Alixia Egnam Heaven Chapitre 1 - Partie 1

Chapitre 1 - Partie 1

Heaven


Édimbourg, deux ans plus tard


Heaven Hayley Ferguson. Nom à rallonge qui, dans nos contrées, peut donner le tournis, ou l’envie de détaler.


Moi, il m’a donné des envies d’ailleurs.

Je pourrais me plaindre de mon enfance, ressasser pendant des heures toutes ces fois où, trop occupé, mon père n’a pas assisté aux spectacles d’école. Ces nombreuses soirées que j’ai passées seule, à la maison. Ou encore l’incapacité de l’argent des Ferguson à sauver ma mère des addictions qui ont fini par lui coûter la vie. Pourtant, j’ai préféré ne retenir que la profonde affection que chaque membre de l’équipe de mon père avait pour moi. Et ce n’est rien face à l’adoration que mon paternel peut me vouer. Donc peu importe les longues semaines où il partait Dieu seul sait où, ou encore les frayeurs que j’ai eues en le voyant rentrer avec la chemise tachée de sang – et pas seulement le sien. J’ai toujours été la princesse du royaume sacré de Logan Ferguson et de ses hommes. J’ai eu une enfance étrange, mais néanmoins dorée.


Oui, mais voilà. Un beau matin, je me suis réveillée avec des envies d’autre chose. Être choyée et protégée ne me suffisait plus ; j’ai eu la volonté de m’accomplir et de me démarquer. En grandissant, j’ai voulu tracer mon propre chemin. Alors j’ai travaillé, d’arrache-pied, pour me construire un avenir différent, loin des dangers et de la loi du talion typique à ce milieu. Et aujourd’hui, j’ai presque envie de croire que j’ai réussi.


Presque.


Parce que ce soir, allongée sur le parquet ancien de mon appartement, les bras écartés et les chevilles croisées, je réalise combien j’avais tort. Au-dessus de moi, les poutres métalliques sombres, tachées de rouille que je rêve de pouvoir repeindre en noir mat, soutiennent la verrière, élément-clé lors de ma première visite des lieux. Oui, j’ai craqué pour ces immenses fenêtres qui sont impossibles à entretenir convenablement. Certes, les murs de briques, le parquet massif et surtout, le garage qui occupe tout le rez-de-chaussée avaient déjà eu raison de mon budget. Mais cette verrière… Même ce soir, alors que je devrais certainement me lever et chercher des solutions, m’allonger ici et observer le ciel suffisent à m’apaiser. C’est presque comme si j’étais à nouveau chez moi. En me concentrant, je peux entendre les bruits de la nuit qui me rassuraient à Aberdeen1 : les insectes qui bourdonnent, le clapotis des vagues contre les rochers, les cris des oiseaux nocturnes… Et le ronronnement de mon téléphone, posé à même le sol, lui aussi. Deux solutions. J’ignore l’appel, quitte à passer à côté d’un dépannage. Ou bien je prends le risque de jeter un coup d’œil sur l’écran. Argh ! Mauvais choix, Heav. Ma main gauche attrape le portable qui vibre à quelques centimètres de mon épaule : et quand je reconnais le nom qui s’affiche, je laisse échapper un grognement de frustration avant de décrocher :


— Salut, Papa.


— Bonjour, mon ange. Tout va comme tu veux ?


Question piège ? Est-ce qu’il est déjà au courant, pour Archie ? Respire, Heav. Il est loin d’ici. Et il a promis.


— Oui ! Super ! chantonné-je.


Je m’efforce d’avoir l’air enjouée et de donner le change, le temps d’une conversation. J’ai toujours été bonne au poker, ayant appris avec les meilleurs.


— Hum.


… mais les meilleurs ne s’en laissent pas conter. D’aussi loin que je m’en souvienne, le silence de mon père m’a toujours fait plus peur que ses hurlements. C'est pourquoi je soupire presque de soulagement lorsqu’il reprend la parole.


— Je t’appelais pour te dire que Trip doit venir en ville la semaine prochaine. Et je voulais savoir si tu avais besoin de quelque chose ?


Traduction du langage de Logan Ferguson : je t’envoie mon bras droit pour vérifier que tout va bien et que tu vis dans un palais de bonbons et de nuages. Je roule des yeux, retenant un soupir exaspéré :


— C’est complètement inutile, et tu le sais.


Je l’entends inspirer à l’autre bout du fil et, l’espace d’un instant, je visualise la scène : assis dans le fond du bar, une cheville calée sur le genou opposé, un verre de scotch sur la table et un cigare à la main, Logan Ferguson ronge son frein. Malgré mes réprimandes, il faut croire qu’il se plaît à nous rejouer un remake du Parrain. Le cliché parfait. Enfin, je ne sais pas si Vito Corleone peut se targuer d’avoir un physique aussi parfait que celui de mon père. Un mètre quatre-vingt-sept de pure masculinité écossaise, des bras à faire pâlir d’envie n’importe quel bûcheron et pas un gramme de graisse. À côté de lui, je suis presque invisible. Au sens propre du terme. Je crois qu’avoir une fille qui dépasse à peine le mètre soixante donne à ce grand gaillard des envies de surprotection disproportionnée. Même si, de son propre aveu, je suis certainement la moins commode de nous deux. Les chiens ne font pas des chats : élevée au milieu d’hommes au passé louche et de trafics en tous genres, j’ai appris à m’imposer. Et à me défendre. Enfin… je le pensais.


— Peu importe, mon Ange, lâche-t-il.


Pour la forme, je ronchonne en entendant ce surnom idiot et mon père éclate de rire. Comme si avoir un prénom aussi particulier ne suffisait pas, il adore m’affubler de sobriquets à la noix, et toujours bien dans le thème. Rien ne m’horripile plus que d’être réduite à la petite chose fragile qu’on appelle « mon ange » ou « ma princesse ». Est-ce que si j’avais été un garçon, il aurait eu la même attitude à mon égard ? Quoi qu’il en soit, j’ai cessé depuis bien longtemps de m’emporter contre lui. Après tout, depuis que ma mère nous a quittés il y a quinze ans, toute sa vie a tourné autour de moi. Et de son travail, autre point important de discorde entre nous, ces derniers temps.


Après une énième salve de mises en garde, il met fin à la conversation et à ma bulle de bien-être. Mon téléphone reposé sur le sol, me voilà à nouveau envahie par les doutes. Je sais qu’il ne me reste que quelques heures pour changer d’avis. Cette simple idée déclenche un fou rire incontrôlable. En essuyant la larme qui roule sur ma joue, je me morigène à haute voix, comme pour me donner du courage :


— Ne sois pas idiote. Tu sais que tu vas y aller. Et te mettre dans une merde noire.


Oui. Une fois de plus. L’espace d’une seconde, j’ai envie d’appeler Alba. Ou Colin. Sauf que ce ne serait pas juste, pour l’une comme pour l’autre : depuis des années, ils me soutiennent, me supportent et sont présents pour moi, malgré la distance et les choix stupides que je fais. Alors non, cette fois, je ne les solliciterai pas. Je vais faire face, comme une grande.


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6 commentaires

Mira Perry

-

Il y a 5 mois

Mais keski spass ? 🧐

francoise drely

-

Il y a 5 mois

Super ! J'ai hâte d'en savoir plus 😉
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