uniquement individuelle et non collective.
Le cinématographe quant à lui, ressemblait davantage à une caméra. Même si sa pellicule était plus fragile que les bandes d’Edison, le système était tout aussi ingénieux que celui d’une machine à tisser. De surcroit, le cinématographe permettait non seulement d’enregistrer plus aisément, mais également de projeter des images en mouvement sur une grande toile blanche, pour permettre à plusieurs spectateurs de les contempler en même temps. Ce qu’Henri apprit surtout, c’est qu’un vieil homme mystérieux s’était amusé à enregistrer un message secret dans un kinétographe d'Edison. A priori, il était possible de le décrypter, en observant attentivement les images transmises par le kinétoscope. Néanmoins, il ne put savoir ce que ce message contenait.
Après avoir mangé du chou et une assiette de morues fumées en compagnie des frères Lumière, Henri sentit la fatigue s’emmitoufler peu à peu dans son corps et son esprit. Il salua les frères, puis partit dans sa petite chambre claire.
L’intérieur de celle-ci avait changé. Les meubles étaient différents. La fenêtre ne se situait plus au même endroit. Sa chambre s’étalait dans une nouvelle profondeur de champ. Au fond de celle-ci, se situait une fenêtre à carreaux. Il y avait aussi un petit lit en bois, une petite table avec une carafe d’eau et un miroir. Au-dessus de son lit, trois tableaux étaient accrochés. Non loin de la porte, il y avait une chaise en bois de chêne. Le sol n’était plus en terre battue ; du blé avait poussé entre temps et s’était couché sur ce dernier. Cela donnait l’illusion d’un parquet aux couleurs ensoleillées.
La veille au soir, cette chambre avait accueilli Charles Moisson, le coéquipier des frères Lumière. Il avait contribué à cette somptueuse invention qu’est le cinématographe. Il avait dû laisser quelques graines sur son passage, songea l’ingénieur en regardant le blé couché au sol.
Henri s’avança. Il prit place sur son lit. Ce dernier était recouvert d’une couverture de velours rouge. Elle était bordée par un beau drap blanc. Le jeune homme enleva ses souliers. L’un d’entre eux se retourna. Henri les fixa un moment puis s’allongea. Il fixa le plafond. Il ne s’endormit pas. Il pensait à Bob, son petit Bob. Où était donc son petit robot ? Sans son R-Phone, il se sentait terriblement seul, complètement nu. Il pensait à ses grands yeux bleus, son humour et son dos si lisse, si agréable. Henri ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Il avait l’impression de ressentir la présence d’un étau invisible autour de sa tête, d’une sorte de casque inconfortable qui lui serrait le crâne avec violence. C’était très désagréable. Si Bob était là, il pourrait lui donner des indications quant à son état de santé, lui dire où il était… mais Bob n’était pas là. Alors que son mal de tête était croissant, il se détendit soudainement peu à peu et oublia Bob.
Son regard était attiré par quelques lettres tracées avec finesse au-dessus de sa tête. Il fronça les sourcils. En se concentrant bien, il parvint à lire le nom de Vincent Van Gogh. Mais, c’est impossible ! Se dit-il. A sa connaissance, ce grand peintre n’avait jamais rencontré les frères Lumière ! Certes, c’était la même époque, mais tout de même… De plus, nous étions en 1894. Van Gogh était décédé en 1890. C’était totalement incohérent : pourquoi se retrouvait-il allongé ici, dans ce lit, en tête à tête avec le nom du peintre ? Il tourna les yeux vers la gauche afin de mieux réfléchir. Non, vraiment, il ne comprenait pas.
Lina entra dans sa chambre. Elle était vêtue d’une tenue de domestique.
— Henri ?
— Lina ?
— Oui c’est moi.
— Je me disais bien ! Tu as perdu ton… ton… bégaiement ?
— Je t’expliquerai plus tard.
— Es-tu réelle ?
— Autant que toi !
— Excuse-moi, je suis confus, je…
— Ce n’est rien.
Henri était heureux de la voir. Les traits de son visage s’étaient soudainement détendus.
— Regarde ce tableau. Lui dit-elle en pointant du doigt une belle toile peinte accrochée au-dessus de son lit.
— Oui, c’est un paysage.
— Non, regarde plus profondément.
Henri regarda le tableau avec davantage d’attention et d’admiration. Sous ses yeux s’étalait une grande prairie d’herbes hautes. Il eut envie de s’y allonger. Elle lui semblait douce et agréable.
— Pourquoi tu n’y vas pas ? Lui demanda Lina.
— C’est un tableau Lina. Je ne peux pas y entrer, cela lui enlèverait toute sa magie.
Lina le regarda d’un air interrogateur. Henri poursuivit son raisonnement.
— Tu vois Lina, je pense que ce qui fait l’art de la peinture ou du cinéma, c’est de refléter l’inaccessible. Si nous pouvions entrer dans un film ou dans un tableau, cela enlèverait cette particularité. Lorsque tu es physiquement dans une prairie, tu peux t’y allonger comme tu en as envie. En revanche, si tu te situes face à un tableau représentant cette même prairie, ce dernier ne t’offre pas la possibilité de réaliser ton envie et augmente ainsi ta capacité à rêver. Je pense que l’ouverture du rêve est ce qui détermine l’art. Qu’en penses-tu ?
— C’est une idée…
— Je sais bien que je n’ai pas le sens des réalités : ma vie est semblable à une œuvre d’art. Cela n’est pas du goût de tout le monde. Je vis dans le songe et l’aspiration vers l’impossible. Toi-même, tu es un songe…
— Mais Henri, je ne suis pas un songe. La preuve en est, nous nous sommes rencontrés en chair et en os dans l’ascenseur de notre immeuble un jour de pluie. J’étais là lors de l’incendie… je suis… journaliste.
Henri regarda attentivement Lina. Il se plongea dans ses yeux d’un bleu océan. Un silence s’installa.
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MarionH
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Marine Delachaussée
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Mira Perry
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