Fyctia

Jaden et Lucas ne sont pas surpris lorsque je leur annonce le départ de Papa, deux heures après ma conversation avec celui-ci. En revanche, ce qui me surprend, moi, c’est la réaction de Lucas ou plutôt son manque de réaction. Avant, cela l’attristait mais là, il est étrangement calme. Peut-être qu’il est habitué ?

Après le repas, mon petit frère monte se brosser les dents. J’abandonne Jaden et Brandon à leur conversation et décide d’attendre Lucas dans sa chambre. Ça fait un moment qu’il faut qu’on ait une discussion, lui et moi. J’y pense depuis notre conversation avec Mme Smith mais je n’ai jamais encore osé aborder le sujet.

Lorsqu’il rentre dans sa chambre et me voit assise sur son lit, Lucas se fige, surpris.

_Brooke ? Qu’est-ce que tu fais là ?

Il est méfiant, je le vois bien. Et je ne peux pas lui en vouloir d’ailleurs. Généralement, lorsque je viens dans sa chambre après le repas, ça ne signifie rien de bon. Il suffit de voir la fois où je lui ai annoncé que notre chat, Mikado (c’est lui qui avait choisi le nom), était mort ou quand je lui ai appris qu’on allait déménager aux États-Unis.

_Assis-toi, lui dis-je en tapotant le lit à côté de moi.

_Qu’est-ce qu’il se passe ? Me demande-t-il en s’exécutant. Il y a un problème ?

_Non, enfin si. Rien de grave, ne t’inquiètes pas.

Loin d’être rassuré, Lucas me fixe avec inquiétude, attendant que je commence.

_Je voulais surtout savoir si tu vas bien.

_Bah oui, me répond-il. Tu le vois, non ?

_Je suis sérieuse, Lucas. Tu as dû déménager dans un autre continent, Papa n’est jamais là, Maman est morte… Tu as seulement huit ans mais, parfois, j’ai l’impression que tu en a dix de plus. Et honnêtement, j’ai peur que tu ailles mal mais que n’oses rien dire.

Lucas reste un moment silencieux. Il semble hésiter et triture nerveusement l’ourlet de son tee-shirt.

_Parfois, j’aimerais être comme mes amis. J’aimerais que Maman soit toujours là et que Papa soit un vrai papa. Comme celui d’Arthur qui vient le chercher toujours le chercher à l’école. Ou celui de Ludovic qui va camper avec lui tous les samedis soirs.

Même si ses aveux me brisent le cœur, je ne dis rien. Je ne veux pas l’interrompre alors qu’il se confie enfin.

_Mais je sais que ce n’est pas possible. Au début, je pensais que Papa redeviendrait comme avant, même si Maman n’était pas là, et qu’on pourrait être à nouveau une famille unie. Mais je me suis rendu compte que je ne sais même plus comment était Papa avant. Et je ne me rappelle de Maman que par les photos qu’on regarde de temps en temps.

Je m’en doutais. Lucas n’avait que quatre ans lorsque Maman est morte. Il y avait peu de chances pour qu’il se souvienne d’elle. C’est pour ça que je ressors parfois des photos d’elle.

_J’ai fini par comprendre que ça ne serait plus pareil. Mais je t’ai toi et j’ai aussi Jaden. J’aime bien ma vie comme elle est. Et je préfère les États-Unis à la France. J’ai plein d’amis ici et la maison est immense !

_C’est vrai ? Je lui demande, inquiète malgré tout.

_Oui, affirme-t-il. Je me suis habitué à notre vie à tous les trois, enfin quatre si on compte Brandon.

_Mais et Mme Smith ? Elle disait que ça impactait tes résultats et que tu avais tendance à ne pas être attentif - même si je n’y crois pas trop mais bon.

À ma grande surprise, Lucas rougit un peu et évite mon regard, gêné.

_Mme Smith ? C’est pas à cause ça…

_Alors, c’est à cause de quoi ?

_Eh bien, Ambre fête son anniversaire dans deux semaines et je réfléchis à un cadeau, m’avoue-t-il.

_Quoi ? Donc c’est parce que tu es amoureux ?

_Je ne suis pas amoureux ! C’est juste que je l’aime bien…

Eh bien ! Mon petit frère, amoureux de Ambre ! Voilà qui est surprenant. Je savais qu’il appréciait la petite sœur d’Alli mais à ce point-là…

_Oh, je vois, je réponds en souriant d’un air entendu. Tu l’aimes bien.

_C’est ça.

_Et tu as trouvé un cadeau ?

_Non… Je lui ai fait un dessin et je vais lui faire un bouquet avec les fleurs du jardin mais je n’ai pas une vraie surprise pour elle…

Sa mine déconfite me fait rire.

_Si tu veux, je demanderais à Alli ce qu’elle aime.

_Oui, merci, Brooke !

Sur ce, il se jette dans mes bras. Je l’enlace le plus fort possible et il fait pareil.

Cette discussion nous a fait du bien à tous les deux, mais peut-être plus à moi qu’à lui. Je n’en avais pas conscience mais cela devait me préoccuper depuis un moment si j’en crois le profond soulagement que je ressens.

Nous continuons à discuter pendant un petit moment avant que Lucas n’aille se coucher. Pour ma part, je redescends dans le salon et rejoint Brandon et Jaden qui regardent un film.

_Tout va bien ? Me demande Jaden lorsqu’il remarque ma présence.

Je hoche la tête et m’installe à côté de lui. Il se reconcentre aussitôt sur le film et j’en profite pour jeter discrètement un coup d’œil à Brandon, qui est de l’autre côté de mon frère.

Sauf qu’il me fixe déjà. Prise en flagrant délit, je tourne la tête et fais mine de regarder mon téléphone. Je ne sais pas pourquoi je réagis comme ça mais la sensation de son regard sur moi me procure un drôle d’effet.

Je reçois alors un message de Mme Murphy qui me donne les horaires et les salles où je dois rencontrer mes « élèves ». Je remarque surtout que la première personne que je vais rencontrer est dans la classe de Jaden et que c’est demain à onze heures…

Je jette à nouveau un coup d’œil à Brandon. Cette fois-ci, il ne me fixe pas et regarde la télévision. Son beau visage est détendu et en même temps concentré et j’ai une folle envie de l’embrasser. Bizarre, je sais. Je chasse ces pensées dérangeantes et tente de me concentrer sur le film.

***

Le lendemain, je peine à contenir mon impatience. Mes cours de physique et de journalisme me paraissent être plus longs que d’habitude.

_Tu sais, me souffle Hugo avec amusement, ce n’est pas parce que tu foudroie du regard l’horloge que le temps va passer plus vite.

_C’est moi ou le cours est vraiment lent ?

_Un peu des deux, je suppose, me répond-t-il. Qu’est-ce que tu attends avec autant d’impatience ?

_Oh, rien. Je vais juste donner un cours de soutien en français à quelqu’un.

_Et ça te réjouis à ce point-là ?

La sonnerie sonne alors et je me précipite vers la porte.

_J’y vais, à plus tard !

Surpris, Caleb et Hugo restent assis à leur table. En même temps, je suis généralement assez lente pour sortir de cours, il y a de quoi être stupéfait.

À 11h pile, je suis devant le point de rendez-vous. J’entends un peu de bruit dans la salle, ce qui me laisse penser que Brandon est déjà là.

Une part de moi est excitée mais l’autre est consternée. Donner des cours à Brandon ne va strictement rien faire et d’ailleurs, je ne sais pas vraiment pourquoi je le fais. En y réfléchissant bien, je m’aperçois à quel point c’est ridicule. Mais je veux quand même le faire. Paradoxal, n’est-ce pas ?

Je prends une grande respiration et rentre dans la salle.

_Brooke ? S’exclame une voix familière.

_Liam ?