Fyctia

« Willa ! Attends ! »

Alma m’appelle depuis le porche de la maison de ses parents. Décidément, cette journée démarre difficilement !

J’ai peu et mal dormi, toute la faute en revenant à Brave Sanderson. J’ai rêvé de lui une partie de la nuit, en alternance avec des cauchemars tous plus atroces les uns que les autres. Je me suis réveillée les yeux cernés comme le raton laveur qui fouille nos poubelles depuis si longtemps que Tove a fini par lui donner un nom. Puis j’ai failli me tuer en glissant dans la baignoire, avant de m’éborgner avec le bâton du mascara, et lorsque j’ai enfin été prête, Freja a renversé son bol de chocolat sur moi en voulant me faire un câlin. J’ai dû me changer intégralement, ce qui a encore aggravé mon retard.

Aujourd’hui débutent les entretiens avec les employés d’Aveline, souvent la phase la plus délicate de mon boulot, et je préfère généralement les aborder en étant calme et reposée, ce qui ne sera clairement pas le cas aujourd’hui, surtout si Alma a décidé d’avoir une discussion à propos de Brave Sanderson !

« Salut Alma !

-Salut ! Tu vas bosser ? Freja n’est pas avec toi ?

-C’est le jour de fermeture de la boutique, elle reste avec ma mère. Écoute Alma, on ne va pas commencer à se faire des politesses, on ne l’a jamais fait. Je sais ce que tu vas me demander.

-Qu’est ce qui se passe exactement avec Brave Sanderson ?!

-Très honnêtement, je n’en sais rien ! »

Alors je lui raconte tout : l’animosité de Brave dans un premier temps, nos discussions, puis notre relation qui s’apaise petit à petit, l’attention qu’il porte à Freja, pour conclure avec l’incident de la veille et ma réaction. Alma m’écoute attentivement alors que nous cheminons en direction de l’hôtel.

« Qu’est-ce que je dois faire ?! »

Alma est davantage qu’une cousine. Elle est à la fois ma meilleure amie et ma grande sœur. Elle a été présente à chacune des étapes de mon adolescence, et s’est toujours montrée de très bon conseil concernant mes histoires de cœur. Ces dernières années, Ophélie l’a remplacée, mais aujourd’hui j’ai à nouveau besoin de l’avis d’Alma. Elle me fait face, et pose ses mains sur mes épaules comme lorsque nous étions enfants et qu’elle voulait s’assurer d’avoir toute mon attention.

« Je ne te l’ai probablement pas assez répété, Willa, mais ce qui est arrivé n’est en aucun cas de ta faute. Tu as le droit d’être heureuse, mais je ne voudrais pas que tu te précipites, ou que tu cherches de mauvaises raisons pour te convaincre de rester. Tu n’es plus seule maintenant, ma belle, tu dois aussi penser à Freja. »

Sur cet ultime conseil, elle part travailler après m’avoir serrée tendrement contre elle. Les quelques mètres qui me séparent de l’entrée de l’hôtel me suffisent pour prendre ma décision.

Ma vie est suffisamment compliquée sans rajouter une improbable histoire de fesses et/ou d’amour. Pour le moment, je dois me concentrer sur ma fille, mon travail, et le choix que je devrais faire concernant mon avenir. En poussant le battant de la porte tambour, je suis déterminée à laisser mes fantasmes derrière moi…

Mais Brave semble en avoir décidé autrement ! Il m’accueille avec un sourire radieux qui étale au coin de ses yeux un éventail de petites rides très sexy, et qui diffuse une douce chaleur dans ma poitrine. Willa ! Pour l’amour du ciel, reprends-toi ! C’est juste un sourire !

« Mademoiselle Lindhberg !! Te voilà particulièrement en beauté ce matin ! » susurre-t-il en m’accueillant d’un baiser dangereusement proche de la commissure de mes lèvres.

« Okay ! Qui êtes-vous, et qu’avez-vous fait du véritable Brave Sanderson ?!! »

Ma boutade est récompensée d’une grimace, puis il m’entraîne vers le bar où une table a été mise à ma disposition pour les entretiens dans un coin tranquille. Une main posée au creux de mes reins, il me guide jusqu’à mon lieu de travail du jour, et je sens ma peau picoter agréablement à l’endroit où sa main est en contact avec mon corps. A travers trois épaisseurs de vêtements !! Enfin Willa, tu n’es pas en manque à ce point, quand même ?! Voyons, à quand remonte la dernière fois que... Hum ! Je suppose que le fait que je ne m’en souvienne pas constitue en soi une réponse claire !!

Je me gifle mentalement pour m’exhorter au calme. Le boulot avant tout, ma vieille !

« Je peux t’apporter quelque chose à boire ?

-Tu es terriblement poli et serviable aujourd’hui ! Est-ce que je dois me méfier et faire goûter tout ce que tu vas me servir ?!

-Tu sais, si je voulais te tuer, je ne choisirais pas forcément le poison. Il y a suffisamment de congères aux alentours pour qu’on ne retrouve jamais ton corps, ou seulement au dégel... »

Mon sourire s’évanouit alors qu’un vent glacial souffle soudain dans ma tête, me renvoyant des images de corps ensevelis sous la neige et bleuis par le froid.

« Oh ! Willa ! Je ne voulais pas ! Je suis désolé ! Je n’ai pas réfléchi ! C’était tellement maladroit de ma part !

-Ça va ! Ne t’en fais pas ! Et pour répondre à ta question, je ne dirais pas non à un thé, merci ! »

Ce rappel brutal me permet de retrouver mon sang froid. Je suis bousillée. Pas physiquement, bien sûr, mais émotionnellement, je suis aussi stérile qu’une terre gelée. Je n’ai rien à offrir, si ce n’est les fantômes et la peur avec lesquels je vis désormais. Pas vraiment le cadre idéal pour entamer une relation, il semblerait ! Allez Willa ! Il n’est plus temps de rêver !

Lorsque Brave revient avec le thé et un air toujours contrit, je lui adresse mon plus beau sourire, celui que je porte comme un masque depuis bientôt quatre ans et que je maitrise à la perfection. Et je mets en marche la mécanique la plus efficace pour me protéger : je me plonge dans le travail pour ne plus penser à rien.