Cléoda Iseth Un hiver mouvementé Chapitre 1.4 : Elle

Chapitre 1.4 : Elle

Vous l'aurez compris, il s'agit de Lydia.


— Eh, toi, là-bas, arrête-toi ! hurle-t-elle à bout de souffle, ses bouclettes bondes sens dessus dessous.


Voilà la façon la plus élégante de s'adresser à quelqu'un qu'on rencontre pour la première fois.


— Écoute, d'après ce que j'ai compris, tu es l'autre candidate retenue. Je n'arrive pas à croire que James considère désobéir à Papa, s'agace-t-elle. Bref, je veux que tu refuses ce poste, c'est le mien.


Elle ne passe pas par quatre chemins et va droit au but. Elle sait ce qu'elle veut et ce trait de caractère m'impressionne, un peu, mais bon, elle a tout de même son Papa en back-up si les choses tournent mal. J'arbore mon plus beau faux sourire, travaillé pendant plusieurs années d'arrache-pied pour parvenir à le perfectionner et déclare :


— Non.


Trois simples lettres et l'un des mots les plus basiques de l'Univers qui malgré le temps n'a pas perdu de son efficacité. Je tourne les talons et continue ma route. Malheureusement, Lydia n'est pas décidée à lâcher l'affaire si facilement et me poursuit tel un bouledogue enragé. J'ai peut-être sous-estimé sa détermination. Ses talons hauts claquent sur le bitume de sa démarche misérable, mais elle n'abandonne pas. Je l'avoue, elle est persistante comme fille. Elle ne compte pas lâcher son os si facilement.


— Aïe, aboie-t-elle, en s'écroulant par terre.


Je me retourne et la trouve les fesses contre le trottoir en train de tenir sa cheville douloureuse. Mes doigts pincent l'arrête de mon nez. Je peux soit l'abandonner là et m'enfuir tranquillement, soit l'aider à se relever. À votre avis, qu'ai-je fait ?


Non, je n'ai pas pu l'abandonner. Je me suis retournée et l'ai aidée. Je suis malheureusement trop consciente de la douleur provoquée par une cheville foulée. Je lui tends une main qu'elle refuse. J'aurais dû l'abandonner là finalement. Elle se relève en titubant et pousse les mèches rebelles qui tombent sur son visage vermeil. Une fois sur ces pieds, elle tente de me toiser de tout son haut, car oui je fais bien une tête de plus qu'elle.


— Combien veux-tu ? Je peux te donner n'importe quoi en échange, lance-t-elle, en ouvrant son portefeuille Hermès.


Un soupir m'échappe face à tant d'intelligence et son visage se décompose. Ses iris bleu azur noircissent, elle est à deux doigts de se jeter sur moi et je dois trouver une solution pour me sortir de cette panade. Après tout, je viens juste de balancer à mon potentiel futur chef qu'il y a toujours une solution. J'active mon cerveau et me creuse les méninges.


Qu'est-ce qu'elle veut plus que tout ? Son job ou James ? La réponse est évidente.


— Est-ce que tu penses vraiment que la meilleure technique d'approche est de travailler pour lui ? Certes, tu pourras lui parler tous les jours, mais que se passera-t-il si tu n'es pas à la hauteur de ses attentes ? As-tu seulement envie de ce job pour toi ? Parce que si c'est ton Papa qui te l'impose pour que tu puisses le séduire, il y a des manières bien plus subtiles et efficaces de faire tomber un homme sous son charme. Et en toute franchise, je ne pense pas que tu aies besoin de ce job pour parvenir à tes fins. Je suis sûre que tu peux le faire sans avoir besoin de réaliser un travail qui ne t'intéresse pas.


Mon discours hyper-moralisateur la laisse bouche bée, mais s'il me permet d'obtenir le poste, je suis prête à utiliser toute la salive nécessaire pour la convaincre. Au bout de quelques secondes ses lèvres roses pulpeuses s'étirent et son visage s'illumine.


— Tu as parfaitement raison ! Papa pense qu'il ne s'intéressera jamais à moi si je ne lui prouve pas de quoi je suis capable au boulot, mais je n'en ai pas besoin. J'ai plein d'autres cordes à mon arc, proclame-t-elle, un sourire en coin.


Lydia m'offre un clin d'œil et sa chevelure blonde fait volte-face. Je rentre chez moi le cœur léger, j'ai obtenu le poste que je voulais.


Installée à l'intérieur du bar entre Mike, mon futur collègue et James, mon futur chef, je sens que je me suis déjà fait des ennemies. Charlie assise en face de moi pour son plus grand regret me dévisage avec envie et elle n'est pas la seule. Pourtant elle est entourée d'Edouard et de Marc. Seulement James est le numéro un du trio.


Je n'ai pas fait exprès de me retrouver à cette place, James me l'a proposée et incapable de refuser, j'ai accepté quand j'aurais préféré des milliers de fois me retrouver en bout de table, seule. Maintenant me voilà obligée de participer à la conversation et c'est épuisant. Je n'écoute plus qu'à moitié et mes yeux voguent dans ce bar si inhabituel.


Déjà, il faut voir où il se trouve, en toute franchise, sans le connaître, les chances de s'aventurer dans une ruelle aussi flippante et éloignée de l'artère principale sont minces. En revanche, une fois devant, l'endroit dégage un vrai charme avec ses grandes baies vitrées et les plantes vertes qui décore la devanture. La charpente et les meubles en bois apportent un côté très chaleureux à la salle et la décoration simple, mais efficace harmonise l'ensemble.


Les petites touches en préparation de Noël réchauffe mon cœur. Mes yeux suivent les guirlandes lumineuses imbriquées dans des chemins de houx longeant les poutres et les piliers, s'arrêtent sur des boules rouges décorées par des motifs dorés d'étoiles et butent sur les chaussettes en laine accrochées à la massive cheminée en pierre à l'autre bout de la salle.


Le barman, un homme serviable et aimable, allume des bougies pour de nouveaux clients. Il tient l'établissement seul et ce dernier ne désemplit pas, toutes les tables sont prises. Il doit crouler sous le travail. C'est James qui a choisi ce lieu, qui est à priori très connu pour sa carte de vins. Selon ses dires, les meilleures bouteilles au monde sont entreposées dans la cave à la taille impressionnante. Il l'a visité quelque fois et adore se balader entre les étagères débordant de bouteilles, un verre à la main et en compagnie du gérant qui est devenu son ami.


La soirée bat son plein, tout le monde discute et boit dans une ambiance assez détendue qui ferait presque oublier que nous sommes au travail. Les autres filles ont toutes activé leur mode Chasse, et James est leur proie numéro une, Édouard la seconde et Marc arrive en troisième position. Qui aurait cru que ce grand blond termine dernier ?


Honnêtement, je ne sais pas comment mon futur chef fait pour supporter toute cette attention intéressée. Mais bon, comme à la cantine, il reste impassible et toujours adorable. N'importe quelle femme au monde craquerait pour son regard si ténébreux, moi comprise.


Si Charlie parle beaucoup, elle boit aussi beaucoup. Cette fille est ingérable et une vraie ivrogne. Elle enchaîne les verres de bière épicée les uns après les autres et se montre intarissable.


— Alors, Mike, comme ça tu es le cousin de James ? hurle-t-elle, en écrasant sa pinte contre la table.

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