Fyctia
Chapitre 2.2 - Bailee
— Katy, calme toi, s'il te plaît, calme-toi, j'interviens, essayant de désamorcer la situation. Lenny fait juste son travail.
Ma sœur lance un regard noir à Lenny, mais finit par reculer.
— Très bien. Mais la prochaine fois, le colosse réfléchira à deux fois avant de me toucher.
Elle se rapproche de moi et me prends dans ses bras. Je la serre fort, comme s'il n'y avait que nous deux au monde.
— Bailee, le public t'attend.
La voix nette et autoritaire d'Adélia tranche l'air. Elle me prend par le coude et me guide vers une porte sur le côté du bâtiment que je reconnais être l'entrée des artistes qui se produisent au bar.
— Par ici.
Nous passons par un couloir sombre et étroit. L'atmosphère devient plus intime et feutrée, puis nous nous arrêtons devant une porte ornée d'une étoile en laiton. Son regard sérieux se plaindre dans le mien.
— Tu entre en scène dans une heure.
Elle ouvre la porte, et nous sommes accueillis par un salon chaleureux et confortable. Des canapés usés, mais confortables, sont poussés contre les murs ou des affiches de concerts passés sont placardées, des miroirs de maquillage illuminés par des leds éclairent la pièce. Rien n'a changé.
— Lenny, assure-toi que personne ne nous dérange, ordonne
mon agente.
— Je connais mon boulot.
Il lève les yeux au ciel en grognant et sort de la pièce. La porte se ferme derrière lui. Je me tourne vers ma sœur au moment où elle se laisse tomber dans un fauteuil. Je n'arrive pas à détacher mon regard d'elle. J'en ai besoin pour ne pas tout envoyer valser. Mais je veux être tout à fait honnête avec moi-même, je n'en aurais sûrement pas le courage.
— Ça fait si longtemps, murmuré-je.
Son visage s’adoucit quand elle pivote de nouveau dans ma direction. Mes épaules se relâchent et je dois combattre ce qui découle en moi à ce moment-là. Ce besoin presque irrépressible de revenir en arrière, ce besoin de tout laisser tomber, cette nécessité de juste être de nouveau dans les bras de ma petite sœur.
— Tu vas bien ?
Je hoche la tête, incapable de parler. L'émotion est trop forte, le tumulte intérieur trop intense. Adélia ne remarque pas ce qui gronde en moi, je deviens de plus en plus forte à ce jeu là. Cependant, dans cet endroit familier, mes défenses faiblissent.
— Ok, soupire mon agente. Prépare-toi.
Elle décroche une housse de vêtement suspendue à un portant et me la tend.
Je m'approche et ouvre la housse. Je cligne des yeux et un goût amer m’emplit la bouche en détaillant la mini-robe violette, constellée de paillettes scintillantes. Je grimace.
— C'est la robe que j'ai mise lors de mon premier concert.
— Oui, c'est celle que tu vas porter ce soir. Le public s'attend à te voir briller comme au premier jour.
Rectification : c'est ce que ma maison de disque attend de moi. Mais Adélia connaît aussi mes points faibles. Elle sait avec quoi me toucher pour que je cède. Je flanche une seconde avant de me reprendre. Où d'essayer.
— Mais... Je croyais que j'étais ici pour me reconnecter à mes racines et à mon public.
— Tu es une star, Bailee. Et les star portent des tenues de scène, mais je ne t'apprends rien. Celle-ci est symbolique. Ils vont l’aimer.
Les battements de mon cœur s'accélèrent. Je ne sais plus, je ne comprends plus. Comment peut-on me dire tout, et puis son contraire ? Si je porte cette robe, je ne renverrais que l'image de la pop star qu'ils ont créé, celle qui brille sur les plus grandes scènes des Etats Unis, loin de l'authenticité de cet endroit.
— Elle a raison ! Cette robe est horrible ! On dirait un costume de carnaval.
La voix de Katie tranche l'air comme un rasoir. Adélia se tourne vers elle, les sourcils froncés.
— Katie, mêlez-vous de vos affaires.
— Ce n'est pas une affaire, ou un objet où que sais-je encore ! Il s'agit de ma sœur.
Ses yeux si clairs sont de nouveau assombris par la colère.
— Bailee n'est pas une poupée que vous pouvez habiller comme vous voulez. C’est une artiste, une vraie. Vous ne connaissez rien de cette ville, ni de ce que ma sœur représente ici.
Je suis touchée par sa défense. Je sais que Katie ne reculera devant rien ni personne pour moi. Elle est intacte, elle. Libre. Mais je ne veux pas qu'elle se mette Adélia à dos.
— Katie, s'il te plaît...
— Non, Bailee. Pourquoi tu te laisses faire ?
Elle se tourne vers Adélia, le regard noir.
— Et vous, vous devriez avoir honte. Vous la traitez comme un produit, pas comme une personne.
Un silence pesant s'installe. Je me regarde dans le miroir et le reflet qui me fait face me dégoûte. Je me sens oppressée, piégée. Coincée entre mon intégrité, être celle que je veux être de nouveau, les exigences de ma carrière et ce qu'on attend de moi. Je sais que je devrais me battre et refuser de me plier à leurs diktats. Mais une part de moi a besoin de cette performance et de prouver que je peux encore séduire le public. J'ai besoin qu'ils m'aiment, parce que c'est l'une des seules choses pour laquelle je me suis levée chaque matin de ces cinq dernières années.
À contrecœur, je me saisis de la robe et des talons. Le tissu pailleté glisse entre mes doigts, froid et étranger.
Je suis une marionnette, manipulée par des ficelles invisibles. C'est ce qu'ils ont fait de moi.
— Je vais la porter.
Katie écarquille les yeux, incrédule.
— Quoi ? Mais...
— Je sais ce que je fais, je la coupe.
La culpabilité me poignarde au ventre quand je lis la déception sur son visage. J'aimerais qu'elle comprenne, mais comment puis-je exiger ça d'elle, quand je ne ne sais plus moi-même qui je suis ? Je lui souris avec tendresse. Je ne peux pas lui en vouloir. Je sais qu'elle veut juste me protéger. C'est ce que nous avons toujours fait l'une pour l'autre, contre le monde.
— C'est mon travail, que je le veuille où non.
— Mais tu vas ressembler à une...
Elle cherche ses mots, visiblement dépassée par les évènements.
— À une caricature de toi-même !
— Je sais, répété-je.
Je soupire, résignée.
— Mais c'est le prix à payer. Celui pour lequel j'ai signé et je dois l’accepter.
Je me tourne vers Adélia, qui me regarde avec un mélange de soulagement et de satisfaction.
— Prépare-toi. Le public t'attend.
Je hoche la tête, le cœur lourd. Je sais que Katie ne comprend pas ma décision, mais je n'ai pas le temps de lui expliquer, même si je le lui doit plus qu'à n'importe qui. Ce temps viendra.
Tout de suite, je dois me concentrer sur ce qui m'attend. Je me dirige vers le miroir, et je commence à me préparer. Le maquillage, la coiffure, la robe... Mes gestes sont mécaniques, cependant chaque étape me répugne un peu plus. Je me sens comme une actrice qui joue un rôle qu'elle déteste. Je lace autour de mes chevilles, les rubans des talons gigantesque sur lesquels je suis perchée, puis me regarde une dernière fois dans le miroir. Mes lèvres pourpre s'étirent. Je me force à sourire. Ce n'est pas un sourire sincère, mais celui que le public attend. Et ce soir, je vais leur donner ce qu'ils veulent.
2 commentaires
Marie Andree
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Il y a 20 jours