ZaraWilde Grisbourg Chapitre 1

Chapitre 1

Le train ralentit, puis s’arrête dans un grincement métallique.

J’hésite un instant avant de me lever. L’annonce grésillante confirme ce que je sais déjà : “Grisbourg. Terminus.”

Je serre la lanière de mon sac en bandoulière et descends sur le quai. L’air est plus froid ici. Plus lourd, aussi. Comme si la ville elle-même portait un poids invisible.


Tout est comme dans mes souvenirs. Le béton sale, les néons blafards, cette odeur de pluie et de métal. Un vieil homme somnole sur un banc, une clope éteinte au coin des lèvres. Deux gamins en blouson trop grands traînent près des distributeurs, visages fermés. Personne ne fait attention à moi.

J’inspire profondément. Grisbourg.

La ville que j’ai fui il y a cinq ans. Celle où j’ai grandi, celle que j’ai juré de ne jamais revoir.

Et pourtant, me revoilà.


Je passe les portes automatiques de la gare et m’arrête sur le trottoir. La rue principale s’étire devant moi, bordée de bâtiments fatigués aux enseignes à moitié éteintes. Quelques voitures passent en soulevant des éclaboussures d’eau sale. Plus loin, les silhouettes massives des entrepôts découpent l’horizon. Même sous un ciel gris, ils dominent tout.

Le cœur de cette ville. Et la tombe de Léo.

Je ravale l’amertume qui me serre la gorge et traverse la rue.

Un taxi attend près du trottoir. Je glisse sur la banquette arrière et donne l’adresse sans réfléchir.

— Rue des Forges.

Le chauffeur me jette un regard rapide dans le rétroviseur.

— Vous êtes du coin ?

— J’étais.

Il ne pose pas d’autres questions et c’est tant mieux.


Le trajet est court. Trop court. À peine quelques minutes et déjà, je reconnais le vieux quartier. Les murs lépreux, les fenêtres condamnées, les affiches déchirées qui promettent des “emplois stables” dans l’entrepôt pour “ceux qui ont la motivation”.


Je descends du taxi et me tiens devant l’immeuble familial. La façade est la même : crépi fissuré, porte en bois fatiguée, boîte aux lettres cabossée.

Mon estomac se noue.

J’ai grandi ici. Et maintenant, je suis de retour pour enterrer mon frère.


Je monte les marches et frappe à la porte. Un bruit de pas résonne derrière. Puis la porte s’ouvre sur un visage que je n’ai pas vu depuis des années.

Ma mère.

Elle n’a pas changé. Les traits durs, le regard trop fatigué pour son âge. Elle me scrute un instant, comme pour s’assurer que je suis bien réelle. Puis, sans un mot, elle s’écarte pour me laisser entrer.

L’appartement sent le renfermé. Le salon est sombre, les volets à moitié fermés. Sur la table, des tasses vides, un cendrier plein, un cadre photo couché sur le côté. Léo et moi, gamins, un sourire figé dans le temps.

— Ils disent que c’était un accident, lâche ma mère dans un souffle.

Sa voix est rauque, presque cassée.

Je serre les poings.

— Ils mentent.

Elle ne répond rien. Juste un silence épais, presque tangible.

Je suis rentrée à Grisbourg pour enterrer mon frère, mais surtout, je suis rentrée pour rendre justice à mon frère, mon instinct de m’a jamais trompé et il me dit que mon frère n’est pas mort de la façon officielle.


Je n’ai jamais aimé cet appartement. Trop petit, trop sombre. Chaque mur semble imprégné des disputes étouffées, des silences pesants, des regrets qu’on n’ose pas prononcer à voix haute.

Ma mère s’assoit sur le canapé sans un mot et allume une cigarette. La fumée s’élève lentement, s’accroche aux rideaux jaunis. Elle me fixe, comme si elle attendait quelque chose. Une explication. Une justification à mon retour.

Mais je ne suis pas là pour me justifier.

— Qu’est-ce qui s’est passé, maman ?

Elle baisse les yeux, écrase sa cigarette à peine entamée dans le cendrier plein.

— Il est tombé.

Sa voix est presque un murmure.

— Une chute, qu’ils disent. Il prenait ces foutus cachets… Ils ont dit qu’il en avait trop pris. Qu’il a perdu l’équilibre…

Je secoue la tête.

— Tu y crois, toi ?

Elle ne répond pas.

Parce qu’elle sait que Léo n’était pas comme ça. Il ne prenait pas de risques inutiles. Et surtout, il ne se serait jamais foutu en l’air comme ça.

Je regarde autour de moi. Pas une trace de lui. Comme si elle avait voulu effacer son existence.

— Où sont ses affaires ?

— J’ai tout mis dans sa chambre.

Je n’attends pas son autorisation. Je traverse le couloir et pousse la porte au fond.


La chambre de Léo est petite, presque impersonnelle. Un lit défait, une armoire entrouverte, quelques vêtements froissés sur une chaise. Sur le bureau, un vieux carnet, des papiers empilés, un téléphone éteint.

Je m’approche et passe mes doigts sur la couverture du carnet. Léo griffonnait toujours tout. Des idées, des plans, des esquisses de révolte.

Je l’ouvre.

Des notes éparses, des dates, des noms. Des mots soulignés plusieurs fois : “enfants”, “nuit”, “ventes”, “accidents”.

Mon cœur rate un battement.

Qu’est-ce que tu avais découvert, Léo ?

Je continue à feuilleter. Puis, au milieu des pages remplies de son écriture nerveuse, je tombe sur une phrase qui me glace le sang :

“Si je disparais, ce ne sera pas un accident.”

Je referme le carnet d’un claquement sec.

Ils mentent.

j’ai raison.

Léo a été tué.

Et je vais découvrir pourquoi.

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7 commentaires

loup pourpre

-

Il y a 11 jours

Tu relates la mélancolie d’un passé et une ville de campagne en décrépitude. Cela est juste triste, dans le bon sens du terme, et réaliste.Tout est liké sur ton histoire. N’hésite pas à venir sur mon histoire de Noël.

NaomieC

-

Il y a 2 mois

J’adore l’ambiance sombre et immersive de ce chapitre ! On est tout de suite happé par Grisbourg et le mystère autour de Léo. L’intrigue est prenante, et le carnet est un excellent élément pour lancer l’enquête. Hâte de lire la suite.

Hélène N.

-

Il y a 2 mois

Ça donne envie de savoir la suite !
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