Fyctia
Chapitre 9 - Raphaël (1/2)
Je traverse la rue commerçante d’un pas las. À cet instant, la seule chose qui m'offre un peu de chaleur est le café que je viens d’aller chercher chez Cece. Les autres commerces ne sont pas encore ouverts et les passants sont extrêmement rares. C’est tellement calme que je pourrais me poser sur un banc, juste pour contempler les décorations. Juste savourer encore un peu cette sérénité qui règne au cœur de la ville.
Reprendre la confiserie était un jeu d’enfant… sur le papier. Je suis né pour ça, mon père m’a élevé dans le sucre chaud, mon cursus scolaire était orienté pour ce jour. Et pourtant, la réalité est plus dure à encaisser. En voulant parfaire ma vie professionnelle, j’ai délaissé ma vie personnelle. Et si les amis sont finalement faciles à retrouver, il y en a un qui semble ne pas apprécier mon retour.
Et le problème, c’est que je dois travailler avec lui.
Noé est mon petit frère, celui à qui mon père a également transmis sa passion pour les bonbons. Pourtant, il ne m’a pas fallu longtemps avant de me rendre compte qu’il n’était plus aussi passionné qu’à notre adolescence. Il m’adresse à peine la parole, prétexte des livraisons pour fuir la confiserie. Est-ce qu’il m’en veut d’être parti ? Ou d’avoir repris l’affaire ? Est-ce que ce métier l’intéresse encore ? Ou est-ce qu’il se force pour ne pas décevoir notre père ?
Mes pensées s’éloignent une seconde et des bruits de talons résonnent contre les pavés. La démarche d’Elsie est maladroite, elle se presse malgré cet énorme carton qu’elle tient dans ses mains et qui obstrue sa visibilité. Nous sommes au mois de décembre et elle a déjà sorti les robes de Noël. Je me souviens qu’elle en faisait collection. Celle du jour dépasse légèrement de son épais manteau. Rouge avec de la laine blanche sur les bords. Elle a ressorti l’écharpe de circonstance, rouge et vert. Tellement longue qu’elle doit faire plusieurs fois le tour de son cou. Tellement longue qu’elle cache ses lèvres légèrement rosées, sans parvenir à masquer son parfum vanille qui reste dans l’atmosphère après qu’elle est passée devant moi.
Je n’arrive pas à détourner mon regard d’elle. Elle soupire, essaie de maintenir son carton coincé entre le rideau de fer et son genou pendant qu’elle cherche ses clefs. Elle peste plusieurs fois et j’ai presque envie de me lever pour accroitre sa mauvaise humeur. J’aimais beaucoup la taquiner… au début. C’est comme ça que les choses ont commencé entre nous. Des plaisanteries, une complicité créée à travers les commérages, des discussions qui ont débuté parce que nous nous retrouvions tous les deux dans cette rue semi déserte, à n’avoir rien d’autre à faire qu’apprendre à nous connaître.
Et nous apprécier.
Je sais qu’elle n’a plus ses parents. Son père est décédé, sa mère est juste partie. Les commerçants de cette rue, ce n’est pas une seconde famille. C’est la première. Celle qui compte plus que tout. Celle qu’elle ne veut pas perdre. J’ai bien compris ce que Cece a essayé de me dire. Elsie, c’est leur petite sœur. Ils la protègent même si elle est encore un peu trop tête brûlée. Ils la soutiennent parce que personne d’autre n’est là pour le faire.
Et même si elle déverse sa colère et sa mauvaise humeur sur moi, je ne peux m’empêcher d’avancer vers elle.
— Besoin d’aide ?
— Oui, souffle-t-elle. Je…
Elle se retourne, prête à me confier son carton, mais se ravise lorsqu’elle me reconnaît. Ses traits se durcissent aussitôt. Pourquoi faut-il qu’elle soit toujours fâchée contre moi alors que c’est elle qui m’a rembarré ?
Qu’ai-je pu bien de mal ?!
— Ça va aller, poursuit-elle froidement.
— Sérieux ? Je croyais que dans cette rue… il fallait se soutenir, venir en aide à ses voisins.
Elle souffle, agacée, et pose son carton entre nous pour déverrouiller le rideau. Elle le lève brusquement avant qu’il ne claque d'un coup sec en haut de sa boutique.
— Va falloir t’y faire, Elsie. Je ne compte pas partir.
Elsie fait volte-face et me fixe de ses yeux amers, la mâchoire serrée. J’aimerais lui proposer de tout recommencer, de rebâtir sur de bonnes bases, mais cette fille a beaucoup trop de rancœur en elle.
— Tu ne penses pas qu’on devrait avoir une discussion ? proposé-je calmement.
— Pourquoi ? demande-t-elle sèchement. Je n’ai pas besoin de toi. Tu as décidé de bosser ici, grand bien te fasse. Mais je n’attends rien de toi.
— Je croyais que…
— Oui, m’interrompt-elle. Moi aussi j’ai cru à beaucoup de choses. J’ai cru qu’il suffisait d’aimer quelqu’un pour le garder auprès de nous, mais dans la vie, c’est plus compliqué que ça. Un jour, on partage sa vie avec une personne, et le lendemain, elle décide de se barrer.
Son regard froid me fait reculer, et je perds toute envie de surenchérir. A vrai dire, j’ai du mal à comprendre ce reproche. Je suis parti, c’est vrai, mais il n’a jamais été question d’un départ définitif. Je suis revenu, un mois plus tard, comme prévu. Durant mon voyage, elle m’a dit qu’elle n’était pas intéressée. A mon retour, elle sortait avec quelqu’un d’autre.
— Alors... c’est parce que je suis parti ?
Elle souffle et récupère son carton.
— Je ne parle pas de toi, répond-elle simplement. Arrête de croire que tout tourne autour de toi.
— Explique dans ce cas ! insisté-je durement.
Je la fixe, le cœur battant, et soutiens son regard froid. Cette fille est un mystère. Un jour, elle souffle chaud, et le lendemain, un froid glacial. Je pourrais faire tous les pas possibles et imaginables pour faire la paix, elle campera sur ses positions, convaincue d’avoir raison. Elle court pour les autres, mais refuse de faire le point sur sa vie.
— Bonjour Elsie.
8 commentaires
Lunedelivre
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Il y a 9 jours
NICOLAS
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Il y a 17 jours
Emmy Jolly
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Il y a 17 jours
Mapetiteplume
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Il y a 17 jours