Fyctia
40. " Tokyo - Eri Ito (1) "
Akio Takagi.
Je commence à croire que personne ne se soucie de lui.
Hayato est collé à mes basques depuis deux jours. Il rentre tout juste sur Tokyo pour la nuit, et je le revois le lendemain matin. Il s’est complètement pris au jeu. Ce mélange d’insouciance et d’acuité d’esprit est toujours aussi difficile à appréhender, mais finalement, je me dis que j’ai bien fait de le laisser m’aider. De toute façon, maintenant que je cerne le personnage, je me dis qu’il se serait imposé à moi, quoi qu’il advienne.
En plus, il n’a pas chômé. Loin de là. Il s’est lancé dans des recherches sans fond, en utilisant avec agilité les réseaux qu’il a pu dresser dans le passé grâce à son activité de bloggeur.
Sans trop en faire (j’y ai veillé), il a creusé, sans éveiller les soupçons de ses contacts, et fini par trouver que la dénommée Eri Ito était bien la seule rescapée de sa famille.
Quel destin tragique.
Hier, nous avons appris qu’elle se trouve dans un centre spécialisé près de Nerima, dans la banlieue ouest de Tokyo. Ce matin, je pars à la rencontre d’Hayato. Après avoir insisté, j’ai enfin trouvé réponse à quelques-unes de mes interrogations. L’adolescent vit bien dans le secteur ouest de la ville, dans le quartier cossu d’Ogikubo. Pas étonnant qu’il ait ses habitudes dans le non loin, à Ikebukuro. Après une heure de trajet, je le retrouve à la gare.
Son bras, si volumineux d’ordinaire, a retrouvé sa taille normale. Il est tout sourire et l’agite en l’air pour me saluer de loin. Sa manière de me montrer qu’il est rétabli ?
— Salut, Hayato. Alors, cette blessure si « cool » n’est plus qu’un vilain souvenir ?
— Malheureusement ! répond-il du tac-au-tac. Avec ça, je ne peux plus faire le « bad boy » au lycée !
— Pour cela, encore faut-il que tu y ailles ! Est-ce que tu es sûr que tout va bien ?
— Ne t’inquiète pas pour ça ! Mes camarades de classe s’occupent de tout. Je ne manquerai rien. Et puis, ce n’est pas comme si c’était la première fois.
Je fais la moue en signe de désaccord. Mais peu importe, c’est son affaire.
Dans le train en direction de Nerima, nous parvenons à nous asseoir côte à côte. L’occasion de réfléchir à la manière dont nous allons procéder. L’hôpital de Nerima, réputé pour l’excellence de son département de psychiatrie, est gigantesque. Mais là n’est pas l’obstacle principal.
Comment allons-nous faire pour arranger une entrevue avec Eri Ito ?
— C’est clair que sans être de la famille, s’il lui en reste, ça va être très difficile, lance Hayato.
— Franchement, je n’ai pas la moindre idée. Je sèche.
— Peut-être en observant le service et en essayant de profiter d’une faille, pour lui faire passer un message ?
— Je ne suis pas certain que l’on puisse rester assez longtemps à observer le service sans paraître louche. Même si ce service est d’ordinaire très animé, nous allons faire tâche, c’est certain.
— Je ne pense pas, tu verras.
— Qu’est-ce que tu veux dire par là ?
— Je préfère attendre, je n’ai pas envie de nous porter la poisse.
Je n’ai strictement aucune idée de ce qu’il insinue, mais décide de m’arrêter là.
Ne sachant trop que dire, la conversation tourne court et nous passons le reste du voyage sans un mot. Une fois sortis, nous nous dirigeons vers l’hôpital Général de Nerima, à quelques encablures de la gare. Nous décidons sur le moment de passer l’accueil comme si nous savions où nous allions, sans un regard, qui trahirait notre ignorance.
Par chance, le service de psychiatrie se trouve dans le bâtiment A, le plus proche de nous.
Nous passons à côté du personnel médical, qui ne daigne même pas nous regarder. Et pourtant, aujourd’hui encore, Hayato a décidé de faire dans le discret. Un pantalon noir, certes, mais une chemise violette bien flashy, et une veste blanche qui accentue le contraste. Immanquable.
Nous remontons l’un des couloirs du service, lorsqu’à mon grand désarroi, on finit par nous interpeller.
— Monsieur Ishida ?
J’essaie de faire mine de ne rien entendre. Hayato stoppe net.
— Monsieur Ishida ?
Il se retourne. J’ai des sueurs froides.
— Monsieur Ishida ! C’est bien vous ! Comment allez-vous ?
— Bien, merci pour tout, répondit le lycéen.
Je tourne les talons, incrédule.
Mais il ne me faut que quelques secondes pour donner un sens à tout cela.
Hayato a séjourné ici suite à l’attaque. Pourtant, j’étais persuadé qu’il était passé du côté de l’hôpital universitaire de Tokyo, tout comme moi. Mais ce n’est pas le moment de l’apostropher à ce sujet.
— Que nous vaut votre visite ? demande l’infirmière.
— Je souhaitais voir une amie, qui est actuellement dans le service. Est-ce que ce serait possible ?
Je ne maîtrise rien. Je suis bien obligé de le laisser faire, une nouvelle fois.
Mon regard se porte sur le badge de la charmante infirmière qui converse avec lui.
Infirmière Kano.
— Je ne suis pas certaine, dit-elle. Nous n’acceptons pas les visites non planifiées, et encore moins si cela n’émane pas de la famille proche.
— Même pour cinq minutes ?
— Qui est-ce ?
— Eri Ito.
Elle hausse les sourcils en signe de surprise.
Et de doute, à mon avis.
— Je vais aller voir. Veuillez patienter ici, répond-elle en désignant deux chaises près du coin de repos du personnel médical.
Alors qu’elle s’éloigne, Hayato me jette un regard, avant de s’élancer hors de son siège, à la manière d’un sprinteur.
— Je reviens !
Bon sang… Où va-t-il encore ? Je n’ai même pas eu le temps de lui demander ce que tout cela signifie… Il est passé par ce service ? Pourquoi ? Et plus encore… il la connait ?
A peine le temps de me lamenter qu’il revient, tout sourire. Son visage est rougi par l’effort soudain qu’il vient de produire.
— Qu’est-ce que tu es allé faire ?
— Je te dis ça dès qu’on sort, à mon avis, ça devrait te plaire !
— Arrêtes de me prendre au dépourvu ! Je déteste ça… Et d’ailleurs, tu es réellement passé par ce service ?
Son sourire s’efface, mais il ne se décontenance pas.
— Euh… oui, un jour ou deux pour une évaluation… après tout ça… Désolé de ne pas t’en avoir parlé avant.
— On n’y peut rien de toute façon. Tu es irrécupérable !
Ma colère est feinte. Je n’arrive pas à lui en vouloir. Je décide de laisser couler, lorsque l’infirmière se présente à nouveau face à nous.
— Je suis désolée, mais les visites sont interdites pour cette patiente. Ordre strict de la hiérarchie.
— Je comprends, répond Hayato. Merci quand même !
Il m’entraine dans sa sortie, sans perdre de temps.
— Mais est-ce que tu vas finir par me dire ce que tu manigances ? lui lançai-je.
— C’est toi qui va la voir, dit-il, énigmatique.
— Pardon ?
— Dans le Monde Gris. Tu m’as bien dit que le Passeur t’avait donné cette information, non ?
Dans un flash, la solution m’apparait. La fameuse zone dont parle le Passeur. Celle où tous ceux qui sont venus laissent une trace éternelle.
Je sais ce qu’il me reste à faire.
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