Fyctia

Je jette un coup d’œil intrigué à Hannah, qui me le rend, l’air de dire « je ne sais pas plus que toi » avant de se lever.

— Tu devrais venir aussi, tu vas avoir une surprise, ajoute-t-il.

J’abandonne ma tasse avant de suivre le mouvement. Joachim a déjà repris place derrière le comptoir et nettoie des verres tout en écoutant discrètement la conversation. Je me pose à ses côtés et imite ses gestes. Je reconnais immédiatement l’homme avec Hannah pour l’avoir déjà vu plusieurs fois.

Et ma mauvaise humeur ne s’arrange pas. Je n’ai pourtant rien à lui reprocher, seulement, le revoir me fait penser à lui, à cet homme qui a disparu de la circulation depuis un an, sans disparaître de mon cœur.

Le mot « meurtre » ressort de la discussion. Joachim me jette un regard, les yeux ronds, avant de me faire signe de regarder à l’extérieur.

A travers les vitres du café qui donne sur la rue, il est possible d’apercevoir des groupes des personnes, mais au lieu de déambuler, ceux-ci restent là, immobiles, muets de stupeur. Quelques adolescents sortent leur téléphone et commencent à filmer l’autre côté. Là où je suis, impossible de savoir ce qui attire autant leur attention, même si j’ai comme l’impression que ça a un rapport avec la présence du policier.

— Je vais aller voir ce qui se passe, décide Joachim en jetant son torchon sur le comptoir. Tu viens ?

J’hésite un instant, mon regard alternant entre mon collègue et Hannah qui fixe quelque chose sur le téléphone portable du flic. Sa bouche est tordue dans une grimace de dégoût alors qu’elle bouge la tête de gauche à droite, signifiant un « non » à son interlocuteur. Mais à quelle question ? Là est l’inconnu. Le ton de la conversation a baissé de volume, nous laissant dans le flou.

— Ok, répliqué-je à Joachim avant de le suivre à l’extérieur, ne laissant dans le café qu’Hannah et son visiteur.

Un mélange de murmures incompréhensibles nous accueille aussitôt. Les passants emmitouflés dans leurs manteaux d’hiver et, pour certains, les bras chargés de cadeaux, sont retenus à l’écart par des policiers qui tentent par tous les moyens de les empêcher de s’approcher de la ruelle de l’autre côté de la rue.

— Merde, lâche-t-il d’un seul coup.

Quelques mètres plus loin, plusieurs personnes s’activent à dérouler des bandes jaunes sur lesquels sont inscrits les mots police line do not cross. Comme celles des films et des séries. Ce qui signifie qu’une chose. Cet endroit est devenu une scène de crime. Et ça doit être suffisamment grave pour réquisitionner autant de monde. Le mot « meurtre » me revient aussitôt en mémoire.

Joachim commence à traverser la foule en direction du chaos.

— Qu’est-ce que tu fous ?

Il me lance un sourire énigmatique par-dessus son épaule sans pour autant se stopper. Je m’élance à sa suite, le rattrapant rapidement au bout de quelques pas et lui agrippe le bras.

— Tu comptes faire quoi ? lui fais-je remarquer. Te faire remarquer pour finir au poste, peut-être ?

Joachim semble se souvenir soudainement de ses plans pour la fin d’après-midi et se range rapidement de mon côté.

— Tu as raison, Solena m’en voudra à mort de ne pas venir la voir, même si j’aurais une bonne excuse.

— Être trop curieux et faire le con n’entre pas dans cette catégorie, tu sais.

— Rien n’entre dans cette catégorie pour les femmes, même pas si on est à l’article de la mort.

— Et pourtant, tu les aimes quand même, répliqué-je, amusée.

Joachim murmure un « Malheureusement » tout en revenant sur ses pas en direction de l’entrée du café.

Sur le point de le suivre, je change d’avis en sentant un regard pesant sur mon dos. Millimètre par millimètre, je tourne la tête, scrutant les alentours à la recherche de l’origine de cette étrange impression… jusqu’à tomber sur deux perles vertes qui me fixent.

Un regard qui me glace autant qu’il me réchauffe. Un regard qui s’insinue régulièrement dans mes rêves.

Tout autour de nous semble disparaître, comme si nous étions les seuls habitants de la Terre.

Qu’est-ce que Keegan fait là ?