Fyctia
5 : Nouvel Oeil
Mais quelle idiote ! Pourquoi je ne suis pas restée plus longtemps ? Pourquoi ? J’aurais pu faire quelque chose ! Je sens les larmes qui montent mais je secoue la tête pour les chasser. Il y a deux petits bras autour de ma taille qui importent bien plus que mes états d’âme. Ma moto vibre sur l’asphalte alors que je la pousse dans ses retranchements, en totale ignorance volontaire du code de la route. Un chien traverse sous mon nez, je l’évite de justesse en égrenant mes jurons favoris alors que hurlent les freins sur la chaussée détrempée. Je me gare à l’arrache sous une halle de marché et descends avant d’enlever mon casque et celui de ma passagère.
— Je n’imagine même pas la peine que tu dois avoir dans la tête en ce moment, mais j’ai besoin que tu sois forte, au moins jusqu’à ce que l’on soit en sécurité. Tu peux y arriver ?
Malgré son visage inondé de pleurs, elle acquiesce vigoureusement. Dieu que je suis fière de cette gamine, j’aimerais avoir la moitié de son courage.
—Où on va ?
— D’abord chez moi, j’ai deux-trois choses essentielles à récupérer. Ensuite dans un refuge sûr.
— Les méchants ne seront pas dans ta maison aussi ?
— Les Picaillons n’ont pas assez de cervelle pour ça. Leur commanditaire ne m’avait visiblement pas prévu dans l’équation, ce qui nous laisse un peu de marge.
— Je ne comprends pas.
— Je t’expliquerai tout, promis.
— Shana, tu es une sorcière ?
— Oui, mais une gentille sorcière.
Je lui ébouriffe sa tignasse rousse, ce qui lui arrache un triste sourire.
— Et la police ?
— La police n’est pas équipée pour mon monde, ma puce.
L’arrêt suivant est mon pavillon que je traverse au pas de charge, ma protégée sur les talons, ignorant sciemment tout ce que je ne reverrai probablement jamais. Bah, mes gars sauront quoi faire de la scène, pour le reste j’ai assez en réserve pour tout reconstruire. Ce n’est jamais que du matériel. J’attrape un sac à dos Power Rangers de Kylie qui trainait dans ma penderie, vire sans ménagement la pile de serviette pour dévoiler ma boîte runique que je déverrouille dans la foulée. J’en extrais ma bourse aux merveilles.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Un assortiment de choses qui nous serons utiles. Les euros n’ont pas cours là où nous allons.
Je jette le sachet de velours dans le sac, puis prends la médaille d’orichalque que je passe au cou de Kylie. Le lacet se resserre de lui-même, suffisamment pour qu’il soit impossible de le retirer.
— C’est une pierre très rare, elle me permettra de ne jamais te perdre de vue.
— Un genre de GPS ?
— Si on veut. Ma mère me l’a donné quand j’avais ton âge.
— J’en prendrai bien soin.
— Je n’en doute pas, poupée.
De sous mes nuisettes de satin je dégage un livre épais à la couverture de cuir et aux pages cornées dans tous les sens que je tasse comme je peux avec la bourse dans le sac.
— On a tout ce qu’il faut.
— Ah oui ? Pas de vêtements ?
— Cela ne sera pas un problème. Nous n’allons pas chez les sauvages. Enfin pas vraiment…
Je tourne la rune centrale de ma boîte, qui ne tarde pas à rougeoyer.
Ma moto rugit bientôt, alors que derrière nous ma maison implose sous la pression de la rune.
— Pourquoi ? Crie Kylie pour se faire entendre.
— La façon la plus efficace de brouiller les pistes !
Je braque à droite toute, direction la ville toujours sous une pluie battante, doublant sans une once de pitié les quelques voitures sur la route. J’ai un gros pincement au cœur en traversant le pont. Le monde a tellement changé depuis hier. Gros ralentissement lorsque je délaisse les avenues pour une ruelle sordide et crasseuse du centre-ville, à deux pas de la gare. Un rideau de fer bosselé et taggué se lève en grinçant effroyablement. Je gare mon bolide dans ce qui ressemble beaucoup à un dépotoir avant de mettre pied à terre avec Kylie.
— Un local poubelle ? Interroge-t-elle une fois son casque enlevé.
— Les apparences peuvent être trompeuses.
Je tâtonne le mur du fond, jusqu’à trouver une marque ronde sur laquelle je passe la paume. L’illusion des déchets s’estompe pour laisser place à une structure de métal rougeâtre, bien plus grande que ne l’était le local. Kylie en reste comme deux ronds de flanc, ce qui m’extirpe un gloussement.
— C’est cent fois plus ouf que le ciné 3D !
Je ploie le genou pour me mettre à hauteur d’œil.
— Ecoute, ce refuge est très spécial. Les gens à l’intérieur sont méfiants envers ceux qu’ils ne connaissent pas. Alors pas d’exploration sauvage, hein ?
— Promis. On est chez qui ?
— Chez les Elfes.
— Comme dans le Seigneur des Anneaux ?
La remarque me provoque une grimace amusée.
— Pas tout à fait, non. Tu vas voir des choses là-dedans qui vont t’étonner au minimum, probablement te faire peur. Garde à l’esprit que nous sommes en terre amicale, même si ça ne te sautera pas aux yeux.
— Les méchants ?
— Se pointer ici ne serait pas bon pour leur santé, crois-moi. Prête ?
— On va dire que oui.
Je dépose une bise sur son front, avant de lui prendre la main et de pousser une lourde porte de fer oxydée. A peine le seuil franchi, Kylie marque un temps d’arrêt, les mirettes grandes ouvertes.
— La vache… murmure-t-elle.
NULL POSITIV : Wo Rauch Ist, Ist Auch Feuer
https://youtu.be/lOIy-i6c_iI
11 commentaires
cedemro
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Il y a 3 ans
Bastienneee
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Il y a 3 ans
Dystopia_Girl
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Il y a 3 ans
Erine Kova
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Babsoje
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Morgane Rigan
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Il y a 3 ans