Fyctia

- Je ne sais pas...

L'Inspecteur Montalévy m'observe. De son index, il se frotte le menton. D'un geste vif il se redresse et pose les coudes sur son bureau.

- Leny, je vais être clair. Dans la situation de Mila, le motif d'enlèvement est plus que probable. Mais la famille De Cournel n'a reçu aucun ordre, aucune demande de rançon. Rien. Depuis trois jours.

De nouveau il soupire.

- Tu es le seul à la connaître vraiment. Elle a coupé les liens avec ses parents. Il faut que tu me dises tout.

Sa voix grave et rassurante m'apaise. Je colle mon dos à la chaise en cuir et baisse la tête, les yeux dans le vide.

- Je vous ai déjà tout dit Inspecteur.

Trois jours. Son absence inexpliquée me ronge. Le temps me semble interminable.

- Mila est dépressive. Vous le savez.

Il acquiesce. Dois-je tout lui avouer ?

- Je sais.

Son silence et ses yeux scrutateurs m'invitent à continuer.

- Elle se drogue. Beaucoup.

Un mince sourire étire ses lèvres et il esquisse une moue dubitative.

- Comme bon nombre d'entre vous non ?

Je détourne le regard. La honte m'envahit. Nos soirées et nos déboires ne sont des secrets pour personne dans notre milieu. Le fait est que tout est passé sous silence.

- Leny, vous êtes tous dans le même bateau. Mila a juste sombré quand vous avez continué d'avancer. Toi qui la connait, est-elle un danger pour elle-même ?

La question ne me choque pas. Mais la suite me serre le cœur. Je sais où il veut en venir.

- Oui, elle se met en danger chaque jour un peu plus. Mais pas comme ça. Le suicide ne lui ressemble pas.

A ces mots, je sens mon cœur accélérer sa cadence. Je sais pertinemment que le suicide n'est pas la raison de la disparition de Mila. Je fourre la main dans ma poche et triture nerveusement un petit carré de papier.

" Qui doit payer ? "

Le mot glissé sous ma porte fait directement référence à Mila. J'en suis certain. Mais assis, dans ce grand bureau face à l'Inspecteur le plus doué de sa génération, je ne dis rien.

- Bon...

Il replace ses jambes et mâche le bout de son stylo.

- Je pense que tu n'as plus rien à me dire ?

Ses sourcils se froncent. Il attend.

- Non.

Je mens. Aussi fort que je respire. Mais je ne peux pas tout dire. C'est impossible. L'accident, notre vie après, notre engagement, notre réputation et ce mot... Les conséquences seraient désastreuses.

Même pour Mila.

Je me lève et lui serre la main. A son tour, il contourne son bureau et s'approche de moi.

- Je vais continuer ma petite enquête et passerai demain voir les De Cournel. Victoire tient le choc ?

Victoire. Elle ne dort plus, ne mange plus et passe son temps à sangloter. Jacques est tendu comme un arc, et son seul passe-temps est d'attendre que le nuage noir qui assombrit son ciel si bleu d'habitude, passe son chemin.

- Elle fait comme elle peut.

Ma réponse est courte. Je n'ai pas envie de m'attarder ici.

- Merci Leny.

- Au revoir Inspecteur.

Un poids énorme s'abat sur mes épaules. Dehors, sur le trottoir, je frissonne au vent glacial qui se faufile sous ma gabardine. Une fine pluie s'écrase sur mes épaules. Comme pour laver ma culpabilité, je lève la tête vers le ciel et laisse l'eau ruisseler sur ma peau. Un murmure m'échappe.

- Pardon Mila.

18h30

Quand je passe la porte cochère, des bruits de pas et des frottements m'interpellent. Des cartons sont entreposés au pied de l'escalier, et un amas de sacs plastiques gît à côté. J'observe le chantier qui règne dans le hall, quand une silhouette me fait sursauter.

- Bonsoir.

Je tends la main à l'homme qui me fait face. Je ne me souviens plus de son nom. Ma mémoire me fait défaut. Comme tout le reste en ce moment.

- Bonsoir...

- Maxime Vartier. Porte neuf.

J'esquisse un semblant de sourire. Ma mauvaise humeur ne doit pas entacher mes relations de voisinage. Cet homme est poli.

Et en sueur.

- Je peux vous aider ?

Du doigt je désigne les cartons. Il lève les bras et se frotte le visage.

- L’ascenseur est trop petit et je dois les monter à l'étage. Ce sont quelques meubles pour l'appartement.

Je soupire.

- A deux, nous irons plus vite.

Il acquiesce et me rend mon sourire.

- C'est gentil, merci.

Je retire promptement ma veste et la pose sur la première marche de l'escalier. Je balaye du regard le reste des affaires à monter.

- On commence par celui-ci ?

Je désigne un énorme carton, qui paraît plus lourd que les autres. Autant se débarrasser du plus difficile en premier. Il hoche la tête et s'empare du carton. En tee-shirt, ses bras sont imposants, même si je n'ai rien à lui envier.

Nous montons l'escalier en soufflant. Le carton pèse une tonne et me fait tanguer. Nous cognons quelques murs et nos pas se font de moins en moins rapides. Une fois devant la porte neuf, je fais mon possible pour ne pas jeter un œil à la porte de Mila.

Elle me manque. Terriblement.

Trois allers retours suffisent à désencombrer le hall d'entrée. La chemise relevée aux coudes, je sens la sueur couler le long de mon échine.

- Merci.

- Je vous en prie c'est normal. Mais la prochaine fois, faites appel à des déménageurs.

Il rit. Il doit avoir quelques années de plus que moi, mais n'a pas cette attitude guindé des gens de ma génération. Sa nonchalance et son attitude décontractée me mettent à l'aise. Il est différent.

- J'y penserais ! La prochaine fois, je vous paie un verre.

C'est à mon tour de rire.

- Aucun problème.

Mes yeux sont attirés par ses bras. Son tee shirt ne cache en rien la multitude de tatouages qui y sont dessinés. Un en particulier attire mon attention. Je le désigne du doigt.

- Beau dessin.

- Merci.

Son sourire se perd. Sa bonne humeur laisse place à un regard vide de sens. Sa main caresse l'endroit où sa peau est tatouée. D'un geste vif, il me remercie encore une fois et grimpe les marches à la volée. Il m'adresse un signe de la tête.

Sa réaction ne me dérange pas. Je suis bien placé pour savoir que nous avons tous nos secrets.

Et la plume finement dessinée qui orne son avant-bras doit être le sien.