Senefiance HEAL Matthew

Matthew

Jour gris dans le ciel et dans le capharnaüm de mes émotions. La radio avait annoncé un épais brouillard qui devait s’étendre depuis la baie de San Francisco. Mais il n’est jamais venu à nous. Pourtant, j’espérais qu’il fonde sur moi afin de masquer mon chagrin dans les allées du cimetière. En vain.


J’avance sans le vouloir, suivant le mouvement et le souvenir d’Amélia. Des mains pressent, survolent ou tapotent ma carcasse ; mais mon palpitant, déconnecté, demeure hermétique aux témoignages d’affection. Mes pieds traînent sur les pavés, s’arrêtent pour finir devant le cercueil. Je n’arrive pas à regarder cette boîte, symbole de la fracture de mon monde : un monde sans elle.


Quatre jours seulement qu’elle nous a quittés. Une partie d’elle continuait encore à être présente dans notre réalité. À présent, ce dernier adieu envoie Amélia dans ce trou et moi dans un vide abyssal. Vivre sans elle me fout la trouille.


Frémissant, j’écoute le bruit insupportable des roses jetées, une à une, sur le cercueil. Maman, amputée dans sa chair, pleure dans un silence de plomb. Tandis que papa l’étreint comme s’il n’allait plus jamais la lâcher. Sous les yeux de tous, leur cœur explose. J’aimerais ramasser les éclats pour les recoller, mais j’ai déjà les miens plein les poches.


Unie avec l’éternité et nos mémoires, Amélia repose maintenant aux côtés de Lucas. Les parents de mon beau-frère sont aux abonnés absents depuis la naissance de leur petite fille. Trop d’émotions, trop de ressemblances. Ils ont préféré fuir dans les voyages, le dépaysement total de leur vie. Je ne leur en veux pas, chacun gère ses sentiments comme il peut. D’autre part, venir devant le tombeau de leur fils ouvert à nouveau, est au-dessus de leurs forces.


Les papillons noirs envahissent mon cerveau. J’aimerais m’échapper de cette foule de costumes sombres. Je suis si las, mes yeux me brûlent. Mes cernes, eux, appartiennent à Lucy, ma boussole.


C’est définitivement un jour sans. Même Rosa a abandonné son exubérance. D’un petit signe de tête, elle me confirme qu’elle nous devance avant l’arrivée de l’assemblée pour le « verre du souvenir ». Ce terme m’agace profondément, il est trop réducteur à mon goût. Je devine encore les heures interminables qui s’annoncent.


À la fin de l’inhumation, papa décide de rejoindre Lucy. La laisser seule aujourd’hui était impensable. Tyler est auprès d’elle depuis mon départ au petit matin. Maman prendra le relai plus tard, avant mon retour nocturne. Devant la demeure familiale, nous invitons l’assemblée à se réunir autour d’un verre et du buffet. L’ambiance émouvante et chaleureuse aide ma mère à rompre avec la solitude du deuil. Les paroles et les souvenirs lui font du bien, ses traits trop tirés vers le bas, et son regard un peu atone laissent finalement place à un timide sourire.


Mais moi j’étouffe, piégé dans mon chagrin. Éprouvé, je traverse la pièce principale caressé par les mots et les gestes compatissants, puis je franchis enfin le seuil de la cuisine, abandonnant les chuchotements attentionnés derrière moi.


Mes doigts s’accrochent au bord du plan de travail pour m’empêcher de vaciller. Rosa, les mains baignées dans l’évier, attrape son torchon et s’approche de moi. Sans me laisser le choix, elle me prend dans ses bras.


— Llora mi niño*, m’ordonne-t-elle doucement.


Plus qu’un câlin, c’est un réconfort qui n’a pas de prix, un havre de paix où je m’autorise à lâcher prise. Cette pression hors de contrôle se libère peu à peu, les larmes coulent à flots, relâche une partie du poids qui me noue l’estomac. J’ai la sensation que cela ne va jamais s’arrêter et que je vais finir par me noyer dans ma peine.


Je pleure caché dans la cuisine par pudeur, ne voulant pas voir dans les yeux des autres cette part d’intimité. Avec Rosa, tout est naturel : elle lit en moi comme dans un livre ouvert. J’aimerais parfois l’épargner, car c’est une véritable éponge émotionnelle.


Après un long soupir, je l’embrasse sur le front et me retire de son étreinte.


— J’ai besoin de calme quelques minutes, tu sais où me trouver…


Je gagne l’étage, ouvre une porte dérobée et je me rends sur le toit-terrasse, à l’arrière de la maison. C’est mon endroit favori, j’y ressens un sentiment de tranquillité et d’apaisement. La journée, j’aime laisser vagabonder mon regard au-delà de ma propriété, jusqu’à l’horizon lointain qui efface mes angoisses ; la nuit venue, les étoiles m’attirent vers elles, plus haut encore, là où je peux respirer.


— Rosa m’a dit que tu étais ici. Je peux redescendre si tu veux rester un peu seul, propose Tyler en passant la tête à travers l’embrasure de la porte.


— Ne dis pas de bêtises, allez viens…


Mon ami s’installe en face de moi sur un des fauteuils du salon de jardin. Son sourire, empreint des heures passées aux côtés de Lucy, déborde et réchauffe mon être. Je l’écoute me donner des nouvelles de notre petit papillon, s’extasier sur sa nouvelle prise de poids. Je crois que la mignonnerie de notre bout de chou a encore frappé !


Le silence, instant ressource, revient. Mes doigts effleurent ma plante favorite, le mimosa pudica. Elle se contracte sous l’effet de mon contact ; le desmodium, lui, danse devant nos yeux. Le ronronnement d’un moteur vient perturber cette parenthèse enchantée.


La voiture rainbow arrive par un autre accès du domaine et se dirige vers les garages non loin de nous.


— C’est Jenna ? Qu’est-ce qu’elle fait ici ?


— Je lui ai dit qu’elle pouvait venir pour choisir un véhicule pour ces nouvelles fonctions. Mais, j’ai oublié de lui dire de ne pas débarquer aujourd’hui.


— Je peux lui demander de revenir plus tard…


Je secoue négativement la tête. Après tout, elle fait partie des employés maintenant. J'ai du mal à l'imaginer dans cette case, dans une case tout court d'ailleurs...


— Donc, elle a accepté ta proposition. C’est cool !


— Elle veut bien effectuer une période d’essai, mais refuse catégoriquement ma contrepartie concernant son doctorat. Je pense qu’elle n’aime pas être redevable, mais crois-moi, j’ai pas dit mon dernier mot.


— Elle ne pourra jamais résister à une visite de nos ateliers, c’est une passionnée. Regarde-là ! Je suis sûr qu’elle parle aux bagnoles !


Après avoir désactivé l’alarme avec son code personnalisé, Jenna ouvre toutes les portes. Elle caresse l’une après l’autre les carrosseries de mes voitures sportives. J’espère qu’elle choisira une berline, moins puissante. Elle arrive devant la dernière, couverte d’une bâche. Comme une enfant à la recherche d’un trésor, elle soulève le tissu avec précaution. Surprise, elle fait volte-face et s’écarte vivement. Elle se met alors à danser et à tourner sur elle-même. Je souris. La Bugatti Veyron Pur Sang et sa rareté ont eu un effet similaire sur moi, un tantinet moins démonstratif.


Bien cachée, ma joie orpheline se manifeste légèrement. Dès lors, je garde en tête l’image de Jenna et de son grain de folie pour raviver ces petits frissons de bonheur.



*pleure mon garçon.

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5

5 commentaires

Emeline Guezel

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Il y a un an

Soutien de like 🥰

Elisa Antoine

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Il y a un an

Coucou, petit like de soutien pour t'aider dans la suite du concours. Je commence, pour ma part, à bloquer sur les déblocages de mes chapitres, si le cœur te dit de venir me rendre la pareille... Merci à toi dans tous les cas, et bonne fin de concours. 💞

Gwenaële Le Moignic

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Il y a un an

👍🥰😎... belle journée !

François Lamour

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Il y a un an

Like du "Connard romantique" 😁

shane

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Il y a un an

Un chapitre très émouvant. Tes mots mettent les larmes aux yeux. On a vraiment l'impression d'être là, avec Matthew. Ne nous fait pas trop attendre pour la suite, ton histoire est tellement belle...
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