Fyctia
16. Conjectures
12 mai 2070 - Los Angeles
Je suis épuisée après cette conférence qui s’est bien trop éternisée à mon goût. J’inspire l’air marin en sortant du bâtiment. Il fut un temps, cet ensemble abritait un célèbre studio. Mon paternel s’est empressé de saisir l’occasion de tout racheter suite au terrible séisme qui a submergé la moitié de la ville. Hollywood se trouve désormais en bord de mer. J’ai d’ailleurs une envie soudaine de prendre le large…
J’observe mon père qui serre des mains et répond aux questions, toujours dans la demi-mesure, tandis que je me fonds dans la foule se dirigeant vers les arches ornant la sortie. Il ne remarquera pas mon absence prématurée. Mes pieds me font souffrir dans ces escarpins trop serrés que je n’ai pas l’habitude de porter. Nina a insisté pour que ma tenue soit correcte aujourd’hui et j’ai accepté de la laisser s’en occuper, pour une fois. Elle a remarqué mon changement d’attitude ces derniers jours, je préfère donc jouer la carte de la diversion. J’ai eu droit à un infime sourire satisfait de mon père lors de mon arrivée qui m’a presque fait regretter ce choix.
Au moins, cette torture mentale et physique aura eu le mérite d’éloigner Damian de mes pensées. Je repousse encore l’inévitable, me repliant dans mes retranchements. Je suis parvenue à introduire un ver dans le projet des Gladiateurs Matriciels. Juste pour être sûre qu’il ne puisse pas participer au prochain tournoi qui sera irrémédiablement reporté le temps que mon paternel gère ce petit inconvénient. Si Damian n’a pas changé, il est bien capable de faire fi de mes avertissements et de foncer tête baissée. Rien ne me garantit qu’il appliquera à ses actions les conditions qu’il m’a imposées. Rien ne me garantit qu’il me fasse réellement confiance pour l’instant.
Mes sentiments contradictoires me rongent. Je redoute de le revoir autant que j’en ai follement envie. L’idée qu’il me reconnaisse et me juge m’insupporte tout autant que son absence. Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai contemplé son papillon chamarré en hésitant à le recontacter.
– … Dynah Jonhson ?
Je sursaute en entendant le journaliste prononcer mon nom. Je n’aurais pas pensé un instant que l’un d’entre eux m'adresserait la parole. Je ne me suis pas affichée avec mon père, restant parmi le public. Je serre les dents en remarquant que j’avais presque atteint mon sésame de liberté et tente de garder une contenance. Je plaque un sourire sur mon visage pour entrer dans mon rôle d’insignifiante potiche.
Faux semblants, ne rien laisser paraître.
– Oui ?
– Eh bien… Qu’en pensez-vous, donc ?
– Oh, je n’ai pas d’opinion à ce sujet.
Réponses passe-partout, ne rien laisser transparaître.
– Bien…
Il paraît surpris mais griffonne tout de même quelque chose pour faire bonne figure. Son visage me semble familier.
– Une rumeur circule à votre sujet, reprend-il, est-ce vrai que vous êtes toujours un cœur à prendre ?
Je pince les lèvres devant son air presque aguicheur. Ça y est, je le reconnais. Il a déjà tenté de me courtiser il y a quelque temps. Visiblement, un échec ne lui a pas suffi et il a décidé de revenir à la charge.
– Benett, vous importunez la demoiselle avec vos questions frivoles.
Le dénommé Benett lance un regard noir au nouveau venu. Celui-ci m’est tout à fait inconnu et toise son confrère comme s’il n’était qu’un moucheron attiré par les odeurs de pourriture. Ce qui est un peu le cas, en réalité… J’observe avec étonnement le paparazzi en herbe s’éloigner sans demander son reste. Du coin de l'œil, je jauge une main qui se tend vers moi.
– Nicholas Stone, journaliste au Los Angeles Times. J’aurais des questions plus sérieuses à vous poser.
Je réponds à son geste avec méfiance, croisant ses iris presque noirs. Son sourire angélique adoucit ses traits rehaussés par une chevelure blonde dont le coiffé-décoiffé a savamment été étudié. J’ai un mauvais pressentiment face à sa prestance.
– Je ne suis pas sûre de pouvoir y répondre…
– Entre-nous, reprend-il sur le ton de la connivence, je sais que vous ne participerez pas au cocktail de ce soir. Je souhaiterais vous interviewer pour une enquête que je mène au sujet de Johnz Corporation. Puis-je vous inviter à dîner ? Simple dîner professionnel, bien sûr.
– Mon père est le mieux indiqué pour répondre aux questions concernant sa société.
Ma réponse est sèche, sans appel. Croit-il pouvoir m’embobiner ainsi ? Il rit. Je me prends à penser que ce rire paraît sincère.
– Je m’attendais bien à ce genre de réponse, mais si jamais vous changez d’avis…
Il me tend une carte de visite que je saisis avec réluctance, puis me gratifie d’un simple signe de tête agrémenté d’un sourire en coin avant de s’éclipser en direction de mon paternel. Je n’attends pas pour saisir ma chance de fuir. Un fois sur l’avenue Melrose, je me dirige vers la plage.
Lorsque je m’aperçois que j’ai gardé le petit carton entre mes doigts, je le retourne distraitement et me fige devant l’écriture manuscrite.
“Sachez que nous poursuivons le même objectif.”
Mes mains se crispent. Je range précipitamment le bristol dans une poche de ma chemisette.
Qui est cet homme et que me veut-il, au juste ?
La brise océane me rafraîchit. Je soupire de soulagement en retirant mes chaussures infernales, plongeant mes pieds dans le sable encore chaud alors que les derniers rayons du soleil tirent leur révérence. Je décide de laisser ce nouveau problème de côté pour l’instant. Je fais abstraction du mouvement des baigneurs ou lézards de la journée laissant place à l’activité nocturne. Une guitare résonne déjà, alternant des accords légers et des arpèges aériens. J’avance vers les flots et laisse les vagues chatouiller mes chevilles. Je clos les paupières pour tenter de trouver un apaisement dans cette atmosphère enivrante.
Cependant, je reçois une alerte sur mon comtech. Je constate que Damian a sûrement perdu patience et je souris malgré moi. Aurait-il hâte de me revoir ? Je me morigène ensuite. Je l’ai laissé plus de soixante-douze heures sans nouvelles. Qu’a-t-il bien pu s’imaginer ? A-t-il pensé à moi, lui aussi, pendant tout ce temps ? M’en veut-il de ne pas l’avoir recontacté ?
Si je n’y vais pas, peut-être qu’il finira par lâcher l’affaire…
Je me résigne ; je l’ai assez fait attendre. Je me faufile parmi les touristes et autres oiseaux de nuit tout en enfilant maladroitement mes chaussures. Je retourne vers les arches à présent désertées. Je n’ai pas envie de perdre du temps à rentrer chez moi, alors je me faufile dans un des hangars en utilisant mon pass. Ce n’est pas la première fois que je viens ici en douce. J’entre dans le local qui me sert parfois de repaire et verrouille la porte derrière moi. Ici, je serai tranquille. Je m’affale sur le fauteuil. L’appréhension me gagne. Je tente des exercices de respiration pour calmer les palpitations qui m’indisposent.
Respire Dynah… Quoi qu’il en soit, tu ne vas pas tarder à obtenir tes réponses…
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Ava D.SKY
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