Cléoda Iseth Un hiver mouvementé Chapitre 3.3 : Elle

Chapitre 3.3 : Elle

Je me précipite vers les escaliers en me retenant de courir. Il serait dommage d'être en retard et d'en plus avoir un accident qui se répercuterait sur mon image, entachée dès mon deuxième jour et sur celle du bâtiment. Haletante, j'arrive au dernier étage devant la porte grande ouverte de la salle Espérance.


— Vous êtes en retard, la nouvelle ! s'exclame une femme ravissante au décolleté plongeant.


— Excusez-moi, j'ai eu un problème de transport.


Oui, il y a mieux comme excuse. Mais entre la panne de réveil et celle-là, c'est celle qui me semblait la moins nulle. Je n'ai pas eu le temps de trouver mieux, même après cinq étages.


— Elle a plutôt l'air d'avoir eu une fin de soirée compliquée si tu veux mon avis. Tu as vu ces cernes, murmure une femme d'âge mur au chignon blond vénitien.


— C'est vrai que les nouveaux sont sortis hier soir. Elle a dû abuser de la boisson, soupire celle qui m'a fait remarquer mon retard.


Ses yeux verts et ses cheveux noirs lui donnent un côté sorcière maléfique.


— Elle aurait quand même pu se maquiller ou au moins se coiffer !


— Je suis entièrement d'accord !


Voilà une première impression complètement ratée. Mike est mort de rire et James ne dit mot obnubilé par son écran, mais il a forcément entendu. Tout ça à cause de l'autre enfoiré. Pourquoi a-t-il fallu que je tombe sur un type de son espèce ?


— Assied-toi, Elle, me demande James. Nous allons commencer.


Je m'exécute, rouge de honte, et m'installe à contre-cœur à la table ronde à côté de Mike et en face des deux guivres qui ne me quittent pas des yeux.


— Bien maintenant que la team est au complet, j'aimerais vous présenter Elle qui sera la responsable du troisième secteur de notre bâtiment et Mike qui sera le responsable du deuxième secteur. À tous les deux, je vous présente Eléonore, la responsable du premier secteur et Marise, l'assistante du bâtiment.


Eléonore est la femme à la poitrine exposée et Marise la plus âgée. Son regard chocolat me jauge sous tous les angles et révèle la commère qui se cache dessous.


— Très bien, maintenant que les présentations sont faites, j'aimerais partager avec vous nos prochains challenges, nous informe-t-il, en se levant. Nous avons perdu deux responsables de secteur d'un coup et aucune passation ne sera possible, je compte donc sur vous pour aider Mike et Elle du mieux que vous le pouvez, l'honneur et l'efficience de notre bâtiment est en jeu. Rappelez-vous que nous sommes là pour sauver des vies et non se tirer dans les pattes.


Un sourire invisible se dessine sous mon masque d'impassibilité et une chaleur inconnue irradie mon estomac. James a pris ma défense.


— De plus, cette année, notre entreprise a décidé de lancer un concours spécial pour les fêtes de Noël. Nous avons réalisé la communication auprès des équipes la semaine dernière. Le bâtiment qui obtiendra la meilleure productivité sur le mois décembre remportera une prime de cinq-cents euros par employé. Nous aurons un peu de retard par rapport aux autres, mais je suis persuadé qu'Elle et Mike, vous mettrez tout en œuvre pour faire briller vos équipes et notre bâtiment. Ce sera un mois long et difficile, mais la récompense à la clé vaut tous les efforts du monde, des vies sauvés et des sourires gagnés. Car comme vous le savez, la demande est au plus haut depuis plusieurs mois tout produit confondu.


Malgré la réticence d'une partie du public face à la vaccination orale, après plusieurs épidémies mondiales vaincues par ce même système, une majorité de personnes adhèrent au principe. Surtout dans les pays plus défavorisés où les comprimés mis au point et fabriqués par LMM permettent une vaccination de masse à un prix fortement réduit.


James, debout devant l'écran, pointe du doigt les courbes de productivité de nos différents produits. Le dernier en date, le vaccin Miracle explose les charts, en seconde position se trouve le vaccin Lueur, juste devant le vaccin Merveille et notre produit arrive au milieu du classement. La compétition sera rude pour remporter le défi de Noël.


— Des questions ? Non, nous en avons donc terminé, vous pouvez retourner au travail. Elle, tu te rends à tes formations et, Mike, je vais te présenter à ta future équipe.


Eléonore et Marise quittent la salle de réunion en pleine conversation sur les derniers chiffres présentés et au moment où je m'apprête à les suivre, James m'arrête.


— Elle, est-ce que ça va ? me demande mon chef, inquiet. Mike m'a raconté que tu t'es enfuie alors qu'il te raccompagnait. Je sais que mon cousin peut-être un peu brut, mais il a vraiment un bon fond.


Et ne sait visiblement pas tenir sa langue.


— Ledit cousin est présent je vous rappelle.


Je me retourne vers lui et esquisse mon sourire le plus navré.


— Je suis désolée, Mike. Dans la précipitation, je ne t'ai pas expliqué la situation correctement.


Ses sourcils se froncent et ce geste m'agace. Il m'a comprise dès le moment où nous nous sommes rencontrés et je déteste me sentir nue face à des étrangers.


— Il se trouve que j'avais oublié mon téléphone au bar et malheureusement le barman ne l'a pas retrouvé. Je dois donc en racheter un nouveau.


— Oh, je comprends mieux pourquoi tu ne m'as pas répondu ce matin, lâche James.


Mon cœur rate un battement. Je flotte sur un nuage en direction de l'Olympe.


— Tu m'as écrit ?


Ses joues se teintent légèrement, je n'en reviens pas. Pourquoi cette attention ? La curiosité me dévore, comme des milliers de larves à deux doigts d'éclore. Que m'a-t-il dit ? Quel dommage que mon portable soit dans les mains de l'autre démon.


— Oui, je voulais savoir si tu étais bien rentrée et si Mike ne t'avait pas dévorée.


Si quelqu'un d'autre que James avait prononcé ces mots, j'aurais eu envie de le défoncer, mais dans sa bouche, tout est plus séduisant. Il est vraiment exceptionnel.


— Eh oh, Mike est encore là et je ne bouffe pas ce qui est périmé.


Ignore-le, ignore-le, ignore-le. Souris, souris, souris. Mon poing se serre malgré moi et mon visage se durcit. Je tente comme je peux de me contrôler, mais ce type est incorrigible. Il me dévisage longuement avant d'afficher un sourire satisfait, heureux de m'avoir poussé dans mes retranchements. Sa dangerosité hérisse mes poils et je ne suis pas prête de m'en débarrasser. Plusieurs années de collaboration nous attendent.


— Mike ! le réprimande James.


— Elle, excuse mon manque de délicatesse, je ne voulais pas te blesser. C'était bien évidemment de l'humour.


Ces paroles ne contiennent pas la moindre sincérité, il est bien trop content de son effet. L'air devient suffocant et je me dirige vers la sortie avant de foutre ma vie en l'air.


— Je vous retrouverai plus tard, je ne voudrais pas manquer le début de ma formation.


Je pars comme si de rien n'était, bien que mes poings me trahissent et prend l'ascenseur réparé. Arrivée au rez-de-chaussée, je file en direction du premier étage du bâtiment principal de l'aile Ouest, emmitouflée dans ma doudoune non imperméable malgré son prix indécent.

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