Fyctia
Chapitre 11-2
Je jette un œil rapide en direction du bureau. Le producteur s’est avancé.
— Soren… le supplie la femme de l’accueil.
— Je sais, Thérèse, souffle celui-ci en passant une main dans sa tignasse brune.
Marco croise les bras et observe le spectacle avec sérieux. À la contraction de ses biceps, je devine qu’il se maîtrise. Un seul mot de son patron suffirait pour qu’il nous plaque au sol.
— Je vais pas pouvoir tous les gérer, se plaint-il.
— Pas la peine, je m’en occupe…
Je cesse ma chorégraphie endiablée. Le tournis s’estompe aussi vite.
— Les gars, vous pouvez aller vous installer, j’arrive.
Soren Tone est un être charismatique. Je me demande comment j’ai pas pu m’en apercevoir plus tôt. Il suffit d’un mot de sa part pour qu’ils cessent tous de s’agiter et qu’ils reprennent le cours normal des choses.
Le batteur lance les stylos en l’air avant de les rattraper pour les reposer sur le bureau. Il braque ses index vers la femme de l’accueil et lui adresse un clin d’œil. Celle-ci glousse. Il sourit, fier de son effet, et disparaît dans le couloir de gauche.
Le producteur s’adresse à la chanteuse :
— Tina, regarde dans le studio s’il te manque rien, d’accord ?
— Tu vas où ?
Il m’envoie un regard en biais avant de revenir vers elle.
— Je règle une affaire et je suis tout à toi. Prends tes marques et installe-toi.
Elle opine de la tête et disparaît à la suite du batteur.
À mon tour… Je déglutis à son approche, prête à l’entendre pester que je n'ai rien à faire ici.
— Axel n’est pas là aujourd’hui… m’informe-t-il d’une voix mal assurée.
Quelque chose m’échappe. Il a abandonné son regard agacé pour une inquiétude sourde. Je le sens crispé.
— En fait, je venais te voir.
La surprise traverse son visage. Ses sourcils se relèvent légèrement.
Cet homme de… quoi ? Un mètre quatre-vingts, je dirais… Cet homme aux épaules sculptées et au regard de tueur ne parvient pas à croiser mon regard plus d’une seconde. Il doit me prendre pour une véritable furie.
Je tourne la tête vers la femme de l’accueil et le vigile. Ma guitare m’attend sans comprendre, la tête contre le rebord du bureau. Je soupire. Je n’ai pas franchement envie d’un public pour présenter mes excuses.
— On pourrait se voir cinq minutes ? lui chuchoté-je en me rapprochant de lui.
Je surprends sa pomme d’Adam monter et redescendre. Ses prunelles cherchent à s’échapper. Je recule, perturbée par son comportement.
— Je peux pas, panique-t-il, je dois travailler.
— Je te propose pas de débaucher pour le reste de l’après-midi. Cinq minutes, insisté-je. Promis, je touche à rien.
Deux plis de contrariété se creusent entre ses sourcils.
— Je… travaille… Toutes mes condoléances, marmonne-t-il.
Ah… D’accord… J’ai besoin d’inspirer profondément.
— Ça arrive un peu tard, tu crois pas ? me moqué-je mal-à-l’aise.
— J’étais censé le deviner ? se défend-il.
Mes lèvres se pincent dans un sourire rassuré. Le producteur désagréable est de retour. Je ne saurais pas l’expliquer, mais cette distance qu’il réinstalle entre nous me donne le sentiment de retrouver ma zone de sécurité. Une impression vague et confuse sur laquelle je ne souhaite pas m’épancher.
— Cinq minutes montre en main ! le supplié-je.
Il se frotte le front.
— Suis-moi.
J’attrape ma guitare et trotte sur ses talons. Cet homme marche trop vite. Il est si pressé de reprendre le travail ? Nous nous enfonçons dans le couloir. Une fine moquette rouge foncé étouffe le bruit de nos pas. J’aurais aimé jeter un œil sur les photographies des musiciens aux murs mais j’ai trop peur de perdre sa trace.
Pourquoi est-ce que je fixe sa nuque ? Je secoue la tête pour me reprendre. Fan hardcore. On ne s’approche pas de cette espèce.
Il m’invite à entrer dans une petite pièce plongée dans l’ombre. Des affiches de toutes tailles sont accrochées sur des briques peintes dans des couleurs sombres. Une fresque représente un ours en peluche rose destroy. Un épais tapis pop art recouvre le parquet. Je m’assois sur l’un des quatre fauteuils en velours bleu canard qui encerclent une table en verre ronde.
— On dirait une rencontre entre Warhol et MissTic ! m’exclamé-je.
Le producteur ne réagit pas. Il referme la porte, allume l’ampoule vintage suspendue au-dessus de nous et s’assoit face à moi.
Nous y voilà. Le moment redouté est arrivé. Je me mordille nerveusement la lèvre inférieure. Il s’appuie contre le dossier, une cheville posée sur la cuisse et croise les bras sans un mot.
Un silence encombrant envahit la pièce. C’est à moi de le chasser, je le sais. Je cherche simplement dans mes mains le courage de me lancer.
Je soulève ma guitare et la pose sur la table. Il m’observe, intrigué.
— Je suis désolée, commencé-je. Je n’aurais jamais dû m’en prendre à… Bref… Je suis désolée.
Il déglutit.
— Excuse acceptée, finit-il par répondre au bout de longues secondes.
Son regard s’échappe vers les pieds de la table. Sa langue passe rapidement sur ses lèvres. Il maintient ses bras croisés, sur la défensive. Son comportement me rappelle celui glacial de Jules.
Je finis toujours par blesser les gens…
16 commentaires
Narélia L
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Il y a 9 mois
Ines.m
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Il y a 10 mois
francoise drely
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Il y a 10 mois
Claire Berthomy
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Lulucide
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Diane Of Seas
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Marie Andree
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Il y a 10 mois
Claire Berthomy
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Il y a 10 mois